Camille a quitté la France il y a 9 ans pour s'installer à Jingdezhen. Devenue Kami, cette passionnée de céramique ouverte au langage de la nature nous explique pourquoi elle a décidé de développer sa carrière en Chine.
Je suis inspirée par la nature depuis mon enfance
Qui es-tu, Camille?
Je suis née dans le sud-ouest de la France dans une petite ville du Lot-et-Garonne, Agen. J’ai passé mon enfance entre la forêt des Landes et des bancs de sables du bassin d’Arcachon à la côte du pays Basque. Chaque été je me souviens regarder l’océan parler aux vagues et collectionner des coquillages avec la curiosité d’un explorateur dans la quête d’un nouveau monde.
J’ai grandi dans des champs de tournesols du sud-ouest et des champs de blés. Mon grand-père m’a appris à faire du chewing-gum avec le blé frais. La forêt des Landes et ses marécages était un autre terrain d’exploration pour moi enfant mais à la différence de l’océan une exploration portée sur moi même, sur mes sens.
Repérer le nord à la pousse de la mousse sur le tronc des arbres, les odeurs de la terre humide et des feuilles putrides qui nourrissent le sol et la germination des champignons. La forêt pour moi était le terrain du développements de mes sens: l’odorat, l’ouïe, la vision. L’océan - le développement de mon imaginaire et les rêveries d’autres mondes, entre le balancement des vagues mon corps en apesanteurs dans l’eau vert claire et bleu profonde.
J'ai connu la Chine en 2010
Quelle est ta formation?
J’ai fait mon parcours d’études tout d’abord à Toulouse, la ville rose, la ville bohème. Après mon Baccalauréat littéraire je me suis inscrite à l’université où j’ai obtenu une licence en Art Appliqué. C’est à Toulouse que je me suis rapprochée de la porcelaine et c’est avec les années que ce matériaux et devenu mon outil majeur de communication pour l’expression de ma pensée sur le monde, mon langage artistique.
J’ai fait mes débuts dans l’atelier d’un artisan, femme céramiste, et j’ai ensuite eu la chance de continuer à faire des recherches et apprendre de ce médium à la Haute École d’Art et de design de Genève en Suisse sous la direction du céramiste artiste suisse Philippe Barde. J’ai suivie un enseignement d’un an qui m’a amené à avoir un diplôme d’étude supérieur et j’ai fait la rencontre en Suisse d’une céramiste artiste hollandaise Bastienne Kramer qui m’a offert la possibilité de poursuivre mon travail à l’école d’art de la Gerrit Rietveld Academy. Mon premier voyage en Chine s’est fait en 2010 accompagné par Bastienne et d‘autres étudiants de l’école.
A la fin de mes études à Amsterdam j’ai suivi un parcours d’études au Royal College of Art à Londres, au département design.
Je vit à Jingdezhen depuis 10 ans
Quand es-tu arrivée en Chine et dans quelles circonstances?
C’est en 2015 après la fin de mon parcours d’études que je me suis décidée à venir m’installer à Jingdezhen en Chine.
Quand je suis venue à Jingdezhen pour la première fois je me suis sentie désorientée par le champ des possibles, j’avais l’impression de pouvoir tout faire et donc je me suis recentrée sur la question plus centrale du pourquoi faire, pourquoi créer, pour qui ? Qu’est ce que l’acte de création ? Dans une certaine mesure les restrictions en Europe sont plus nombreuses et plus importantes, elles font partie de l’acte de créer afin de dépasser ces restrictions, les transformer. En Chine j’ai ressenti qu’il n’y avait aucune restriction, les limites sont juste les limites de notre imagination.
J’ai donc voulu m’installer ici pour agrandir le spectre de mon imagination. Élargir mon vocabulaire artistique.
