Édition internationale

Guerre commerciale : pourquoi l’OMC est-elle impuissante ?

L’Organisation mondiale du commerce agonise. Bousculé par la montée des tensions protectionnistes et le retour des logiques de puissance, le gendarme du commerce mondial peine à défendre les principes du multilatéralisme. Comment en est-il arrivé là ?

Ngozi Okonjo-Iweala prend ses fonctions de directrice générale de l'OMC, le 1er mars 2021. Crédit : World Trade Organization (WTO), Bryan Lehmann.Ngozi Okonjo-Iweala prend ses fonctions de directrice générale de l'OMC, le 1er mars 2021. Crédit : World Trade Organization (WTO), Bryan Lehmann.
Ngozi Okonjo-Iweala prend ses fonctions de directrice générale de l'OMC, le 1er mars 2021. Crédit : World Trade Organization (WTO), Bryan Lehmann.
Écrit par Sherilyn Soekatma
Publié le 25 avril 2025, mis à jour le 28 avril 2025

Loin de l’époque où elle incarnait l’autorité suprême du commerce mondial, l’Organisation mondiale du commerce (OMC) vacille. Affaiblie par la montée du protectionnisme et impuissante face aux nouvelles formes de guerre économique, l’organisation peine à arbitrer les règles du commerce mondial. Dans un monde dominé par les rapports de force, l’OMC peut-elle encore imposer ses règles, ou n’est-elle plus qu’un témoin impuissant ?

 

 «  Le consensus, qui a été le ciment de cette organisation, est devenu la boue dans laquelle elle s’enlise » - Richard Ouellet

 

L’OMC, un arbitre neutralisé depuis 2019

Depuis décembre 2019, l’organe de règlement des différends (ORD), pilier de l’Organisation mondiale du Commerce (OMC), est à l’arrêt, paralysé par le refus des États-Unis de nommer de nouveaux juges. En cas de désaccord, c’est cet organe d’appel, composé de spécialistes du droit et du commerce international, qui permet aux États concernés de déposer un recours. En mars dernier, les Américains ont, pour la 85e fois, refusé de débloquer la situation.

 

En 1995, l’OMC a mis en place l’ORD chargée de régler les conflits commerciaux entre ses États membres. Lorsqu’un pays estime qu’un autre enfreint les règles du commerce international, il peut saisir cet organe composé de sept juges indépendants. Cependant, depuis 2019, les États-Unis empêchent toute nouvelle nomination. Sans juges en nombre suffisant, l’ORD est inopérant. 

 

Pourtant garante du libre-échange depuis sa création, l’OMC apparaît impuissante face à l’administration Trump qui assume désormais une rupture nette avec le multilatéralisme : « Les États-Unis souffrent de déficits financiers massifs vis-à-vis de la Chine, de l'Union européenne et de bien d'autres pays. Le seul moyen de remédier à ce problème est de mettre en place des tarifs douaniers, qui font actuellement entrer des dizaines de milliards de dollars aux États-Unis », écrivait le président des États-Unis en avril 2025, sur le réseau social Truth.

 

 

La montée des tensions commerciales, notamment entre les États-Unis et la Chine, expose la faiblesse structurelle de l’OMC : « Si l’on peut parler de crise, c’est que le consensus, qui a été le ciment de cette organisation, est devenu la boue dans laquelle elle s’enlise », analyse Richard Ouellet, professeur à l’Université Laval.

Derrière la superpuissance américaine, l’organisation s’efface et perd peu à peu son rôle de gardienne du commerce mondial. Une situation qui signe le retour des logiques de puissance, où les grands acteurs économiques privilégient les solutions unilatérales au détriment des approches collectives.

 

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« S’il faut se battre, nous irons jusqu'au bout »

 

Une guerre commerciale hors de contrôle

Droits de douane massifs, représailles, boycott,… Les États-Unis et la Chine se sont engagés dans une guerre tarifaire sans précédent. « L'attitude de la Chine à l'égard de la guerre tarifaire lancée par les États-Unis est assez claire : nous ne voulons pas nous battre, mais nous n'en avons pas peur. S’il faut se battre, nous irons jusqu'au bout », a affirmé Guo Jiakun, porte-parole du ministère des affaires étrangères chinois.

L’OMC, de son côté, est restée spectatrice de ce bras de fer commercial. Une absence d’arbitrage qui n’a fait qu’alimenter d’autres tensions, notamment entre les États-Unis et l’Union européenne (UE), qui elle, s’est toujours fondée sur le multilatéralisme. L’UE a donc beaucoup à perdre.

 

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Dans ce duel de géants où la loi du plus fort semble prévaloir, l’UE est-elle forcée de choisir son camp, entre les États-Unis ou la Chine ? Pour l’ambassadeur de Chine en France, Deng Li, l’Europe doit « saisir les opportunités offertes par le méga-marché chinois de 1,4 milliard d'habitants ». Il ajoute : « La Chine et l'Europe doivent […] préserver le courant de la mondialisation économique et approfondir la coopération et l'ouverture mutuelle pour les bénéfices communs ».

 

 « L’OMC a désespérément besoin de réforme »

 

Quel avenir pour l’OMC ?

« L'Organisation mondiale du commerce était déjà mal en point avant même l'arrivée de Donald Trump au pouvoir », rapporte l’économiste et spécialiste des questions de commerce international, Vincent Vicard, à France Info, dans L’invité éco.

Des mots qui confirment que l’organisation devrait peut-être se réinventer et se moderniser. « L’OMC a désespérément besoin de réforme », alerte l’ancien directeur adjoint de l’organisme, Alan Wolff, désormais chercheur au Peterson Institute for International Economics (PIIE). Un avis partagé par Supachai Panitchpakdi, directeur général de l’OMC de 2002 à 2005. « C'est soit cela, soit nous entrons dans une grande récession, bien pire que la dernière crise financière de 2008, parce que cette fois-ci, elle sera alimentée par le commerce, et il n'y aura alors aucun moyen de s'en sortir », a-t-il déclaré à Reuters.

Dans un monde fracturé, l’OMC se rapproche d’un état de mort cérébrale. Pour ne pas sombrer, l’organisation devra s’effacer ou se réinventer, si tant est qu’il ne soit pas déjà trop tard.