Numéro deux de l’ambassade de France à Singapour, Ariane Trichon est une femme inspirante. Consciente, dès ses études, des sacrifices inhérents à une carrière diplomatique pour une femme, elle s’y engagera néanmoins avec conviction et dévouement. Après vingt ans au sein du ministère des Affaires étrangères, elle se livre sur son parcours, son rôle de première conseillère de l’ambassade et sur ses engagements, notamment en faveur de l’égalité hommes-femmes.
Quel est votre parcours ?
Ariane Trichon : Je suis née et j’ai grandi à Paris. Après mon bac, j’ai intégré des classes préparatoires littéraires au lycée Fénelon, puis fait une licence d’histoire à la Sorbonne et Science Po en section européenne. En parallèle, j’ai validé une maîtrise de grec moderne à l’Institut national des langues et civilisations orientales (INALCO). En décidant de faire Science Po, je savais que j’allais m’orienter vers des concours administratifs et embrasser une carrière diplomatique. Dans le cadre de mes études, je suis partie une année en Allemagne pour étudier la langue que je ne connaissais pas et pour me préparer aux concours du Quai d’Orsay que je visais déjà.
Pourquoi avez-vous choisi la diplomatie ?
Plusieurs facteurs sont à l’origine de cette vocation. Tout d’abord, j’ai toujours nourri un intérêt pour le service public et mesuré son importance. Mon père était professeur, sa passion et son dévouement pour son métier m’ont profondément influencée. Très jeune, j’ai su que, moi aussi, j’allais m’orienter vers le service public et l’État. Le choix de la diplomatie ne s’est profilé que plus tard, même s’il était évident en raison de mes origines biculturelles. Je suis grecque par ma mère, qui elle-même a une mère hongroise, et française par mon père. Très tôt, j’ai eu la conviction qu’une vie exclusivement française, en France, n’allait pas me suffire. J’avais une appétence pour l’étranger, un goût pour les voyages, une envie de découvrir d’autres cultures. Deux stages durant mes études (à Athènes et à Bonn), expériences concrètes sur la vie d’une ambassade, m’ont par la suite confortée dans ce choix.
Vous avez démarré votre carrière au Conseil de l’Europe…
Oui, bien que parisienne, j’ai immédiatement été affectée à Strasbourg au sein de notre représentation permanente auprès du Conseil de l’Europe, du fait de mon tropisme européen. Cette expérience a été très enrichissante car elle m’a plongée tout de suite dans le fonctionnement d’une ambassade, avec les missions de négociation et de représentation qu’elles impliquent. Cela intervenait aussi après l’effondrement du bloc de l’ex-Union soviétique et la volonté des nouvelles démocraties de l’Europe de l’Est de se rapprocher de l’Union européenne.
Cela fait maintenant vingt ans que je suis diplomate. J’ai occupé diverses fonctions, tant à l’international – en Grèce, en Belgique, et maintenant à Singapour – qu’en France. J’ai eu la chance d’être en charge de sujets passionnants, touchant tant à la diplomatie multilatérale que bilatérale. À Paris, j’ai rejoint la Direction de l’Union européenne où je m’occupais spécifiquement de l’Italie et de la Grèce et la Direction d’Afrique sur le dossier de Madagascar. J’ai également fait de l’aide au développement et des ressources humaines. J’ai notamment été responsable du recrutement des secrétaires de chancellerie, véritables chevilles ouvrières des ambassades.
Vous avez un parcours riche et très varié. Qu’avez-vous préféré ?
Ma première affectation à l’étranger, à Athènes, où j’ai été nommée conseillère de presse, un poste au contact de la société civile et qui a coïncidé avec une période faste pour ce pays avec l’organisation des Jeux Olympiques en 2004. La gestion des ressources humaines m’a aussi passionnée, à Paris et à Bruxelles. Tout ce qui est du ressort de l’humain m’intéresse : les parcours professionnels, les formations, le management.
Au-delà de mes missions professionnelles, je suis sensible à l’aspect politique du pays qui nous accueille, à sa politique étrangère bien entendu, mais également à son suivi et aux liens qu’il est possible de tisser. Aujourd’hui, mon parcours varié est une aide précieuse pour exercer mes fonctions actuelles qui sont profondément transversales.
Justement, pourriez-vous nous expliquer plus précisément votre rôle à l’ambassade ?