Jingdezhen est une ville dans laquelle j’aurai passé dix ans à partir de l’année prochaine. Une ville qui a ce jour continue à me subjuguer comme la fleur de tournesol par ces contrastes de laideurs et de beautés, une ville comme la fleur de tournesol qui appartient à la campagne, au travailleur des champs, à la terre et qui aussi a une portée internationale. J’espère au travers de ce travail pouvoir partager toutes mes années d’expériences et d’assimilation à cette ville et les sentiments que je lui porte.
La Chine c'est la culture de l'invisible
Qu’est-ce qui t’inspire dans tes créations?
L’apprentissage de la céramique et un apprentissage long et intense. Obtenir une forme à partir de la terre, comprendre les changements de cette forme et la tensions des courbes et des lignes lors du rétrécissement à la cuisson est une des première chose à savoir. Chaque terre a des propriétés différentes et une élasticité plastique singulière. Les cuissons aux bois, aux gaz et aux four électrique changent aussi les paramètres des propriétés de la terre. Ensuite viennent les couleurs, les émaux, les engobes, les oxydes, les terres sigillées le champs des possibles est très vaste et la palette de couleurs est infinie.
Jingdezhen est la ville la plus riche et la plus variée pour la réalisation de la céramique que ce soit pour la mise en forme par le tour, par la main, par le moulage, le coulage ou le coulage sous pression chaque atelier est spécialisé dans une technique de mise en forme. Il en va de même pour les cuissons et les couleurs chaque personnes a sa spécialité ce qui fait que cette ville est techniquement la plus aboutie de toutes les autres villes du monde. La différence culturelle joue aussi dans le statut de cette ville.
La culture traditionnelle chinoise est sensiblement plus attachée à l’invisible qu’au visible. Pour s’emparer de l’invisible et le maîtriser il faut nécessairement être plus méticuleux dans les détails.
Jingdezhen est une ville extrêmement détaillée dans tout les aspects de la production de la céramique. C’est une source d’inspiration très importante dans ma vie personnelle et dans mon travail.
J'ai appris le chinois sur le terrain
Comment te débrouilles-tu en chinois?
Je n’ai pas fait de formation pour apprendre le mandarin c’est donc petit à petit de par mon expérience de vie que j’ai appris à m’exprimer en chinois. C’est la rencontre avec Bastienne Kramer qui m’a donné le courage et la confiance en mes capacités pour m’adapter à une langue étrangère.
J’avais d’abord refusé de continuer mes études à Amsterdam par peur de mon niveau d’anglais mais Bastienne m’a poussée à me débrouiller et à continuer de progresser de façon organique en étant chaque jour confronté à la langue et au besoin de s’exprimer. Pour elle mon niveau d’anglais n’était pas un problème à partir du moment où chaque jour je pouvais apprendre et progresser en étant dans un environnement anglophone. Elle a eu raison et j’ai aujourd’hui un excellent niveau d’anglais et j’ai appliqué la même chose ici en Chine pour apprendre le mandarin.
Aujourd’hui je parle couramment chinois, je suis fluente à l’orale mais je suis limitée à l’écrit et à la lecture.
Le tourisme a repris en Chine
Est-ce facile d’être la seule laowai de Jingdezhen?
Non ce n’est pas du tout facile, hahaha…
Au delà des différences culturelles, des habitudes de vies sociales différentes, de la nourriture qui est extrêmement épicée dans le Jiangxi le plus difficile est que c’est une province riche en resources naturelles mais économiquement très pauvre. Elle se développe sur le tard ces dernières années avec l’activité du tourisme. Il y a donc très peu d’étrangers qui vivent à plein temps ici.
Par conséquences tout le système de l’administration sur place a peu d’expérience vis à vis des étrangers pour leur permettre de faire les démarches administratives nécessaires pour vivre sur place. C’est donc un casse-tête sans fin pour obtenir un status légal afin d’avoir une activité ici.
C’est deux dernières années néanmoins des progrès ont été faits pour faciliter la demande d’extension de visa pour permettre aux personnes étrangères de prolonger leur séjours sur place et de nourrir une industrie culturelle plus variée et plus attractive aussi pour le commerce touristique.
