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La Juste aux 2.500 enfants : l'histoire d'Irena Sendler, résistante polonaise

Figure longtemps oubliée et pourtant marquante de l'histoire du ghetto de Varsovie, Irena Sendler a risqué sa vie pour sauver des milliers d'enfants de l'extermination. Reconnue Juste parmi la Nation, elle a été le fil conducteur de la visite menée par Varsovie Accueil à travers les vestiges du ghetto.

Irena Sendler - image libre de droitIrena Sendler - image libre de droit
Écrit par Lepetitjournal.com Varsovie
Publié le 22 juillet 2024, mis à jour le 2 octobre 2024

Une jeunesse de résistance à l'antisémitisme

Irena Sendler, née le 15 février 1910, grandit à Otwock, banlieue ouvrière de Varsovie. Elevée par un père travaillant dans l'aide sociale pour les pauvres, membre du parti socialiste polonais, elle rejoint avant la Seconde Guerre mondiale l'Union de la jeunesse polonaise démocratique de gauche.

Elle se montre révoltée par les mesures antisémites dès leur mise en vigueur en Pologne, en 1937. La jeune Irena est alors étudiante à l'université de Varsovie et choisit de s'opposer à l'« apartheid » qui s'y déroule : alors que les juifs n'ont pas l'autorisation de s'asseoir sur les mêmes bancs que les non-juifs, Irena, de confession catholique, s'assied à leurs côtés.

 

La naissance d'un ghetto dans la ville et dans les esprits

Lorsque la guerre éclate en 1939, une série de discriminations radicales frappe la population juive, comme le port d'un brassard avec l'étoile bleue de David, l'identification des magasins juifs, la confiscation de leurs biens, etc. En décembre 1939, 30.000 juifs polonais sont envoyés dans des camps de travail et très rapidement succèderont les déportations pour aboutir en 1942 à la « Solution Finale ».

La création du ghetto de Varsovie débute quelques mois après l'invasion de la Pologne. Dès le début de l'occupation, les Allemands ont pour objectif de regrouper les juifs dans des ghettos en vue de leur déportation ultérieure sous prétexte d'isoler les maladies contagieuses dont ces derniers seraient porteurs...

Le 12 octobre 1940, les nazis annoncent que les juifs ont un mois pour déménager dans le quartier leur étant réservé à Varsovie; ils sont 138.000 à s'y entasser. 40% de la population de Varsovie se trouve en effet rassemblée dans 8% de la superficie de la ville ! Dès le 16 novembre 1940, le ghetto est isolé du reste de la capitale: un mur de 3 mètres de hauteur est érigé - y compris par les juifs eux-mêmes qui sont forcés de participer à sa construction. 

 

Rue Próżna, à Varsovie. Photo : Flickr
Rue Próżna, à Varsovie. Photo : Flickr

 

Il existe aujourd'hui peu de traces de la vie juive passée de Varsovie. Il est cependant possible d'en voir quelques vestiges, ayant miraculeusement survécu aux destructions engendrées par la guerre. La visite engagée par Varsovie Accueil a pris pour point de départ la rue Próżna, ayant en partie survécu aux destructions. En 1940, une partie de la rue Próżna se trouve enclavée, et un mur l'isolant de la rue Zielna est élevé. En avril 1941, le ghetto a été repensé et la rue en a été exclue. Les juifs qui y vivaient ont été chassés et leurs appartements occupés par des Polonais non-juifs.

 

Synagogue Varsovie. Photo : Flickr
Synagogue Nożyk, à Varsovie. Photo : Flickr

 

Vestige majeur d'une Varsovie juive, la Synagogue Nożyk, toujours en activité, a quant à elle subi d'importants dégâts durant la guerre mais y a survécu. Elle était en effet utilisée par les Nazis comme écurie. 

 

La résistance clandestine de Sendler

Irina Sendler ne s'est pas faite attendre dans les rangs de la résistance. Dès les premiers jours d'occupation allemande, elle rejoint l'aide sociale de la mairie de Varsovie afin de porter assistance aux pauvres. Au sein de ce service se forme un groupe clandestin auquel elle prend part, avec pour objectif de venir au secours des enfants abandonnés, se comptant par centaines. Irena Sendler aide ainsi au placement d'enfants d'origine juive dans des familles non-juives ou dans des orphelinats afin de leur permettre d'échapper à l'enfer du ghetto. Le groupe clandestin prend toutes les précautions possibles en fournissant aux enfants de faux certificats de naissance et enquêtes familiales.

Le gouvernement polonais en exil à Londres crée également le groupement Zegota, chargé de venir en aide aux juifs. Jolenta, l'organisation clandestine d'Irena, en reçoit des fonds salvateurs puisque les autorités allemandes commencent, en 1942, à contrôler les dépenses de l'aide sociale de la mairie.

