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LE POETE DE PROXIMITE - Souvenir du temps où il pleuvait

Écrit par Lepetitjournal Singapour
Publié le 1 janvier 1970, mis à jour le 18 mars 2014

Ce soir, il a plu. Comme il ne pleut jamais.
Il a plu sur les rues, les maisons, les voitures, les gratte-ciel.
L'eau a inondé le chemin pour rentrer chez nous.
Il a plu sur les bus qui ne pouvaient plus s'arrêter aux arrêts
Où les gens attendaient abrités debout sur les bancs
Car il y avait trop d'eau sur le trottoir
Pour y poser le pied.
 
Je suis resté longtemps
Debout moi aussi
Sur un banc de l'abribus
A regarder le ciel se fendre d'éclairs
Et l'eau ruisseler sur la route
Éclabousser en vagues gigantesques
À chaque passage de voiture.
 
Et tout est rentré en moi.
 
Pourtant la ville était debout.
La vie buvait tout son saoul
L'ivresse de l'orage.
J'ai vu les lumières de la ville continuer de briller
Et le ciel s'est répandu partout en moi.
 
J'ai vu pleuvoir des rires et des corps dessinés par la lumière.
J'ai vu le soleil avant l'orage.
Cela n'arrive qu'une fois
Et c'était au beau milieu de la nuit,
Là où demain avance à reculons
Pour rentrer dans le jour sans briser l'espace.
 
Et tout est rentré en moi.
La pluie a inondé ma gorge,
Dévasté mes reins.
L'eau a dévalé la pente de mes souvenirs
Et a tout emporté sur son passage.
Elle a englouti mes connaissances
Et la cité intérieure que je m'étais construite,
Que je m'étais juré de défendre.
 
Pourtant les forteresses continuaient de défendre la ville.
Les tours restaient ouvertes.
On pouvait encore acheter des robes et des bijoux.
On pouvait encore retirer de l'argent pour continuer d'acheter encore.
La pluie n'arrêtait pas tout.
 
Mais elle est rentrée en moi.
Et a tout inondé.
Elle a ruiné ma vue, brouillé mes sens.
Réduit à néant le battement de mon cœur.
Brisé mes muscles, fait fondre ma chair et mes os.
A broyé sous la vitesse de son courant
Les derniers morceaux de ma vie.
Elle a rincé toutes mes joies précaires.
Dévasté mon apparence humaine.
Balayé ma capacité à tenir debout.
Noyé ma silhouette et mon ombre.
 
Mon souffle a rendu l'âme.
Mon dernier souffle.
 
La tourmente ne connaissant pas la fin,
Mes mains ne pouvaient plus s'accrocher nulle part.
 
Le bus est passé devant moi.
Il m'a arrosé car l'eau a giclé sous ses roues.
J'ai tenté d'appeler le chauffeur
Au secours
Mais ma voix aussi
Était noyée,
Emportée par la force du courant.
 
Pas besoin de me débattre, ni de nager ,
Plus aucune rive,
Plus aucun rivage,
Plus aucun monde n'était à ma portée.
 
Ce soir il a plu. Comme il ne pleut jamais.
Même mon papier est humide.
 
J'écris ce poème avec l'encre
Des dernières gouttes de pluie.
Tout est rentré en moi
Comme dans un moulin.
 
Je me sens rêver au printemps.
Renaître sous les nuages.
Qui dessinent l'arc-en-ciel.
 
Ce soir il a plu. Comme il ne pleut jamais.
Tout est rentré en moi.
 
Tout.
 
Et je renais.
 
Je suis le pays
 

 
De la dernière pluie.

Marien Guillé (www.lepetitjournal.com/singapour) mercredi 19 mars 2014

Les CHRONIQUES DU POETE DE PROXIMITE sont une manière différente de réagir à l'actualité. Lepetitjournal a donné carte blanche à Marien Guillé, pour qu'il laisse courir sa plume et vous propose, chaque semaine, le mercredi, à la place des brèves, un regard poétique sur les sujets qu'il aura glané à Singapour et qu'il lui prendra la fantaisie d'évoquer sous des formes variées.

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Publié le 18 mars 2014, mis à jour le 18 mars 2014

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