Mes réalisations sont partout dans le monde
Quel est ton plus grand accomplissement à ce jour? Ce dont tu es la plus fière.
Je pense avoir fait plusieurs accomplissements et aussi ne rien avoir accompli du tout à ce jour. Avant de m’installer en Chine j’ai reçu différents prix pour mon travail. Une de mes pièces est dans la collection permanente du Bauhaus Museum à Berlin. J’ai aussi une de mes pièces en Corée dans la collection permanente du musée de la céramique à Séoul. La majorité de mes pièces se trouvent dans des collections privées.
Entre 2015 et 2023 j’ai passé sept années en Chine sans revenir en France, c’est peut-être un accomplissement aussi en soi, s’immerger complètement dans une culture différente, mourir pour renaître. Comme la coupe des arbres pour les laisser pousser encore plus grand plus robuste. ….
Et quels sont tes projets dans l’immédiat?
Dans l’immédiat je travaille sur une série de tournesols. C’est une fleur moins délicate que toutes les autres. Une fleur sans parfum mais qui attire tout de même tous les regards.
C’est une fleur avec des poils, des feuilles écorchées et froissées pourtant son cœur et captivant et ses pétales radient la chaleur de sa générosité.
C’est une fleur populaire, une fleur des champs, de la campagne, des hommes qui travaillent la terre et qui vivent avec le ciel et les saisons.
C’est une fleur qui regarde de l’Ouest à l’Est et qui de sa vie garde son cœur rivé vers le ciel. C’est une fleur qui a une symbolique universelle.
Quand je peins des tournesols je peins une fleur , je peint aussi une personne, un état d’émotions. Parfois arrogant, parfois fatigué, parfois agressif de beauté et d’ardeur, parfois faible et timide sous le poids du ciel, parfois confident et mature, parfois maladroit et parfois je recherche le contraste entre la beauté de la fleur et la laideur de ces feuilles. Les différences de lignes entre ses pétales concentriques radiantes et ordonnées et le désordre de ses feuilles, la dureté de sa tige parfois rigide parfois tordue.
Le tournesol pour moi et un sujet classique à premier regard pour l’observateur. Un sujet simple qui portant est riche et complexe de pleins de symboliques et évocateur de la nature du cœur humain, de son aptitude au bonheur, à l’amour.
Pour beaucoup le tournesol fait penser à Van Gogh et pour moi si je fais une référence à Van Gogh c’est plus une réflexion entre l’époque de Van Gogh et la mienne et le sujet de l’exile.
Être l’étranger attiré par la beauté et la lumière d’un autre monde dans la quête non de le conquérir mais de l’aimer. De communiquer sur sa beauté, partager ces sentiments avec les autres.
L’exilé est toujours un voyageur qui dialogue avec l’âmes des lieux, des choses , des gens qu’il rencontre sur son chemin.
Je souhaite rester en Chine
Et qu’envisages tu à plus long terme?
À plus long terme, je souhaite continuer à travailler en Chine, la tension que crée la rapidité du changement de l’environnement ici est une énergie stimulante et addictive .
Je suis une artiste. Je me suis recluse durant plusieurs années pour réinventer ma vision du monde et enrichir mon vocabulaire et je souhaite maintenant revenir sur la scène artistique internationale. La scène artistique chinoise est très animée mais le marché de l’art est encore un marché centré en occident.
En Chine c’est un marché en devenir mais qui n’a pas encore de pouvoir d’influence majeur. Globalement il est encore centré sur des pièces plus décoratives que sur du contenu.
En tant qu’occidentale française l’enrichissement de mon vocabulaire et de ma vision artistique est incontestable du à mes années de vie ici mais ce n’est pas facile de trouver une audience sur place pour partager mon travail.
Pour finir, décris-moi une journée “type” de Kami.
Je n’ai pas vraiment de journée type, mais j’ai des habitudes régulières, des choses que je fais au quotidien.
Méditer, m’occuper de mes chats, prendre soin de mes plantes, continuer mes recherches de couleurs d’émaux. Aller marcher dans la nature.