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Connaissez-vous les shophouses, fleuron de l’architecture urbaine de Singapour ?

De nombreuses rues de la cité-État sont bordées de ces charmants bâtiments aux allures et couleurs variées, qu’on retrouve dans la plupart des pays d’Asie du Sud-Est. Mais connaissez-vous l’histoire, les caractéristiques, et les différents styles de ces maisons, qui ont été bâties entre 1840 et 1960 et qui sont de plus en plus prisées ?

Shophouses sur Neil road (© Wikimedia)Shophouses sur Neil road (© Wikimedia)
Shophouses sur Neil road (© Wikimedia)
Écrit par Jean-Michel Bardin
Publié le 25 janvier 2025, mis à jour le 28 janvier 2025

 

 

Les shophouses, un héritage de la Chine du Sud revu par Raffles

Trois ans après son débarquement à Singapour, Sir Stamford Raffles, « le fondateur du Singapour moderne », émet des directives régissant le type de bâtiments qu’il préfère dans le paysage urbain : des maisons de deux étages, avec un commerce ou un atelier au rez-de-chaussée et le domicile du propriétaire au-dessus, avec un passage couvert de 5 pieds de large du côté de la rue (« five-foot way »), permettant aux piétons de pouvoir circuler à l’abri du soleil, de la pluie, et de la circulation des véhicules, et un passage à l’arrière de la maison (« back-alley ») pour des raisons de sécurité (évacuation en cas d’incendie) et d’intendance (entrée des domestiques et des livreurs).

Ce modèle est inspiré par les maisons avec cour, qui existent dans les provinces du Sud de la Chine, d’où venaient l’essentiel des immigrants à Singapour, et qui ne sont pas sans rappeler les maisons romaines ou arabes, où les pièces sont organisées autour de cours intérieures. Il ne reste plus qu’une maison de ce type à Singapour : la maison de Tan Yeok Nee, située à la jonction de Clemenceau avenue et de Penang road.

 

La shophouse n’est pas propre à Singapour. Elle existe dans toute l’Asie du Sud-Est, partout où des communautés chinoises se sont implantées.

 

La maison de Tan Yeok Nee (©URA)
La maison de Tan Yeok Nee (©URA)

 

 

La structure fixe des shophouses  : dans un contexte urbain de plus en plus dense, les shophouses se sont transformées en séries de bâtiments contigus, à la façade étroite (4 à 5 m), car sa largeur détermine sa taxation, mais très profonds (4 à 5 fois sa largeur), avec une cour intérieure (voire deux) pour permettre la ventilation et l’éclairage de l’habitation. Les plafonds sont assez hauts et la maison est recouverte de toits de tuiles. Une shophouse peut avoir jusqu’à trois étages et sa façade est symétrique. 

 

 

Structure type d’une shophouse (© URA)
Structure type d’une shophouse (© URA).png

 

 

A partir des années 30, c’est l’art déco, plus sobre et plus économique, qui inspire les shophouses.

 

Les différents styles de shophouses (©URA)
Les différents styles de shophouses (©URA)

 

 

L’évolution des styles des shophouses dans le temps

Différents styles se sont développés au fil des décennies. Les premières shophouses furent construites à partir de 1840. Jusqu’à la fin du 19ème siècle, elles restent petites (seulement un étage et une à deux fenêtres en façade) et peu décorées.

 

Exemple de shophouse du 19ème siècle
Exemple de shophouse du 19ème siècle

 

Au début du 20ème siècle, les shophouses commencent à s’agrandir, tant en hauteur (avec un étage supplémentaire) qu’en largeur (jusqu’à 3 fenêtres en façade). Jusqu’à la grande dépression de 1929, leur décoration devient de plus en plus élaborée, inspirée tant par l’orient que par l’occident, tout cela culminant avec le style rococo chinois. A partir des années 30, c’est l’art déco, plus sobre et plus économique, qui inspire les shophouses. Beaucoup des shophouses de cette époque ont leur date de construction inscrite au fronton. Avec les années 50, les shophouses deviennent plus fonctionnelles et encore plus hautes, utilisant des techniques modernes et revenant à des décorations minimales.

