Voilà une journée à marquer d’une pierre blanche : pour la première fois depuis 2018, le Président chinois, Xi Jinping, a reçu à Pékin le 17 février les grands patrons des entreprises privées du pays.


Le gratin des entrepreneurs chinois
Sur la liste d’invités figuraient Wang Chuanfu, président du constructeur de véhicules électriques, BYD ; Wang Xing, à l’origine du spécialiste de la livraison de repas chaud, Meituan ; Robin Zeng, PDG du leader des batteries électriques, CATL ; Yu Renhong, fondateur de Will Semiconductor ; Pony Ma, PDG du géant de l’Internet, Tencent ; Liang Wenfeng, créateur de DeepSeek, le « ChatGPT chinois » ; ou encore Leng Youbin, PDG de la marque de lait infantile, Feihe.
Seulement six d’entre eux ont été invités à prendre la parole. Ainsi, Wang Xingxing, le fondateur d’Unitree Robotics et plus jeune entrepreneur présent (35 ans), a fièrement partagé avec Xi que son équipe de développement de robots humanoïdes était « née et a grandi en Chine ». Dans la même veine, Lei Jun, le PDG du fabricant de smartphones, Xiaomi, a déclaré que « même si la situation internationale avait changé, avec le leadership de Xi, rien n’était insurmontable ».
Une question de vie ou de mort
Plus modéré, Liu Yonghao, fondateur du groupe New Hope, le plus grand fabricant d’aliments pour animaux du pays, s’est contenté d’expliquer comment les entreprises agricoles peuvent prospérer en adoptant de nouvelles technologies – rappel s’il en fallait que la promotion des « nouvelles forces productives » ne se limite pas uniquement aux technologies du futur, mais concerne aussi la transformation des industries traditionnelles. Enfin, le doyen et fondateur du géant des télécoms, Huawei, Ren Zhengfei, 80 ans, s’est montré plus pessimiste, décrivant les cinq prochaines années comme une question de « vie ou de mort » pour la tech chinoise. De quoi inciter Pékin à redoubler ses efforts sur le chemin de l’auto-suffisance.
Tout le « CAC 40 » chinois était donc représenté, à l’exception de Zhang Yiming, le fondateur de ByteDance et propriétaire de l’application TikTok, empêtrée dans les controverses politiques américaines, mais aussi des PDG de Baidu, Robin Li, et de JD.com, Richard Liu. Une absence qui ne manqua pas de faire plonger leurs actions en bourse de Hong Kong… Si les investisseurs sont si attentifs à la présence – ou à l’absence – des chefs d’entreprise dans ces réunions au sommet, c’est qu’elles sont souvent le reflet de la santé politique desdites sociétés.
Le grand retour de Jack Ma
Ainsi, la présence de Jack Ma, le plus emblématique des entrepreneurs chinois, à l’origine du géant du e-commerce Alibaba, semblait signer sa réhabilitation officielle, plus de 4 ans après l’annulation de l’entrée en bourse de Ant Financial. C’est un signal fort envoyé à l’ensemble du secteur privé, qui aurait – enfin – retrouvé grâce aux yeux de Xi Jinping, après une longue traversée du désert. Déterminé à atteindre ses objectifs de croissance économique et à tenir la dragée haute à Washington, Xi a promis un soutien ferme et indéfectible aux entreprises privées tout en les appelant à « montrer leur talent » et faire des « contributions significatives ».
La scène était éminemment symbolique, exprimant à la fois une certaine fierté pour les récentes avancées technologiques chinoises (le modèle innovant de DeepSeek, les robots d’Unitree…), mais aussi une reconnaissance tacite selon laquelle le pays a besoin des entreprises privées pour rivaliser technologiquement avec les États-Unis. Le timing ne doit rien au hasard, alors que Trump a déjà décrété une hausse de 10% des tarifs douaniers sur tous les produits chinois.
"Faciliter la vie" du privé
Le dirigeant chinois a également reconnu que les entreprises privées sont confrontées à « des difficultés et des challenges » tout en promettant de faire davantage pour leur « faciliter la vie », notamment en termes d’accès aux marchés publics, de réduction des coûts de financement et de baisse de la pression administrative.
A vrai dire, Pékin a pris de nombreuses initiatives pour rassurer les entreprises privées au cours de l’année écoulée, notamment en promulguant une loi visant à promouvoir et protéger le secteur privé. Cependant, ces efforts ont souvent été sapés par les actions contradictoires des gouvernements locaux, à l’instar de la « pêche en eaux profondes », pratique qui consiste à taxer arbitrairement les sociétés pour compenser la perte de leurs revenus fonciers…
Un geste de confiance
A ce stade donc, il n’y a pas de quoi trop s’enthousiasmer, d’autant que ce n’est pas la première fois que Xi fait de telles promesses aux grands patrons. En novembre 2018, alors que Trump tirait sa première salve douanière, le dirigeant chinois avait promis aux entreprises privées des baisses d’impôts et davantage d’accès aux marchés publics. Cela ne l’a pas empêché de donner par la suite son feu vert à une campagne de reprise de main tous azimuts du secteur privé.
Ainsi, la tenue de ce symposium en 2025 n’exclut en rien la possibilité d’un recadrage à l’avenir, notamment dans le domaine de l’intelligence artificielle. Mais les investisseurs ont eu ce qu’ils voulaient : un geste de confiance venant du plus haut niveau de l’Etat. Reste à voir maintenant si Pékin va joindre l’acte à la parole lors de la session annuelle du Parlement début mars.
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