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Hugo Deux combattant professionnel de MMA : devenir quelqu’un de bien, son poing fort

Entretien avec Hugo Deux, combattant professionnel de MMA signé au KSW (1ere ligue/organisation Européenne), en route pour son entraînement au sein de son club, la Nemesis Pro Team. Le spécialiste des Arts Martiaux Mixtes a accepté de remiser pour un moment ses gants et son protège-dents, pour se livrer sur son parcours, sa carrière de sportif professionnel, les valeurs qui le guident, mais aussi sur son choix de venir vivre en Pologne, en famille. À quelques jours de son prochain combat, Hugo Deux nous a embarqués dans son quotidien, très punchy de sportif professionnel ! Round 1

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Hugo Deux combat dans la cage - Photo STRIFE
Écrit par Cécile Aurand
Publié le 2 février 2025, mis à jour le 1 avril 2025

 

Cécile Aurand Lepetitjournal.com Varsovie : le MMA, c’est un sport qui véhicule beaucoup d’idées reçues, en quoi cela consiste exactement ? 

Hugo Deux : C’est avant tout mon métier !  En fait, pour vous répondre correctement, il y a deux choses :  il y a ce qu’est le MMA et ce que le MMA représente pour moi. Les mix martial arts (arts martiaux mixtes) sont un mélange des sports de combat de frappe (box, kickboxing, taekwondo…) et de sports de combat basés sur la préemption (lutte, judo) et soumission (ju-jitsu, la Luta-Livre). Il se pratique dans une cage, pour des raisons de sécurité : il y a beaucoup de projections et si c’était pratiqué dans un ring, cela serait vraiment dangereux. Avec la cage, il y a un côté gladiateur. 

 

Hugo Deux
Hugo Deux - Photo STRIFE 

 

Et pour vous, le MMA représente quoi ?

Le MMA, c’est mon travail, tout simplement. Je sais que c’est peu commun de dire ça, mais je m’entraîne depuis que j’ai 6 ans, lorsque j’ai débuté le judo.

Donc c’est mon job, c’est très important pour moi bien sûr, mais à côté de cela, j’ai ma famille et je suis également coach.

Le MMA, je n’y accorde pas plus d’importance que cela. À l’inverse, il y en a qui combattent pour conjurer quelque chose… Il y a autant de combattants que de raisons de combattre. Moi, j’y vais la tête froide et je fais mon boulot.

 

C’est intéressant votre réflexion sur le rapport au combat, mais aussi aux autres combattants. Après les JO de Paris 2024, Teddy Rinner a adressé une longue lettre d’admiration sur X au champion japonais,Tatsuru Saito, qu’il a vaincu à deux reprises durant l’olympiade à Paris. Vos adversaires en MMA, que représentent-ils pour vous : des adversaires, des amis ? 

Je n’ai jamais eu de haine contre mes adversaires, bien au contraire, je les respecte énormément, car ils ont la même vie que moi. Ils souffrent comme moi car nous n’avons pas un métier facile. Je me sens proche d’eux : ils sont ambitieux, ce sont des sportifs de haut niveau et nous partageons le même mode de vie.

Je peux rentrer sur un ring, me battre avec quelqu’un jusqu’à peut-être le mettre KO [Knock-out] ou lui casser un membre, sans forcément le détester.

C’est un métier avec une part d’immoralité car les sports de combat sont aussi conçus pour divertir les foules et générer de l’argent.  

 

Que voulez-vous dire, par « faire de l’argent » ? 

Une carrière de sportif de haut niveau en MMA coûte cher, malgré mes sponsors ! Une carrière revient entre 2.000 et 3.000 euros par mois : je paye mes coachs pour chaque entraînement. Lorsque je suis en session au pao [NDLR des équipements de boxe pour pratiquer sa technique de frappe], je suis seul, donc je les paye en personal training [session privée]. Lorsqu’un combattant gagne un combat, il reverse une partie de sa prime au coach, mais également au manager qui gère sa carrière. 

 

 

Hugo Deux
Hugo Deux - Photo SKW

 

Comment s'entraîne-t-on pour ce genre de sport, quelle diète suivez-vous, quels cours ?

