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Retour vers le futur et le passé avec l’écrivain à succès Victor Dixen

Victor DixenVictor Dixen
@Samantha Rayward
Écrit par Laurence Onfroy
Publié le 27 novembre 2019

À l’occasion de son passage à Singapour pour le Singapore Writers Festival, rencontre passionnante avec Victor Dixen, auteur dont l’imagination n’a pas de limite. Il s’adonne autant au genre de littérature fantaisie (Fantasy en anglais) qu’à la science-fiction, naviguant ainsi entre les époques, nourri par les histoires et contes de son enfance, et intrigué par le futur de l’humanité.

Né d’un père danois et d’une mère française, il a eu la chance de parcourir l’Europe durant sa jeunesse, et en a gardé le goût des voyages et des histoires. Il a vécu plusieurs années aux Etats-Unis, dans le Colorado au pied des montagnes Rocheuses, puis à Dublin en Irlande, et à Singapour dans une vieille maison chinoise. A présent, il partage son temps entre Paris et New York avec sa famille et ses deux chats.

Pour cet entretien, pour le PetitJournal.com de Singapour, nous nous sommes donnés rendez-vous dans les salons cozy du Fullerton Hotel à Singapour, quitte à en faire un café littéraire d’une matinée !

 

Victor Dixen, comment êtes-vous devenu écrivain ?

J'ai toujours été affamé d'histoires, et j'ai passé mon enfance plongé dans les livres et lu beaucoup de contes de fées ! Ma mère étant française, bien sûr les contes de Perrault, et mon père étant danois, les contes d'Andersen. Ce sont d'ailleurs ces deux inspirations qui m'ont suivi dans ma vie d'écrivain, et je m'en suis beaucoup servi dans mes premiers romans fantaisie. Perrault dans ma série Le Cas Jack Spark et Andersen dans Animale, ma seconde série fantastique.

 

Vous dites que vous avez perdu le sommeil, et que cela vous a permis de vous réaliser en tant qu'écrivain. Pouvez-vous nous raconter ?

Je ne sais pas si je l'ai perdu, ou si je ne l'ai jamais eu. Je faisais beaucoup d'insomnies et de somnambulisme étant petit. Il y a notamment cet épisode lorsque j'étais au Danemark, j’avais une dizaine d'années. Je suis allé au Tivoli à Copenhague, c’est le plus vieux parc d'attraction au monde. Cela coïncide avec ma première crise de somnambulisme, certainement à la suite d’un excès de montagnes russes.

Pendant l'adolescence, j'ai séjourné plusieurs fois dans des laboratoires du sommeil. On vous met des électrodes sur la tête, des sangles abdominales et thoraciques pour mesurer la respiration et le rythme cardiaque, tout cela est mis en équation et analysé selon les cycles de sommeil. Dans mon cas, on a découvert que j'ai peu, ou pas du tout, la “phase 4” du sommeil, celle du sommeil profond. Par ailleurs, certaines nuits, ma phase de sommeil paradoxal est très réduite : c’est le moment où l’on rêve.

 

L’écriture est donc la part de rêves que vous ne pouvez pas faire la nuit ?

Comme le disait Gérard de Nerval, y a-t-il un épanchement du rêve dans la vie réelle ? Peut-être, je n'en suis pas sûr.

Ainsi j’ai décidé d'arrêter de lutter contre mes insomnies, mais plutôt de les adopter et d'en faire un mode de vie pour l'écriture.

Les heures qui sont les plus productives et les plus inspirantes pour moi sont celles de la fin de la nuit et du petit matin. Il n'y a que l'histoire que je suis en train d'inscrire écrire, je suis seul avec mon cahier et mon écran d'ordinateur, il y a le silence... C'est mon instant de grâce avec l'écriture jusqu'à ce que le monde se réveille.

 

Qu'est-ce qui vous a poussé à écrire vos premiers romans, la tétralogie Le cas Jack Spark, dont le premier tome a remporté le Grand Prix de l’Imaginaire Jeunesse 2010 ?

Adolescent, j'écrivais des contes inspirés par les histoires de Ray Bradbury (auteur reconnu pour ses romans de fantaisie et science-fiction), les romans de J.R.R. Tolkien, comme Le Seigneur des Anneaux, ou encore bien sûr les contes de Perrault et Andersen.