 

 

Exemple de style rococo chinois (© Roots)
Exemple de style rococo chinois (© Roots)

 

 

Aujourd’hui, il faut compter une dizaine de millions de SGD pour pouvoir s’offrir une shophouse

 

 

De l’abandon à la revalorisation des shophouses 

Jusqu’aux années 1960, la conservation du patrimoine n’était pas la priorité de Singapour, le gouvernement se concentrant sur le logement et l’emploi de ses habitants. Dans ce contexte, beaucoup de shophouses furent progressivement laissées à l’abandon.

Mais, à partir des années 70, des règles ont été mises en place pour préserver non seulement les monuments, mais aussi les bâtiments reflétant l’héritage architectural de Singapour. Aujourd’hui, plus de 7000 bâtiments sont ainsi protégés dont des quartiers entiers de shophouses. Cela a permis de leur redonner tout leur lustre et conduit à une forte revalorisation de leur statut. Le charme de ces maisons, souvent dans des quartiers calmes, conduit entreprises et particuliers fortunés à vouloir s’y établir, faisant monter leur prix a des sommets vertigineux : aujourd’hui, il faut compter une dizaine de millions de SGD pour pouvoir s’en offrir une. 

 

Shophouse à l’abandon en 2006 (© Creazilla)
Shophouse à l’abandon en 2006 (© Creazilla).png

 

La même shophouse que ci-dessus en 2024(© Tripadvisor)
La même shophouse que ci-dessus en 2024(© Tripadvisor)

 

 

 

Quelques shophouses sont ouvertes à la visite, la plus intéressante étant sans doute la NUS Baba house sur Neil Road

 

 

Où admirer les plus beaux spécimens à Singapour ?

Il y a des shophouses un peu partout à Singapour, même dans des quartiers périphériques, anciennement habités. Mais les plus beaux spécimens se trouvent dans les quartiers centraux classés, notamment autour de Chinatown, Emerald Hill, Kampong Glam, Little India, Joo Chiat, Katong et Geylang. Deux livres, écrits par Tatiana Kildisheva et disponibles dans les bibliothèques publiques, proposent un parcours illustré dans deux ensembles de quartiers à shophouses emblématiques : l’un, dans Chinatown, Blair Plain, Duxton Hill, et Tanjong Pagar, et l’autre dans Joo Chiat, Katong, et Geylang.

 

Shophouses sur Jalan Kayu, au Nord de Singapour
Shophouses sur Jalan Kayu, au Nord de Singapour

 

Si les shophouses sont belles de l’extérieur, leur intérieur est parfois encore plus séduisant. Quelques shophouses sont ouvertes à la visite, la plus intéressante étant sans doute la NUS Baba house sur Neil Road, qui fait revivre l’atmosphère d’une maison peranakan traditionnelle du début du 20ème siècle. Parmi les autres shophouses visitables, citons Katong Antique House sur East Coast road et The Intan sur Joo Chiat Terrace, qui sont des musées privés peranakan.

 

 

C’est un monde quasiment infini, qui est plein de beauté et bien décrit dans le magnifique livre de Julian Davidson, Singapore shophouses 

 

 

L’intérieur de la NUS Baba house (© Olivia Kwok)
L’intérieur de la NUS Baba house (© Olivia Kwok)

 

Les milliers de shophouses qui parsèment Singapour ont toutes leur charme et chacune leur spécificité en matière de forme et de décoration : sculptures et décorations murales, couleurs, huisseries, toiture, carrelage, inscriptions, fresques, céramiques, loggias, escaliers extérieurs en colimaçon, … C’est un monde quasiment infini, qui est plein de beauté et bien décrit dans le magnifique livre de Julian Davidson, Singapore shophouses, également disponible dans les bibliothèques publiques.

 

 

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