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Rencontre avec Yahia Belaskri, l’écrivain aux racines nomades

Journaliste, écrivain, Yahia Belaskri a façonné une langue qui lui est propre, tissée d’errance, d’histoire et d’humanité. Se définissant comme un homme "de partout et de nulle part", il déploie une littérature du déracinement et de l’appartenance universelle. Rencontre.

Yahia BelaskriYahia Belaskri
Photo : G.Garitan. / Yahia Belaskri
Écrit par Juliette Brunel
Publié le 11 mars 2025, mis à jour le 12 mars 2025


Mes racines, je les porte sur ma tête.
 

L’écriture comme naissance

“Je suis écrivain. C’est tout.” Yahia Belaskri ne s’embarrasse pas d’appellations vaniteuses. Il a été journaliste, bien sûr. À Radio France Internationale, dans plusieurs journaux, avant de basculer définitivement vers la fiction. Mais ce qu’il est, ce qu’il revendique, c’est être écrivain. “Tout est une question de désir. On écrit parce qu’on sent qu’on a quelque chose à dire.”

 

 

 

 

L'écrivain Yahia Belaskri lors de sa venue à Valencia le 18 février organisée par La Base Culture et le Parlement des écrivains de la Méditerranée
Photo : Yu-Jin Albrecht. / L'écrivain Yahia Belaskri lors de sa venue à Valencia, en Espagne, le 18 février organisée par La Base Culture et le Parlement des écrivains de la Méditerranée.

 

 

 

Son premier roman, il l’écrit après un choc intime : le décès de sa mère. “Elle m’a donné naissance une première fois, puis une seconde, en faisant de moi un écrivain.” Depuis, il ne s’arrête plus. Tous les jours, devant son ordinateur, plongée dans une langue qu’il façonne avec exigence. Il cherche le rythme, la musicalité. Le sourire en coin, il martèle : “Chacun forge sa propre langue, c’est là que réside le miracle de la littérature.”

 



 

 

Un pied en Algérie, l’autre partout

 

 

 

ville d'Oran en Algérie
Photo : YACINE K, CC BY 2.0 / Ville d'Oran, en Algérie.

 

 

 

Né à Oran en 1952, Yahia Belaskri quitte l’Algérie en 1989. “Là-bas, j’écrivais des poèmes, mais j’étais très jeune”, confie-t-il. C’est à Paris que l’écriture prend véritablement corps, la France devenant son souffle, son cocon. Mais pas son seul territoire. “Je suis méditerranéen, africain, français, espagnol, haïtien même, pourquoi pas ?”

Pour lui, l’ancrage est une chimère : “Mes racines, je les porte sur ma tête. Les hommes et les femmes se déplacent comme les arbres qu’on déracine et qu’on replante ailleurs.” Cette vision irrigue toute son œuvre. Une longue nuit d’absence explore les exils entre Algérie et Espagne, Si tu cherches la pluie, elle vient d’en haut plonge dans les années noires algériennes, Le Livre d’Amray interroge la guerre et la transmission. Son prochain roman, pourtant, quitte la Méditerranée. Direction l’Arménie, pour une histoire située en 1909. “Les Arméniens me sont chers, comme tous les êtres de ce monde.”

 

Retrouvez en avril le premier recueil de poésie de Yahia Belaskri « De sable et de vent » aux éditions Asmodée Edern. Son prochain roman « N’oublie pas notre Arménie – Les carnets de Maritsa », quant à lui, sortira le 8 mai en librairie, aux éditions Zulma.

 

 

 

 

Une discipline rigoureuse

Derrière son écriture fluide et poétique se cache une rigueur sans faille. Yahia Belaskri écrit tous les jours, sans exception. “De 8h à 23h, je suis devant mon ordinateur.” Quand il voyage, il emporte toujours un carnet, prêt à noter une phrase entendue, un regard croisé, une émotion fugace. Son processus est lent, méthodique. Certains textes prennent des années. “Deux mois pour écrire deux pages, parce que je voulais une phrase sans verbe.” Il laisse les mots infuser, mûrir. “Un roman peut prendre cinq ans.” Ce n’est pas une contrainte, c’est une nécessité : chaque texte doit trouver son propre souffle, sa propre musique.


 

 

 

yahia belaskri
Photo : Yu-Jin Albrecht. / Yahia Belaskri.

 

 

 

 

 

L’humanisme en étendard

Lire Yahia Belaskri, c’est entendre une voix qui ne cesse de marteler : nous sommes une seule et même famille humaine. “Les gens font des différences, parlent de noirs, de verts, mais nous avons les mêmes aspirations, les mêmes chagrins.” Il s’insurge contre les inégalités et s’interroge sur la violence du monde. “Quand une bombe tombe sur votre maison, quand vous n’avez ni eau ni toit, comment fait-on ?”

La mémoire et l’histoire sont au cœur de ses récits, mais toujours avec cette volonté de relier, de réconcilier. En témoigne son intérêt pour Camus, autre enfant d’Algérie, qu’il revendique comme une inspiration, aux côtés de Kateb Yacine, Pablo Neruda ou Gabriel Garcia Marquez. Et si on lui demande pourquoi il a tout laissé tomber pour écrire ? Il répond simplement : “Parce que j’aime le monde, les êtres, les femmes et les hommes.”