Nommé ambassadeur de France à Singapour le 6 janvier 2025, Stephen Marchisio entend donner une nouvelle impulsion à la présence française à Singapour. Ancien Directeur adjoint d'Asie-Océanie pour le ministère de l'Europe et des Affaires étrangères, conscient des enjeux économiques et du dynamisme de la communauté française, il tient à “inscrire la France dans les dynamiques singapouriennes tout en promouvant nos valeurs”


Vous avez pris vos fonctions d’Ambassadeur de France à Singapour en janvier 2025, obtenant vos lettres de créance le 18 février. Quelles sont vos premières impressions de Singapour ?
J'étais déjà venu à Singapour, je savais à quoi m'attendre. Je dois dire que ce qui m’a le plus étonné est le nombre de Singapouriens ayant fait des études en France. J’étais surpris de voir que beaucoup parlent français et connaissent bien notre culture, et notamment notre gastronomie et nos vins, un aspect auquel je ne m'attendais pas.
Qui est Stephen Marchisio, nouvel ambassadeur de France à Singapour ?
Singapour est aussi une ville très verte, ce qui contraste avec son image de métropole ultramoderne. Cette volonté d'aménagement reflète une prise de conscience écologique. Bien que leur économie ne soit pas à ce jour décarbonée, le pays s'est engagé à atteindre la neutralité carbone d'ici 2050 et il s’y tient. Cet enjeu est stratégique et s'inscrit dans un contexte régional où les équilibres sont complexes. Singapour est petit en superficie mais je le vois, leur trajectoire verte correspond aux objectifs qu’ils ont pris.

Près de 1.000 entreprises françaises sont implantées à Singapour, et nous bénéficions d'un excédent commercial important avec ce pays.
Votre expérience en tant que Directeur adjoint d'Asie-Océanie pour le ministère de l'Europe et des Affaires étrangères vous a permis d'avoir une vision approfondie de cette région. Quelles sont, selon vous, les principales opportunités et les plus grands défis pour la France en Asie du Sud-Est ?
L'Asie du Sud-Est compte 677 millions d'habitants, et possède de nombreux accords avec l’UE. Il y a, selon moi, un effet miroir entre les deux régions du monde. La zone, appelée communément la zone indo-pacifique est un centre névralgique du commerce mondial par où transitent 90 % du commerce maritime mondial. La région a une place géographique et géopolitique centrale aujourd’hui et attire de nombreux investisseurs : les États-Unis, la Chine et le Japon y sont très actifs et ont bien compris la position stratégique de l’Asie du Sud-Est. L'Union européenne y est présente, mais avec une marge de progression, en termes de positionnement et part de marché.
Pour la France, les opportunités sont multiples. Près de 1.000 entreprises françaises sont implantées à Singapour, et nous bénéficions d'un excédent commercial important avec ce pays. Toutefois, certains secteurs comme l'aéronautique n'ont pas encore retrouvé leur niveau d'avant-Covid. L'objectif est donc de renforcer notre présence et nos investissements. Le pays représente notre deuxième excédent commercial au monde. J’ajoute que la position neutre de Singapour, dans un contexte de rivalité sino-américaine, lui permet d’être incontournable. Les stratégies business sont dans le de-risking, le fait de prémunir des risques et dévier les chaînes de valeur. Singapour est réellement une terre d’opportunités.
L’Asie du Sud-Est pour se lancer en 2025 ? "Foncez, vos concurrents y sont déjà…"
Emmanuel Macron fait le discours d’ouverture de l'événement. Cette invitation témoigne du rôle diplomatique majeur de la France dans la région.
Emmanuel Macron prévoit un déplacement en Asie du Sud-Est, notamment à Singapour lors de IISS Shangri-La Dialogue du 30 mai au 1er juin. Quels sont les objectifs de ce déplacement ?
Depuis 2017, le président Emmanuel Macron a pris en compte les opportunités de l’Asie du Sud-Est et fait de l'Asie une priorité. En 2018, il avait invité le Premier ministre singapourien au défilé du 14 juillet. Une visite en retour était prévue, mais le Covid l'a retardée. Cette visite reprend donc le fil diplomatique interrompu. Les Singapouriens ont invité le Président de la République au IISS Shangri-La Dialogue*. Cette année, Singapour célèbre les 60 ans de sa création et de ses relations diplomatiques avec la France puisque nous avons été parmi les premiers États européens à reconnaître la cité-Etat en 1965.
Reconnu comme le premier sommet de défense en Asie, le dialogue Shangri-La de l'IISS est une réunion unique où les ministres débattent des défis de sécurité les plus pressants de la région, s'engagent dans d'importants pourparlers bilatéraux et élaborent ensemble de nouvelles approches. L'édition 2025 a lieu à Singapour du 30 mai au 1er juin.
Emmanuel Macron fait le discours d’ouverture de l'événement. Il est le premier chef d’Etat européen et du P5 (les cinq membres permanents du conseil de sécurité des Nations unies — la Chine, la France, la Russie, le Royaume-Uni, et les États-Unis) à être invité à en faire l’ouverture. Cette invitation témoigne du rôle diplomatique majeur de la France dans la région. L’intervention est symboliquement et diplomatiquement très importante. J’ajoute, à quelques mois de la nouvelle présidence américaine, que la question ukrainienne devrait s’inviter dans la visite du Président.
Mon objectif est de renforcer les liens entre la France et sa communauté expatriée, en facilitant leur intégration et en valorisant leur contribution à notre influence locale.

