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Emmanuel Lepage, dessinateur-voyageur

Emmanuel Lepage voyage BDEmmanuel Lepage voyage BD
Emmanuel Lepage, photo Damien Hé
Écrit par Bertrand Fouquoire
Publié le 1 janvier 1970, mis à jour le 19 mars 2018

Dessinateur, écrivain et grand voyageur, Emmanuel Lepage est l’auteur de très nombreux ouvrages de Bande Dessinée et d’illustrations. Depuis les années 2010, il s’est aussi fait une spécialité du BD reportage, un genre qui lui permet de rendre compte graphiquement de voyages en terres lointaines, isolées, battues par les vagues … ou irradiées. L’auteur, entre autres, d’Un printemps à Tchernobyl, de Voyage aux iles de la désolation et d’Ar-men est à Singapour du 19 au 31 mars, invité par le Lycée Français de Singapour (LFS), où il travaillera avec les élèves, en classe de dessin, sur un projet de Bande Dessinée.

Votre activité de dessinateur semble être indissociable des voyages. Comment ceux-ci inspirent-ils votre travail ?
Emmanuel Lepage - J’essaye de lier les deux passions. J’ai beaucoup voyagé. Cela a beaucoup nourri mes histoires en BD. Mes histoires de fiction avaient souvent pour cadre des pays que j’avais parcouru. Depuis 2010 je fais de la BD de reportage. Cela a commencé en partant dans les terres australes françaises, aux iles Kerguelen, Crozet et Amsterdam. Cela s’est poursuivi avec Tchernobyl. J’ai besoin de partir pour embarquer dans une nouvelle aventure graphique. Sur place il y a beaucoup de choses qui se passent. Cela induit un développement du dessin plus spontané et plus vif.

Comment travaillez-vous ?
- Quand je voyage, je fais essentiellement des croquis. Une fois de retour, je regarde comment, à partir de ce matériau, je peux construire une histoire. Cela peut prendre pas mal de temps. Au début, ce sont les dessins qui me portent. Progressivement, le scénario se met en place. Le genre du BD reportage me permet de combiner trois choses que j’aime faire : les croquis, la Bande Dessinée et les illustrations. « Voyage aux iles de la désolation » (aux Kerguelen) a été le tout premier album de ce genre. Pour moi c’était un bouquin très expérimental. Je ne savais pas nécessairement où j’allais. Je sentais qu’il y avait quelque chose.

Vos voyages vous ont mené à plusieurs reprises dans des terres réputées très inhospitalières, comme Tchernobyl, qui comportaient des risques pour votre santé. Comment est né un tel projet ?
- J’ai fait ce voyage de 3 semaines à Tchernobyl dans le cadre de l’association dessinacteurs. La démarche était de réaliser sur place, à proximité et au cœur de la zone qui avait été irradiée après l’accident de la centrale de Tchernobyl en 1986, un carnet de voyage qui serait vendu au bénéfice d’une association qui faisait venir en France des enfants contaminés. A l’issue du voyage, un carnet a été publié : « Les fleurs de Tchernobyl ». Après quelque temps j’ai eu le sentiment que cela ne suffisait pas et j’ai prolongé le récit par une BD « Un printemps à Tchernobyl ». Ce voyage m’a énormément marqué.

Un printemps à Tchernobyl

Et chaque fois, vous vous rendez sur place ?
- C’est difficile de raconter des histoires comme celle-ci sans aller sur place, sans rencontrer les gens. Je ne suis pas journaliste. J’ai besoin de dire d’où je viens. Quand je suis allé en Antarctique, je n’étais plus seulement « témoin » mais aussi « acteur » d’une mission polaire. J’étais un des chauffeurs de ce qu’on appelle «le grand raid » , le convoi de ravitaillement de la base de Concordia au cœur du continent Antarctique ..