Irena Sendler, puisqu'elle est employée de mairie, a l'autorisation d'entrer et de sortir du ghetto dans sa mission d'aide, ce qui lui permet de faire transiter des vivres, mais aussi de transporter des enfants hors du ghetto. Certains sont clandestinement emportés par des trams et récupérés hors de la zone  une opération particulièrement risquée pour tous ceux y prenant part.

Dans un ghetto où le rationnement alloue 184 calories par jour et par personne aux juifs - contre des besoins naturels de 2.000 calories - la mort devient omniprésente. À partir de 1942 et le début des déportations, les rations ne sont même plus servies et les habitants du ghetto meurent de faim.


 

Rue Waliców, à Varsovie. Photo : Flickr
Rue Waliców, à Varsovie. Photo : Flickr

 

La rue Waliców témoigne encore de cette ambiance mortifère. Sur les murs, les impacts de balles restent visibles ; il n'est pas rare durant les années de guerre que les Allemands décident aléatoirement de bloquer les issues d'une rue et de fusiller tous ceux qui ont la malchance de s'y trouver. Ainsi, dans les cours intérieures des immeubles peut-on observer des autels de fortune afin que les habitants puissent prier ensemble sans se risquer au-dehors.

En 1942, Irena Sendler est pour sa part nommée chef du département de l'enfance par la Commission d'aide aux juifs. L'aide à l'évasion d'enfants s'accélère, jusqu'à son arrestation en 1943 par la Gestapo. Elle est conduite à la prison de Pawiak et torturée. Les séquelles physiques sont profondes ; ses bras et jambes sont brisés. Elle ne révèle cependant rien sur ses collaborateurs et se voit condamnée à mort. Mais Zegota, en achetant les gardiens de prison, lui évite ce sort.

 

Une reconnaissance tardive

Irena Sendler conserve et enterre, dans un bocal, les noms de naissance des 2.500 enfants sauvés au cours des années de guerre. Au sortir du conflit, la précieuse liste a permis à de nombreux orphelins de découvrir leur identité. Leurs familles ont cependant toutes péri au cours de l'extermination perpétrée par les nazis.

En 1965, Irena Sendler est reconnue « Juste parmi la nation » par Israël ; or les autorités polonaises, communistes, ne lui permettent pas de se rendre en Israël pour percevoir son prix, qu'elle reçoit finalement en 1983. Elle n'obtient la reconnaissance de la Pologne que vingt ans plus tard, alors qu'elle vit seule en maison de retraite. Elle est honorée de l'Aigle blanc, plus haute distinction civile polonaise. En 2007, le président Lech Kaczyński engage une campagne afin que lui soit remis le prix Nobel de la paix mais il est finalement décerné à l'Américain Al Gore.

Le nom d'Irena Sendler n'est porté à la connaissance du grand public qu'en 1999. Trois étudiantes d'une petite ville du Kansas, participant à un concours d'histoire, découvrent par hasard une certaine Irina Sendlerowa, ayant risqué sa vie pour sauver les enfants juifs du ghetto de Varsovie. Les étudiantes transforment ce récit en une pièce de théâtre, La vie dans un bocal ; un projet qui parvient aux oreilles d'Irena Sendler. Celle-ci leur écrit : « mon émotion est assombrie par le fait que personne, parmi mes fidèles collaborateurs qui ont constamment risqué leur vie, n'a vécu assez longtemps pour profiter de l'honneur qui m'incombe. Je suis incapable de trouver les mots pour vous remercier, mes chères filles. Avant que vous n'écriviez La Vie dans un bocal, personne dans le monde ne se souciait de ma personne ni du travail que j'avais accompli. »


Durant les dernières années de sa vie, Irena Sendler continue de recevoir des étudiants, avec pour coutume de répéter « je regrette d'avoir fait si peu ».

 

Irena Sendler. Photo : Flickr
Irena Sendler. Photo : Flickr

 

En 2008, des hommages publics lui sont rendus. Malheureusement trop faible pour y assister, elle confie une lettre à Elzibieta Ficowska, qu'elle avait sauvée alors qu'elle n'était qu'un bébé en 1942. Elle y écrit : « J'appelle tous les gens de bonne volonté à l'amour, la tolérance et la paix, non seulement en temps de guerre, mais aussi en temps de paix. » 

Irena Sendler décède le 12 mai 2008, à l'âge de 98 ans.

 

Remerciements à Varsovie Accueil et à notre guide.

Océane Herrero (lepetitjournal.com Varsovie) - Jeudi 16 novembre 2016

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