L'hiver et le froid arrivant, Varsovie Accueil a proposé sa première visite en intérieur pour la saison 2013-2014. Direction le Musée National, où nous avons eu la chance d'admirer une quinzaine d'?uvres de la Galerie de l'Ancienne Peinture polonaise, commentées en français par une guide. Dans le dédale de salles, que représente seulement la Galerie de l'Ancienne Peinture polonaise, les périodes de la peinture européenne (du classicisme au modernisme) sont comme les pièces d'un puzzle, que nous avons petit à petit reconstituées. Voici une sélection de ce que nous avons découvert
L'art de Cour sous la monarchie
Nous entamons notre visite devant ces six portraits. La forme hexagonale des cadres n'est pas sans rappeler celle des cercueils, et pour cause, ce sont des portraits funéraires. En effet, aux XVIème et XVIIème, dans les familles nobles de la très catholique Pologne, les cérémonies en l'honneur du défunt pouvaient durer des semaines. Inutile d'expliquer que pour des raisons de décomposition et d'odeurs, les cercueils étaient fermés et les portraits posés dessus, afin que tous les proches puissent venir parler une dernière fois au disparu. En province, il est encore possible de voir certains de ces portraits, accrochés au mur des petites églises de campagne.
Le Romantisme
Le Romantisme, mouvement culturel apparu à la fin du XVIIIème siècle en réaction à la tradition classique et au rationalisme des Lumières, n'a pas échappé à la peinture polonaise. Le Portrait d'Adam Mickiewicz sur la Pierre de Judas (1827-1828), de Walenty Wa?kowicz est un parfait exemple des idéaux prônés par les artistes romantiques, à savoir la liberté et l'individualité. Dans cette peinture, le jeune poète polonais, Adam Mickiewicz, la main sur le c?ur, semble inspiré au milieu de ce cadre de nature, qui tient une place très importante pour les Romantiques.
Cette ?uvre de Piotr Micha?owski, Parade devant Napoléon (1837), permet de s'intéresser à d'autres caractéristiques de la peinture
romantique. Si Napoléon Ier a joué un rôle important pour les Polonais, qui ont bien cru qu'il les délivrerait du joug de leurs voisins, ce sont les soldats que Michalowski a voulu peindre ici, d'ailleurs.
Napoléon n'y est même pas représenté. Influencé par Théodore Géricault et Eugène Delacroix, il est le premier à peindre des soldats sans visage, pour rappeler que ce sont ces derniers qui font les guerres et y laissent souvent leurs vies, et non les rois et généraux, qui eux ont droit à leurs portraits.
Une autre ?uvre de la période, qui nous est donné d'admirer, n'est pas des moindres. D'abord grandiose de par sa taille (4,26 sur 9,87 mètres), c'est ensuite le nombre de personnages figurés et la confusion de tous les corps qui frappe. Cette ?uvre monumentale de Jan Matejko, La Bataille de Grunwald (1878), dépeint la bataille éponyme du début du XVème siècle, qui vit s'imposer l'alliance menée par le Roi polonais Ladislas II Jagellon et le Grand-Duc de Lituanie Vytautas (Witold en français) contre les Chevaliers Teutoniques. A la suite de cette victoire, l'Union de Pologne-Lituanie a été la puissance politique et militaire dominante en Europe centrale. Ce succès militaire est devenu symbole de la résistance aux envahisseurs, Prussiens et Russes au XIXème siècle, quand a été peint l'?uvre. On comprend ici que la lutte des Polonais est juste, ils sont les défenseurs du droit, Dieu prie d'ailleurs pour eux, comme nous pouvons le voir au sommet de la peinture. Ainsi, support essentiel du sentiment national polonais, Hitler ordonna la destruction de l'?uvre, qui fut alors décrochée, enroulée et cachée par les Polonais. Les nazis avaient promis une récompense de deux millions de marks à celui qui donnerait des informations sur sa cachette, personne ne parla et l'?uvre put retrouver sa place originelle dans le musée après la guerre.
L'AcadémismeL'Académisme qualifie la peinture sous l'influence des Académies d'Europe dédiées aux Beaux-Arts au milieu du XIXème siècle. Il est caractérisé par un goût très fort pour les thèmes historiques de l'Antiquité et de la religion chrétienne. La Pologne n'existant pas pendant ce siècle, les jeunes désireux d'étudier l'art se rendaient à St Petersbourg, Paris, ou Munich. Henryk Siemiradzki est un des ambassadeurs de ce style aux règles rigoureuses. Sur cette ?uvre, il a peint une jeune martyr chrétienne, morte aux pieds de l'Empereur romain Néron.