Dans « Un printemps à Tchernobyl », vous vous mettez vous-même en scène. On vous y voit multiplier les croquis et les portraits. On voit aussi les réactions des personnes dont vous réalisez le portrait…
- Le dessin, les gens le vivent rarement comme une agression. C’est plutôt vu avec bienveillance. La réalisation de portraits est un moment que j’aime beaucoup parce qu’il y a une expérience très forte de complicité. Les gens ont par rapport au dessin une réaction extrêmement bienveillante qui renvoie probablement à l’expérience de dessiner que l’on a tous eu à un moment donné particulièrement dans la petite enfance.

Combien de temps cela prend-il de réaliser un portrait ?
- Ca va assez vite, sinon, le dessin perd en énergie et en spontanéité. Cette une contrainte positive : cela oblige à penser plus vite, à synthétiser.

Quand vous faites ce type de BD Reportage est-ce dans la perspective d’un livre ou d’une publication dans un magazine ?
- La BD de reportage est un genre qui se développe avec des revues comme la Revue dessinée ou XXI. J’ai été beaucoup sollicité pour faire des bandes dessinées de terrain.  Il m’est arrivé de travailler sur des histoires courtes. Je suis ainsi allé à Fukushima faire une BD pour la Revue Dessinée. Le travail que j’ai réalisé en une journée était évidemment très différent de celui que j’avais fait à Tchernobyl où j’étais resté sur place pendant 3 semaines.

Votre dernier album, « Ar-men », raconte le célèbre phare, au large de l’ile de sein, à travers 3 récits où s’entremêlent l’histoire de ses derniers gardiens, celle de sa construction et l’évocation de la ville d’Ys.
- Ar-men est une fiction qui s’inspire de faits réels. J’ai eu l’occasion il y a 2 ans de participer à l’émission Thalassa. Le responsable de l’émission avait besoin d’un dessinateur pour mettre en scène des éléments qui ne pouvaient être filmés : la construction du phare, les naufrages… Grâce à cette émission j’ai pu accéder au phare qui est fermé. Il est situé en pleine mer et n’est accessible que par hélitreuillage. Il est évident, que sans les moyens de Thalassa, je n’aurais jamais eu la possibilité de vivre une telle expérience. Je me suis assez rapidement dit que je pourrais en faire une BD, sans savoir au départ si ce serait un reportage ou une fiction.

Ar-men

Le thème de la mer est très présent dans votre œuvre.
- Depuis quelques années, je développe pas mal le thème de la mer. J’ai eu la possibilité de passer un mois sur un bateau. C’était l’occasion de la sentir. Je prends de plus en plus de plaisir à la représenter

Comment êtes-vous venu à la Bande Dessinée ?
- Je crois que j’ai toujours dessiné. Quand j’étais adolescent, j’ai eu la chance de rencontrer Jean Claude Fournier qui était dessinateur de Spirou. Beaucoup de gens le sollicitaient pour des illustrations. Il répondait qu’il n’avait pas de temps mais qu’il était entouré de tout un tas de dessinateurs. C’est ainsi que j’ai eu l’opportunité, dès 16 ans, de publier des dessins dans des journaux tels que Ouest France.

Terres australes

Vous avez aussi fait des études d’architecture. Cette formation a-t-elle eu une influence sur votre travail de dessinateur ?
- L’architecture était une manière de m’ouvrir sur d’autres choses. Le principal apport de ces études c’est d’avoir appris à faire des croquis.
 Dans mes livres, j’attache beaucoup d’importance au décor. J’essaye de faire en sorte qu’il participe à l’histoire et fasse écho à l’état émotionnel de mes personnages.

Vous partez bientôt à Singapour pour y travailler avec les élèves du LFS, quelle représentation en avez-vous ?
- Je ne connais pas Singapour, si ce n’est pour l’avoir survolé lors de précédents voyages dans la région. L’image que j’en ai, a priori, est celle d’une mégapole. Je suis très enthousiaste à l’idée de découvrir Singapour, mais je me retiens de lire sur le sujet. D’une manière générale, j’évite de préparer trop mes voyages. J’ai toujours la crainte qu’une trop grande préparation nuise à la découverte. J’espère revenir avec un carnet plein de croquis, et donc un regard plus aiguisé sur Singapour et les personnes que j’aurais rencontrées. Quand je dessine, j’ai l’impression d’être un peu plus présent au monde .

 

 

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