Rédiger un roman, c’est une forme d'écriture longue, qui demande une astreinte, une discipline et une régularité dans l'écriture. Ce n’est vraiment qu’à partir de l'âge adulte que j'ai pu aborder cette forme, mettant à profit mes heures d’insomnie. C’est devenu un rendez-vous quotidien avec moi-même, avec mon histoire.

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On dit souvent que les premiers romans ont une dimension autobiographique forte, et c'est bien le cas avec Le cas Jack Spark, qui est l'histoire d'un adolescent insomniaque. Ce jeune garçon new-yorkais lutte contre ses insomnies, il se sent très fatigué au collège, et ses parents l'envoient dans une clinique située dans le Colorado aux US où l'on prétend soigner les adolescents à problème. Ils ont tout essayé auparavant, y compris les laboratoires du sommeil. Ils n'ont pas trouvé d'autre solution.

Jack va y découvrir des méthodes spéciales et inattendues pour soigner des adolescents comme lui, mais il va également se rendre compte que ses insomnies sont les symptômes d'éléments surnaturels.

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Le cas Jack Spark est de l'ordre de la fantaisie urbaine, cela se passe de nos jours, et petit à petit des éléments surnaturels et merveilleux viennent se glisser dans le récit. Les éléments fantastiques proviennent des contes, mais je n'en dirais pas plus pour ne pas "divulgacher" (comme disent les Canadiens) le roman afin que les lecteurs puissent le découvrir par eux-mêmes.

 

Parlez-nous des autres romans que vous avez écrit ensuite ? La série Animale.

À travers la série Animale, j'ai essayé de mettre en lumière la face cachée des contes, et notamment de deux d'entre eux : Boucle d'or et La Reine des neiges. Le premier tome a gagné le Grand Prix de l'Imaginaire en 2014.

C’est plus une série de l'ordre de la fantaisie historique, cela se passe dans le passé.

L'inspiration pour ce roman provient cette fois-ci d'un rêve que j'ai fait, court comme d’habitude. J'étais dans une forêt profonde, et je marchais vers une chaumière, sans réussir à l'atteindre. Au moment où j'ai tenté d'ouvrir la porte, je me suis réveillé. Je me suis immédiatement rappelé ce conte que l'on me racontait lorsque j'étais tout petit, celui de Boucle d'or et les trois ours.

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C'est un des premiers contes que l'on raconte aux enfants. Cette petite fille se perd dans la forêt, découvre une chaumière, ouvre la porte, et voit trois chaises devant elle, près d'une table, avec trois bols. Très fatiguée, elle a très faim, elle choisit de manger dans l'un des trois bols ; puis, épuisée, elle va se coucher dans l'un des trois lits à l'étage de la chaumière.

Ce qu'elle ne sait pas, c'est que trois ours vivent dans cette maison, et lorsqu'ils rentrent chez eux, ils la réveillent. Elle prend peur, et s'enfuie par la fenêtre.

Le conte s'arrête là. En relisant cette histoire après mon rêve, je me suis aperçu qu'il n'y avait pas de fin ! Cela est tout à fait inhabituel pour des contes. D'habitude, il y a une morale, ou une vraie fin heureuse du type “ils se marièrent et eurent beaucoup d'enfants”.

Dans le conte de Boucles d'or, la fin est juste une fuite. En réalisant cela, je me suis dit que je devais absolument retrouver la trace de cette Boucle d'or, découvrir qui elle était, savoir ce qu'elle était devenue par la suite, et l'imagination s'est lancé sous forme d'enquête.

J'ai situé mon roman vers les années 1830 – date de la première publication du conte de Boucle d'or par un auteur anglais nommé Robert Southey –, pendant la monarchie de juillet en France, après l'épopée napoléonienne, au moment où la France se cherchait un destin. C'est un cadre très romanesque

 

Vous changez ensuite complètement de registre en écrivant un roman de science-fiction futuriste avec Phobos qui comprend cinq tomes, dont une trilogie principale. Vous imaginez le futur avec la conquête de Mars, dites-nous en plus.

En effet, ce roman est complètement futuriste. Dans la série Phobos, je regarde vers le ciel nocturne, et vers notre avenir en tant qu'espèce éternellement attirée par la lumière des étoiles... et par la lumière de la gloire.