Quelle relation souhaitez-vous avoir avec la communauté française à Singapour ?
La communauté française de Singapour est la quatrième d'Asie, après la Chine, la Thaïlande et le Japon. Officiellement, elle compte plus de 12.000 inscrits au registre consulaire, mais nous estimons qu'elle pourrait atteindre 25.000 à 30.000 personnes. C'est une population jeune, avec 38 % de moins de 18 ans et 27 % entre 18 et 40 ans. La communauté est très présente, les autorités singapouriennes m’en parlent souvent.
Depuis mon arrivée, je veille à rencontrer la communauté dans toute sa diversité : associations, entreprises, chercheurs, étudiants, entrepreneurs... Le Lycée français de Singapour joue un rôle central, accueillant près de 3.000 élèves. Il a d’ailleurs été renommé International French School, ce qui a la vertu d’attirer d’autres nationalités et développer ce vaisseau amiral de l’enseignement français de l’étranger en Asie, dans un secteur éducatif très compétitif. Plus généralement, mon objectif est de renforcer les liens entre la France et sa communauté expatriée, en facilitant leur intégration et en valorisant leur contribution à notre influence locale.
La qualité du français parlé par certains Singapouriens est souvent surprenante, et il y a un véritable intérêt pour la langue et la culture françaises
Quelle place accordez-vous à la francophonie ?
Nous avons justement organisé le jeudi 27 février une réunion du groupe des ambassadeurs francophones et des pays associés à l’Organisation internationale de la Francophonie. Ce groupe existe depuis plusieurs années et joue un rôle clé dans la promotion de la francophonie à Singapour.
Concernant la francophonie, chaque année, à la fin du mois de mars, nous organisons un Festival de la Francophonie, afin de proposer une programmation culturelle variée. Nous projetons notamment des films en français ou sous-titrés en français, et nous essayons de croiser les cultures et les langues pour transmettre des valeurs qui nous tiennent à cœur, tout en respectant le cadre singapourien. Par exemple, lors de la rencontre du 27 février, nous avons évoqué la possibilité d’inclure un film égyptien en arabe sous-titré en français.
Nous mettons en avant des œuvres d’art, des auteurs et des artistes. Nous réfléchissons cette année à la mise en valeur d’un créateur franco-vietnamien cette année, notamment sur les réseaux sociaux via un compte dédié que nous allons relancer pour l’occasion (francophoniesg). Bien sûr, la francophonie reste peu présente à Singapour en termes de nombre de locuteurs. Mais la qualité du français parlé par certains Singapouriens est souvent surprenante, et il y a un véritable intérêt pour la langue et la culture françaises comme je l’évoquais en début d’entretien.
Nous avons la chance d’avoir des athlètes français très engagés dans la promotion de notre pays.
Quel rôle jouent la culture et le sport dans le rayonnement de la France à Singapour ?
Sur le plan culturel, Singapour est un terrain très favorable. Nous avons la chance de pouvoir nous appuyer sur l’Alliance Française, un lieu emblématique et réputé doté d’une salle de cinéma de 240 places, qui joue un rôle central dans la diffusion de la culture française. Nous organisons aussi deux grands événements annuels Le festival "Voilah!", au printemps, qui coïncide d’ailleurs avec la visite du président de la République en mai 2025. Il y a aussi le French Film Festival, en novembre. Je souhaite inscrire la France dans les dynamiques singapouriennes tout en promouvant nos valeurs.
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J’ajoute aussi que Singapour accueille également de nombreuses compétitions sportives. Nous avons la chance d’avoir des athlètes français très engagés dans la promotion de notre pays. Les frères Lebrun, jeunes champions de tennis de table, sont venus ici début février 2025. Ils ont été très accessibles et enthousiastes de participer à des événements en lien avec la communauté française. En février 2025, Céline Boutier, championne française de golf, a participé au HSBC Championship à Singapour. La diplomatie sportive est une vraie opportunité pour renforcer notre rayonnement dans la région.
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J’invite tous ceux qui s’intéressent à Singapour et à la relation entre la France et cette région à nous suivre sur nos réseaux (franceinsg).
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J’invite tous ceux qui s’intéressent à Singapour et à la relation entre la France et cette région à nous suivre sur nos réseaux (franceinsg). Nous avons mis en place plusieurs séries pour explorer Singapour sous un angle parfois inattendu : des sujets décalés, des aspects méconnus de son histoire, ou encore des dossiers sur les relations franco-singapouriennes. Que vos lecteurs soient expatriés ou simplement curieux, ils trouveront dans nos publications des informations riches et diversifiées. Et surtout, nous sommes preneurs de leurs retours et de leurs idées.
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