Le Réalisme
Les peintres réalistes rejettent l'idéalisation académique et le créationnisme romantique dans le but de montrer fidèlement ce qui les entoure. Ils dénoncent aussi la hiérarchie artistique basée sur le choix des sujets peints et ne veulent plus présenter les héros antiques ou nationaux.
Cette peinture de Jósef Chelmónski, Été indien (1875), a fait scandale car la paysanne a les pieds nus et sales. Pas « bankable » en Pologne, il est parti s'installer à Paris pendant douze ans, où il a continué à peindre les paysages d'Ukraine et de Mazovie, la neige, les chevaux et la campagne, qu'il aimait tant.
Aleksander Gierymski, quant à lui, s'est attaché à peindre des scènes de vie quotidienne dans les quartiers pauvres de Varsovie, notamment Powisle et le quartier juif. Ses ?uvres les plus
fameuses de cette période, telles que Vieille femme juive vendant des oranges (1881), peuvent même s'apparenter au naturalisme, témoignage presque scientifique des réalités sociales. Pour l'anecdote, ce tableau faisait partie de ceux qui avaient disparu pendant la Seconde Guerre mondiale, volés clandestinement par des soldats allemands. Il y a quelques années, une femme d'Hambourg a appelé le conservateur du musée pour le prévenir qu'elle l'avait en sa possession. Le musée a donc acheté le tableau, ne sachant pas si c'était le vrai. Les restaurateurs ont par la suite trouvé le vieux numéro de conservation, attestant qu'il venait bien du Musée National.
Le modernisme
Stanis?aw Wyspia?ski, patriote et engagé, a su conjuguer les tendances du modernisme à la tradition polonaise. Peintre mais aussi poète, il prophétise dans toute son ?uvre la renaissance prochaine de la Pologne, en empruntant aux mythes et aux légendes pour les symboles. Gerbes (1898-1899) en est un exemple : les pieds de roses sont protégés du froid de l'hiver par des « couvertures » de paille, en attendant le printemps. Le peuple polonais, lui aussi, espère le printemps.
Le terme « modernisme » a été adopté dans l'histoire de l'art polonais pour qualifier un phénomène émergent au début du XXème siècle, dans lequel l'artiste lui-même et ses interrogations personnelles sont devenus des thèmes prépondérants. Ainsi, les modernistes s'émancipent des sujets nationaux pour se consacrer pleinement à l'individu, la liberté d'expression et le droit à l'expérimentation. Olga Bozna?ska, dans ce tableau intitulé Dans l'Orangerie (1890), représente une jeune fille au milieu de plantes exotiques, qui ne peuvent pas pousser à Varsovie. Cet univers, où tout pousse artificiellement, matérialise l'état d'esprit des jeunes filles de l'époque, en quête d'émancipation, qui voudrait connaître la vie à l'extérieur (de la serre).
Pour conclure, s'il y avait une idée conductrice à retenir de cette visite, ce serait sûrement que les artistes polonais ont toujours travaillé en réaction au contexte politique de la Pologne (ou de la non-Pologne pendant 123 ans). Cette belle et riche collection invite donc à mieux en connaître l'histoire.
Remerciements à Varsovie accueil: http://varsovieaccueil.pl/
Mathilde Tête (lepetitjournal.com/varsovie) ? Mercredi 20 novembre 2013
Crédits photos: Mathilde Tête
Titres et peintres des oeuvres présentées:
1. Portraits funéraires - XVIIè siècle
2. Portrait d'Adam Mickiewicz sur la Pierre de Judas - Walenty Wa?kowicz - 1827-28
3. Parade devant Napoléon ? Piotr Micha?owski ? 1837
4. La Bataille de Grunwald - Jan Matejko ? 1878
5. La martyr chrétienne - Henryk Siemiradzki - 1897
6. Été indien - Jósef Chelmónski - 1875
7. Vieille femme juive vendant des oranges - Aleksander Gierymski - 1881
8. Gerbes - Stanis?aw Wyspia?ski - 1898-99
9. Dans l'Orangerie ? Olga Bozna?ska - 1890