Représentants des institutions nationales et économistes de toute l’Italie se sont rencontrés à Florence du 3 au 6 octobre dans le cadre du Festival National de l'Economie Civile. Une occasion unique de discussions sur les nouvelles formes d'économie présentes en Italie et en Europe. Au centre des débats, la participation et le développement durable.
Après presque trois siècles de politiques économiques basées sur une distribution des rôles, des responsabilités et des richesses entre le secteur public et le secteur privé, force est de constater que le système économique italien, et par extension le modèle occidental, se trouve dans une situation quasi dystopique, créant toujours plus d’inégalité et de pauvreté. Des déséquilibres amplifiés par un cadre socio-économique international de fortes interdépendances.
Face à ce bilan, le monde académique italien en sciences économiques cherche depuis plusieurs années à dépasser certaines limites pour ouvrir de nouvelles voies, dont celle de la création de valeur pour la sauvegarde de la planète, et avec, celle de l’espèce humaine. Tel est le cadre du Festival Nazionale dell’Economia Civile (FNEC) qui, pour sa 6ème édition s’est tenu du 3 au 6 octobre dernier à l’Université de Florence qui célèbre cette année son centenaire ainsi qu’au Palazzo Vecchio, symbole de la puissance florentine, siège de l’actuel hôtel de ville.
L’Économie Civile, un « nouveau » paradigme économique
C’est en 1753 que l'expression « économie civile » trouve son origine, année où l'université de Naples Federico II créée la première chaire universitaire d'économie au monde, baptisée « économie civile ».
Mais l'Économie Civile n’est pas un modèle. C’est un paradigme, autrement dit une vision particulière du monde selon laquelle l’ordre social repose sur la triade État – Marché -Communauté, contrairement à la pensée économique classique et néoclassique selon laquelle seuls l’État et le Marché peuvent définir la politique économique et intervenir.
Voilà pourquoi selon l’économiste Stefano Zamagni à l’origine de la redécouverte des textes du père fondateur de l’Économie Civile, Antonio Genovesi : « Il est devenu prioritaire d'intervenir sur les règles du jeu, c'est-à-dire sur les institutions qui, comme nous le savons, sont liées aux structures de pouvoir qui président à la distribution des ressources et des bénéfices. »
Après 25 années de travaux de recherche et avoir enseigné notamment à la Johns Hopkins University, Stefano Zamagni créée la Scuola d’Economie Civile (SEC) en 2012. En 2018, la SEC lance le Festival Nazionale dell’Economia Civile avec NeXt-Nuova Economia per Tutti, un réseau qui accompagne les acteurs économiques à suivre cette voie pour une nouvelle économie. En 2020, au lendemain de la pandémie des représentants de la société civile et du monde économique s’engagent en présence du Président Mattarella avec la Carta di Firenze à agir en faveur d’une économie toujours plus participative et plus durable. En 2023, près de 300 économistes italiens signent le Manifesto della Nuova Economia, pour une économie qui valorise au mieux le potentiel de la coopération, de l'intelligence émotionnelle et de l'intelligence relationnelle en se basant sur la dimension sociale et la capacité générative des citoyens, des entreprises, des associations et des universités.
La participation et le développement durable, clés d'un nouveau modèle de développement économique
Cette année, le Festival dont le slogan était « L’ora di partecipare » s’est concentré sur le concept de participation en tant que levier d'un nouveau modèle de croissance économique, mais aussi sur le développement durable en tant que moteur d'innovation et de compétitivité pour le système industriel italien. « Notre enquête sur le tissu productif national montre clairement que les entreprises les plus attentives au développement durable sont aussi celles qui se développent le mieux. La participation et la développement durable sont deux aspects fortement corrélés et déterminent un climat organisationnel fortement générateur, permettant aux entreprises de croître non seulement en termes de bénéfices, mais aussi en termes de compétitivité », explique Luca Raffaele, directeur de NeXt-Nuova Economia per Tutti.
Aussi, pour alimenter des processus de participation « hybrides » et expérimenter de nouveaux modèles de développement local, le Festival a abordé ces thèmes sous différents angles, dont celui de la « Civil Social Business City », un modèle d’innovation sociale participatif inspiré du prix Nobel Muhammad Yunus au travers d’un hackaton auquel ont participé étudiants et membres de la société civile pour que Florence puisse être la première ville où les acteurs du territoire participent activement à la construction d’un modèle économique non exclusivement orienté au profit.
« La démocratie est comme un arbre dont les racines s'enfoncent dans le sol. Si le sol est riche en sels minéraux, l'arbre pousse et produit des fruits ; si le sol est pauvre, l'arbre risque de mourir », affirme Leonardo Becchetti, directeur du FNEC. « Si nous voulons accroître la participation, nous devons partir de quelques points forts. Au cours des dernières décennies, la société civile italienne a été un laboratoire de bonnes pratiques et de réponses sur le terrain. En collaborant avec les administrations locales dans une logique partagée, elle a su construire des réseaux et générer de l’innovation sociale », précise-t-il.
Parmi les intervenants notons la participation d’Andrea Abodi (ministre des sports et de la jeunesse), Orazio Schillaci (ministre de la santé) et Maurizio Leo (vice-ministre de l'économie et des finances), mais aussi de Melissa Parke (directrice exécutive de la Campagne internationale pour l'abolition des armes nucléaires - ICAN, prix Nobel de la paix 2017), Alberto Acosta (économiste, ancien ministre de l'Énergie et des Mines et président de l'Assemblée constituante de l'Équateur dans les années 2007 - 2008) et Jeffrey Sachs (professeur d'économie à l'Université de Columbia).
Les ambassadeurs 2024 de l’Économie Civile
Et pour démontrer que cette nouvelle économie n’est pas un vœu pieu mais bien une réalité, plusieurs organisations ont été nommées « ambassadeurs » de l’Économie Civile cette année encore. Parmi elles, deux coopératives (Panacea pour la production de pain naturel et Oltre l’arte pour l’insertion de jeunes en difficulté dans des activités touristiques des sites culturels et naturels de Matera), le Museo dei Bambini di Roma Explora, qui, avec plus d'une centaine d'activités pour les enfants encourage des attitudes positives en matière d'interaction multiculturelle, de coopération, de respect des autres et de l'environnement.
Sur scène, également trois entreprises : Pananguaneta, leader en Italie et en Europe dans la production durable de contreplaqué de peuplier, fabriqué uniquement avec des matériaux provenant de forêts gérées de manière responsable ; Moreno, une entreprise de la Motor Valley émilienne qui a lancé un projet de formation pour les jeunes de la région ; et enfin Samec, une entreprise piémontaise spécialisée dans l'automatisation, engagée dans l'inclusion sociale, avec un pourcentage élevé d'employés handicapés et de différentes nationalités.
A ces organisations viennent s’ajouter les communes d’Andria dans la province de Barletta-Andria-Trani et de Villanovaforru en Sardaigne ainsi que deux projets sociaux à Follonica et en Ligurie.
Devenu un rendez-vous annuel, le Festival s'est tracé un chemin clair, consolidant son rôle dans le monde économique, produisant également des documents stratégiques comme la recherche BenVivere, des lignes opérationnelles qui modifient l'approche culturelle du pays et des lignes directrices qui ont été adoptées par le Conseil de l'Europe.
La route vers une nouvelle économie se dessine. E’ « L’ora di partecipare » !