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La France revendique-t-elle réellement les escaliers de la place d’Espagne à Rome ?

Début septembre, un sévère rapport de la Cour des comptes a épinglé les dysfonctionnements dans la gestion des églises françaises à Rome. Le document, interprété côté italien comme une revendication par la France de la propriété de l’escalier de la Trinité-des-Monts, a provoqué une levée de boucliers ce vendredi. La controverse a dû être clarifiée par le surintendant du Capitole et le président de la Cour des comptes française.

fontaine devant les escaliers de l'église Trinité des Monts à Romefontaine devant les escaliers de l'église Trinité des Monts à Rome
Unsplash
Écrit par Lepetitjournal Milan
Publié le 15 septembre 2024, mis à jour le 18 septembre 2024

 

Les escaliers les plus célèbres de Rome, utilisés comme scènes de films, immortalisés par des milliers de visiteurs chaque année, transformés en podium par certains des plus grands créateurs de mode contemporains, sont-ils français ? Sur fond de polémique, la question a fait les grands titres de la presse italienne le 13 septembre, du quotidien romain Il Messagero qui en a dédié sa Une, au Corriere della Sera qui titraient : « La Cour des comptes française revendique la propriété de La Trinité-des-Monts ».

L’église, qui figure sur la plupart des cartes postales et compte parmi les plus célèbres de la capitale italienne, se trouve au-dessus de la fameuse place d’Espagne, à laquelle elle est reliée par des escaliers.
Ce sont bien ces derniers, et non l’église elle-même, qui sont au centre d’une polémique, née d’un rapport de la Cour des comptes française, publié début septembre.

 

Une gestion opaque

Mais que dit réellement ce rapport ? Le document, rédigé par les magistrats de la Cour des comptes, analyse l’administration des « Pieux établissements de la France à Rome et à Lorette », qui gèrent à Rome un riche patrimoine français, immobilier et spirituel. Placés sous l'autorité de l'ambassade de France près le Saint-Siège, « les Pieux » comme ils sont souvent appelés, gèrent notamment treize immeubles locatifs situés dans le centre historique de Rome ainsi que cinq églises nationales : les célèbres Trinité-des-Monts et Saint-Louis des Français qui abrite trois toiles du Caravage, Saint-Nicolas des Lorrains, Saint-Claude des Francs-Comtois de Bourgogne et Saint-Yves-des-Bretons.

Leur contrôle par la Cour, qui porte sur la période 2015-2022 -  a mis en évidence de graves dérives :

« une gestion opaque et peu rigoureuse du patrimoine immobilier, des comptes bancaires longtemps dissimulés, ainsi que des dépenses et des investissements réalisés sans réelle mise en concurrence. »

 

Les 107 pages du document sont sévères. Ce patrimoine « n'est pas connu avec précision » : ni les églises, ni même les collections ne sont inscrites au bilan comptable et « aucune estimation de la valeur de ces œuvres n'a été réalisée ». Ces lacunes entraînent des « risques de dépossession qui se sont, pour certains, déjà concrétisés », affirme le rapport.
En outre, les revenus locatifs des propriétés françaises à Rome devraient garantir l’entretien des églises et de leur patrimoine artistique, énoncent les magistrats.
« L'évolution du cadre juridique et de gestion des Pieux établissements ne doit plus être différée », conclut le rapport.

Dans son examen de la Trinité-des-Monts, la Cour des comptes cite également son célèbre escalier de 174 marches en soulignant les problèmes de sécurité. “Construit au début du XVIIIe siècle avec des fonds français, son entretien a été assuré jusqu'à la fin du XXe siècle par les Pieux établissements, mais aussi, à plusieurs reprises ces dernières années, par la municipalité de Rome, y compris par le biais du mécénat”.

 

La construction de l’Escalier de la Trinité-des-Monts
Il fut commandé par le cardinal français Pierre Guérin de Tencin (Grenoble, 1680 - Lyon, 1758) et construit entre 1723 et 1725 grâce au financement du mécène français Étienne Gueffier, qui investit la somme considérable de vingt mille scudi pour sa construction. La décision de construire l’escalier a été motivée par le désir de créer un accès à l’église de la Trinité-des-Monts. Une plaque commémorative apposée le long des marches rappelle sa construction en 1725 sous la direction de l’architecte Francesco de Sanctis pendant le pontificat de Benoît XIII. La même plaque mentionne la contribution française aux travaux, en citant le roi de France Louis XV et le cardinal Melchior de Polignac.

 

Actuellement, la question de la propriété et de la gestion de la Scalinata reste controversée et la Cour des comptes française a souligné la nécessité d’une “confirmation du statut juridique” du monument afin de clarifier les responsabilités en matière d’entretien et de restauration.

 

Une levée de bouclier côté italien

“Mais que serait la France sans l’Italie ? Ils ne peuvent se passer de notre luxe, de nos œuvres, de notre beauté. Mais maintenant, ils exagèrent”, écrit Daniela Santanchè, ministre du Tourisme, sur X.

 

“La Cour des comptes française a effectué une reconnaissance des biens immobiliers appartenant à l’État français à Rome. Une liste dans laquelle figurerait également la Trinité-des-Monts, qui en revendiquerait la propriété. Cela fait rire. Eh bien, nous enverrons des experts au Louvre pour faire une reconnaissance actualisée des biens volés à l’Italie au cours de l’histoire, en particulier ceux du XIXe siècle, ou cédés par des génies qui ont peut-être été contraints de se priver d’œuvres d’art renommées qui ont fait du Louvre le musée le plus visité au monde. Comédie”, affirme Fabio Rampelli (Fratelli d’Italia), vice-président de la Chambre des députés.