Mes différents romans de science-fiction tournent toujours autour de ce progrès technologique de nos jours de plus en plus rapide, qui transforme nos vies et qui parfois nous dépasse.

Dans Phobos, il y a vraiment deux inspirations.

La première source d’inspiration est la relance de la conquête spatiale. Quand j'ai commencé à écrire, on parlait de la planète Mars comme de la prochaine frontière de l'humanité, il y avait une espèce d’engouement autour de Mars, similaire à celui qu'il y avait eu pour la Lune dans les années 60. La technologie spatiale d’aujourd'hui nous permettrait d'aller sur Mars, la NASA a d’ailleurs promis d'envoyer les premières personnes dès 2030. Certains entrepreneurs privés comme Elon Musk avec SpaceX veulent aller plus vite encore. Je me suis dit que c'était le moment ou jamais “d'inventer”, avant que ne cela se passe pour de vrai.

La deuxième inspiration pour ce roman provient du fait que je me suis rendu compte que nous étions sur Terre entourés d'écrans, omniprésents, pour le meilleur et pour le pire…  C’est la fascination que nourrit notre société pour les images. Les écrans règnent autour de nous … télé-réalité, réseaux sociaux, smartphones. Ce jeu de miroirs autour de nous ressemble un peu à une prison.

J’ai vu un paradoxe entre l’appel infini de l’espace d’un côté, et l’enfermement des écrans de l’autre. J’ai voulu raconter une histoire qui mêle à la fois l’excitation de la conquête spatiale et les rouages de la machine médiatique, en essayant de pousser aussi loin que possible chacun de ces deux thèmes.

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Mes personnages sont les douze astronautes du programme Genesis, l'émission de speed-dating la plus folle de l'Histoire, destinée à créer la première colonie humaine sur Mars. Ils auront cinq mois de voyage à bord du vaisseau pour apprendre à se connaître à travers de speed dating filmés, et une fois arrivée sur la planète rouge ils vont devoir se marier et créer les premières familles extraterrestres. C'est bien un aller simple, car la technologie que l'on maîtrise aujourd'hui permet d'envoyer les gens sur Mars, mais pas de revenir. Nous n’avons pas les moyens de nous extraire du puit gravitationnel martien une fois que nous y sommes tombés.

 

Vous travaillez sur le futur pour vos romans. Comment faites-vous vos recherches, ? Consultez-vous des experts ? Futurologue etc.

Dans le passé, j’ai travaillé pour des entreprises dans le département développement et innovation. Cela se rapproche de la prospective. J'ai toujours eu une curiosité pour ce qui se passe dans le monde, et en particulier pour les signaux faibles, les petits événements qui surgissent ici et là, et dont on peut supposer qu'ils vont donner naissance à de grands mouvements culturels et sociaux. C'est quelque chose qui me passionne. Il me semble que la marche du monde s'est accélérée cette dernière décennie, et notamment du fait de la technologie. Tout cela est très inspirant ! Il y a de grandes promesses avec la technologie mais aussi des défis, des inquiétudes, et c'est particulièrement flagrant pour l'intelligence artificielle.

 

Vous avez consacré un livre à l'intelligence artificielle avec le roman Cogito. C’est un thriller technologique dans lequel vous imaginez une société victime de la robotisation effrénée. Quelles sont vos interrogations au travers de ce livre ?

Je me suis rendu compte que l'intelligence artificielle allait complètement bouleverser notre société en révolutionnant la médecine, l’industrie, l’agriculture, l'écologie ... et je pense à la destruction créatrice de Joseph Schumpeter qui a toujours fonctionné au siècle dernier, avec des métiers qui disparaissaient, des métiers qui apparaissaient. Je pense que cela va être différent avec la révolution de l'intelligence artificielle qui va toucher tous les métiers, les cols bleus et les cols blancs. Même les métiers dits « intellectuels », même les tâches cognitives non répétitives, celles qui sont a priori les moins standardisables, sont à terme menacées d'être remplacées par des intelligences artificielles.

Le métier d'écrivain ne fait pas exception ! Je me suis rendu compte qu'il y a aujourd'hui dans des laboratoires des intelligences artificielles qui écrivent des bouquins !

victor dixen

 

Ce grand bouleversement à venir pose la question du travail. C’est une valeur-clé de notre civilisation, d’une part parce qu’il permet la répartition des richesses ; et d’autre part de manière plus profonde, plus ontologique, parce qu’il définit notre place dans la société, notre utilité sociale. Si demain la machine nous remplace, qu'est-ce qu'il nous restera ?