Contrairement à celui de l’ambassadeur, le poste de Premier conseiller/Numéro deux est loin des projecteurs. Il est pourtant essentiel au bon fonctionnement d’une ambassade. J’ai l’habitude de me considérer comme une tour de contrôle et un interface. Une tour de contrôle, car je veille au travail collégial, à la mise en œuvre de notre plan d’action et au bon fonctionnement de notre ambassade. Un interface, car je suis à l’écoute de chacun des collègues, quelle que soit leur position. J’effectue au quotidien un travail d’animation et de coordination (à l’occasion, par exemple, de visites officielles ou l’organisation de grands événements). Je suis la vie de l’ambassade sous tous ses aspects : ressources humaines, dialogue social, budget, allocation des ressources, sujets immobiliers, communication, sécurité.
Vis-à-vis de l’extérieur, mes missions relèvent d’une charge diplomatique classique. J’entretiens des relations avec les différents ministères singapouriens et l’ensemble des ambassades et en particulier la délégation de l’Union européenne, sans oublier la communauté française (lycée français, chambre de commerce, conseillers du commerce extérieur, associations, etc.).
Enfin, en l’absence de l’ambassadeur, je suis chargée d’affaires et donc amenée à assurer ses fonctions.
C’est un travail prenant qui exige de la flexibilité, de l’écoute et un bon relationnel.
Quel regard portez-vous sur la place des femmes au sein de la diplomatie ?
Les femmes font partie intégrante de la diplomatie française et en termes de chiffres, nous sommes à parité (52 %). Avec un bémol néanmoins : plus on monte dans la hiérarchie, et vers des postes à responsabilités, moins les femmes sont nombreuses et elles restent moins représentées en catégorie A. Il existe par conséquent un enjeu pour permettre aux femmes d’accéder à ces postes.
À mon sens, les femmes qui embrassent la diplomatie ont énormément de mérite. Cette carrière a un coût humain très fort. Elle est fondée sur la mobilité régulière, sur le déracinement, sur le sacrifice, notamment du conjoint qui suit. Car quoi qu’on en dise, les hommes restent moins nombreux à quitter leur poste pour suivre leur femme, que l’inverse.
Quelle est la meilleure façon de promouvoir la place des femmes au sein du ministère des Affaires étrangères ?
Notre diplomatie doit être représentative de notre société. Je suis contente d’observer que, depuis quelques années, le ministère s’empare du sujet et mène une politique proactive de promotion des femmes, sous l’impulsion d’une association inspirante (« Femmes et diplomatie »). Des efforts ont été faits pour recruter des femmes ambassadeurs et des mesures ont été déployées pour assurer l’égalité professionnelle et garantir des évolutions de carrière satisfaisantes pour les femmes (aménagement du temps de travail, coaching…). Sur le plan international, la France défend également un agenda ambitieux en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes.
Vous semblez très investie dans ces questions de parité et d’égalité…
Oui, je fais partie à Singapour d’un réseau de femmes Numéros deux. L’objectif est d’échanger sur les bonnes pratiques et de promouvoir cet agenda. Nous avons mené une campagne de communication sur les réseaux sociaux au moment de la Journée des droits de la femme, pour valoriser les messages sur la parité et l’engagement des femmes.
J’ai aussi à cœur d’encourager les efforts pour faciliter le travail du conjoint(e) .Il y a deux ans, en partenariat avec la section locale du réseau International Dual Carrier Network (IDCN), soutenu par le Quai d’Orsay et la chambre de commerce, nous avons organisé à l’ambassade une séance d’information pratique pour faciliter les recherches d’emplois des conjoints d’agents, expliquer le marché de l’emploi à Singapour, donner des conseils, etc. J’envisage d’organiser un nouvel événement de ce type à l’automne prochain.
L’ambassade a également participé à l’organisation du premier Women’s Forum à Singapour l’année dernière. Plateforme dédiée à la promotion du rôle des femmes dans nos sociétés, cet événement a donné la parole à des femmes de l’Asie du Sud-Est qui se sont exprimées sur les grand défis actuels et la façon dont elles évoluent ou arrivent à concilier vie professionnelle et vie personnelle. Une deuxième édition aura lieu en septembre prochain.
Quel regard portez-vous sur Singapour ?
C’est un pays très accueillant. Bien qu’originaire de Paris, ville à la croisée de différentes cultures, je suis frappée par l’écosystème multiculturel incroyable qu’offre Singapour. Pour moi, un exemple marquant c’est la culture des Hawker Centers qui illustre à la fois la diversité culturelle (et culinaire !), la cohabitation pacifique et la cohésion sociale. Ce modèle social, fondé sur une politique urbaine inclusive qui évite les ghettos, est inspirante. C’est un modèle dirigé, mais c’est terriblement efficace !