 

Une polémique sans fondement

Face à cette levée de bouclier, Claudio Parisi Presicce, surintendant capitolin des biens culturels, est intervenu pour clarifier et surtout clore la controverse, affirmant qu’ “il n’y a aucune revendication du côté français”. Et d’ajouter : “Il y a une certaine confusion à ce sujet et il est important tout d’abord de séparer les appréciations de la Cour des comptes française à l’encontre de l’administration des Pieux établissements de la France à Rome de la gestion de l’escalier espagnol.”

Dans la soirée, le président de la Cour des comptes française, Pierre Moscovici, est également intervenu en déclarant à l'ANSA : “Je veux rassurer nos amis italiens : le rapport ne demande qu’une clarification sur la situation du patrimoine, et quand elle est clarifiée, elle est toujours positive. Je suis vraiment très étonné que l’on puisse interpréter et déformer le sens d’un rapport de la Cour des comptes française”. Selon M. Moscovici, le rapport vise “les Français et en particulier les Pieux établissements pour leur gestion des biens religieux en Italie. Il n’y a pas et il ne peut pas y avoir dans un rapport de la Cour des comptes une quelconque intention de faire quoi que ce soit avec ces biens qui ont été gérés pendant des siècles, aucune intention de les privatiser ou de les vider de la signification que ces biens ont. Les juges demandent seulement que ces anciens accords entre la France et le Saint-Siège soient clarifiés aujourd’hui. Il s’agit d’accords datant de plusieurs siècles, qui doivent être adaptés au temps présent. En somme, l’objectif est de réconcilier le droit avec les faits”.

 

Un peu d'histoire...
Présentation des Pieux établissements

De 1450 environ à 1793, cinq entités distinctes ont pour vocation d’accueillir la communauté française et celles des « nations » voisines (duchés de Bretagne et de Lorraine, comté de Bourgogne), progressivement incorporées au Royaume de France, qui sont de passage à Rome, en pèlerinage ou y résident plus durablement. Les églises et les bâtiments attenants ont été pour l’essentiel gérés et construits par les membres de ces communautés ou confréries, avec le soutien du Roi de France. Pour la Trinité-des-Monts, des financements royaux ont fortement contribué à l’érection des bâtiments par l’Ordre des Minimes.
Après la chute de la monarchie et l’absence de directives données par la République, pour éviter la déshérence de ce patrimoine, le Pape Pie VI réunit ces institutions par un bref du 10 décembre 1793, « Non Opus Esse ». Il les place « sous l’administration, la surveillance et l’autorité » du cardinal de Bernis, ambassadeur du Roi de France auprès du Saint-Siège de 1769 à 1791. En 1797, par le traité de Tolentino, en échange de cessions territoriales à la France et d’une forte indemnité de guerre, les droits de la France sur les Pieux établissements sont transférés par la République aux États pontificaux. Dans la foulée du Concordat de 1801 conclu entre la République française et le Saint-Siège, les Pieux sont restitués à la France du Premier consul Bonaparte et lui demeurent rattachés sous l’Empire et depuis.
À la Restauration, la réunion des Pieux établissements est confirmée en 1816 par une ordonnance de l’ambassadeur du Roi Louis XVIII, le comte de Blacas. Les statuts et la gouvernance des Pieux établissements sont ensuite établis en un règlement général par le comte de Latour-Maubourg, ambassadeur, et approuvé par François Guizot, ministre du Roi Louis-Philippe en 1843. Il comprend un nouveau titre consacré au service religieux des Pieux établissements.
Le règlement est ensuite amendé à plusieurs reprises par les ambassadeurs successifs sous la monarchie de Juillet, le Second Empire et les IIIème et IVème Républiques (1845, 1860, 1872, 1874, 1891, 1946 et 1956). Ces règlements placent les Pieux établissements sous l’autorité de l’ambassadeur de France près le Saint-Siège.
Après la prise de Rome et la chute des États pontificaux le 20 septembre 1870 qui achève l’unité italienne, par l’article 8 du décret du 1er décembre 1870 du roi Victor-Emmanuel II, le nouveau Royaume d’Italie reconnaît, au plan interne, les droits de la toute récente République française sur les Pieux établissements. Dans le champ du droit international, un échange de lettres entre les deux pays, intervenu en 1875 et 1876, confirme la décision du 1er décembre 1870.
De 1904 à 1920, période de rupture des relations diplomatiques entre la France et le Saint-Siège, les gouvernements français successifs ont continué d’administrer les Pieux établissements, le ministère des affaires étrangères y détachant un agent à cette fin. Pendant la Seconde guerre mondiale, une partie des biens administrés par les Pieux établissements sont placés sous séquestre par le régime fasciste et leur sont rendus en 1943, avant la fin de la guerre, sur intervention du Pape Pie XII.
En 1956, le règlement est refondu et actualisé par l’ambassadeur en fonction, M. Wladimir d’Ormesson, et approuvé par le ministre des affaires étrangères. Il sollicite ensuite le Pape Pie XII qui approuve par un bref la partie consacrée au service religieux et en certifie la conformité générale aux règlements antérieurs.

 

lepetitjournal.com Milan
Publié le 15 septembre 2024, mis à jour le 18 septembre 2024

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