Il y aura non seulement un appauvrissement généralisé mais aussi une perte de sens. C'est le plus grand danger.

Hollywood a beaucoup parlé de la révolte des machines, avec par exemple Terminator ... moi je pense que ce n'est pas là le danger de l'intelligence artificielle. Le danger, c'est qu'elle nous dépossède de ce qui fait de nous des humains dans la société. La révolution de l'intelligence artificielle a déjà commencé. Selon moi, elle ne fait pas encore assez l'objet d'un débat démocratique, et reste trop du domaine des experts.

Il me semble que les écrivains et la fiction ont un rôle à jouer pour produire des histoires à ce sujet, afin que les gens se l’approprient. C'est l’une des raisons qui m’ont poussé à écrire Cogito.

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Copyright Singapore Writers Festival

Effectivement, j’y suis venu en tant que lecteur car à l’époque mes livres n'était pas encore traduits en anglais. Je donc très heureux de pouvoir aujourd'hui y participer et échanger avec d'autres auteurs dans le cadre de table rondes et d'évènements.

C'est un festival pour lequel j'ai beaucoup d'affection car il est très convivial, familial, il permet de rencontrer des auteurs venus du monde entier.

À titre personnel, c'est également nostalgique pour moi de revenir dans cette ville où j’ai vécu cinq ans, et d’y retrouver mes marques.

J'ai d'ailleurs écrit les deux premiers tomes de Phobos à Singapour !

 

Votre prochain roman Extincta va paraître le 28 novembre 2019 chez Robert Laffont, et il parle d’urgence écologique. Les pires prédictions climatiques se sont réalisées, le Grand Effondrement a eu lieu et presque toutes les espèces animales se sont éteintes. Les derniers humains essaient de survivre … est-ce difficile d’explorer un sujet comme cela ?

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Copyright Victor Dixen

Si la littérature de science-fiction doit nous permettre d'explorer le futur, cela doit être tous les possibles, y compris les plus sombres, y compris l'extinction de notre propre espèce. C'est ce que j'essaye d'imaginer dans Extincta, tout en gardant l'idée que l'espoir ne s’arrête jamais. C'est une donnée fondamentale de l'espèce humaine. Comment garde-t-on espoir dans une situation où l'on sombre vers une issue fatale ? Où il n'y a aucune échappatoire ? C'est vraiment le cœur de ce roman et de cette histoire.

Pour moi, il y a au XXIème siècle deux grands défis que je qualifierais d’existentiels, dans le sens où le destin de l'Homo sapiens est en jeu.

Le premier défi étant celui de l'intelligence artificielle, j'en ai parlé dans mon roman Cogito. Il y a énormément de promesses mais aussi de grandes menaces, notamment à travers le remplacement des humains par les robots dans le travail.

Le deuxième défi existentiel dans ce siècle est beaucoup plus connu du grand public, c'est celui de l'urgence écologique avec le spectre de l'effondrement écologique. Si cela continue au rythme où l'on va aujourd'hui, on risque d'avoir un cercle vicieux, c’est à dire un emballement qui nous échapperait complètement.

Au niveau du réchauffement climatique, une majorité d'experts dit que l'on peut encore éviter le réchauffement excessif qui s'auto-entretiendrait en prenant des mesures collectives et drastiques. Certes, une minorité d'experts affirme aussi qu'il est déjà trop tard.

Il faut savoir qu'aujourd'hui les espèces vivantes s'éteignent à un rythme de 100 à 1000 fois supérieur au rythme naturel. Nous sommes vraiment dans la sixième extinction de masse, si l'on se place dans l'histoire de la vie sur Terre. Le fantôme qui se profile derrière le réchauffement climatique et l'extinction de masse, c’est celui de l'effondrement écologique. Les Anglosaxons appellent cela “the collapse”, c'est-à-dire l'effondrement de toute la biosphère. Tel est donc le sujet de mon dernier livre : c'est l'histoire de l'extinction de l'espèce humaine tout simplement. Un futur possible que nous, humains du XXIème siècle, pouvons encore éviter !

 

victor dixen
Copyright Laurence Onfroy

 

 

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