Pour ce faire, en MMA, il faut segmenter le travail. Comme le MMA, est un sport complet, composé d’une multitude d’autres sports et arts martiaux, c’est un puits sans fond : il y a toujours quelque chose à travailler. Un judoka va par exemple travailler ses projections, mais ne va pas se soucier des frappes, puisqu’il n’y en a pas. Il va se spécialiser et se concentrer sur un nombre de choses plus réduites. 

En MMA, il s’agit de maîtriser toutes ces techniques issues d’autres sports : le striking avec la lutte, le grappling (ce qui se passe au sol), puis les spécificités de la cage (Cage wrestling).

En effet, on peut s’appuyer dessus et combattre, comme en boxe : c’est tout un autre jeu qui peut être mis en place. Aujourd’hui par exemple, j’ai une session de lutte orientée MMA, puis dans la soirée, je vais faire une session de grappling et j’enchaine ensuite avec une leçon au pao de boxe, aux pattes d’ours - en français : le coach tient des sortes de coussins dans les mains et je dois les cibler, pour renforcer ma technique. 

Deux fois par semaine, j’ai une session de sparring, la simulation de combat : l’une avec tous les équipements (de gros gants, le casque, les protections pour les dents, les parties génitales, genoux, tibias et coudes) et l’objectif est d’aller quasiment à la même intensité que pendant le combat. Le but est de reproduire ce qui a des chances de se produire dans la cage. Et durant la deuxième simulation de combat, on met des protections plus légères, car c’est plus axé sur le travail de la technique et la visualisation. Bien sûr, à côté, il y a la diète, le sommeil, les compléments alimentaires…. 

 

Kéfir et maślanka, les laitages champions des probiotiques en Pologne

 

Il y a quatre ans, vous êtes venu vous installer en Pologne, pour quelles raisons ?

Je suis parti pendant la quarantaine, due au Covid-19 en France. Je devais aller m’entraîner à Dublin, dans le club de Conor McGregor. Avec la pandémie, mes billets d’avion ont été annulés. Je suis resté un mois et demi ou deux en quarantaine avec ma femme, et j’ai redirigé mon activité de coach à du coaching en ligne. Je voulais quand même m'entraîner et je regardais quels endroits en Europe permettaient encore les entraînements en présentiel.

Grâce à mon expérience militaire, des amis de mon réseau franco-polonais m’ont conseillé de venir en Pologne pour m’entraîner. Je n’ai pas hésité !

J’ai demandé une autorisation pour voyager et j’ai découvert les conditions d'entraînements pendant une semaine.

J’avais une image très négative de la Pologne : un pays d’Europe de l’Est, un peu sous-évolué, un pays de plombiers et de camionneurs peu souriants. En arrivant à Varsovie, j’ai découvert exactement l’inverse : une capitale hyper agréable !

J’ai attendu la fin du confinement et pendant un an, j’ai fait des stages en Pologne d’un mois ou deux, avec des allers-retours fréquents en France. Ce déménagement a changé beaucoup de choses pour moi : j’avais une entreprise de coaching en France, composée de coachs avec lesquels je travaillais et j’étais combattant amateur de MMA. J’ai vendu mon business et pendant un an, je n’ai pas re créé d’entreprise, je me suis focalisé sur mes entraînements uniquement.

J’ai très rapidement changé de dimension, car en Pologne, le MMA est bien plus développé qu'en France, même si les choses bougent. Mes conditions de vie, d’entraînement, et mon niveau se sont fortement améliorés en Pologne. Je préfère vivre ici plutôt qu’en France.

Il y a 3 ans, un an après être venu m’installer, j’ai ouvert ma société de coaching. J’ai fait mon entrée au KSW, Konfrontacja Sztuk Walki, club de MMA, il y a un an environ, c’est le plus gros site de MMA en Europe.

 

Quelles sont les différences entre la Pologne et la France, pour vivre financièrement du sport de haut niveau ?

Vivre du sport en France et en Pologne, c’est totalement différent, car en Pologne, il y a une grosse culture du sport, surtout des sports de combat. Le MMA y est vraiment une institution. En France, il y a ce même discours sportif, cependant, les financements sont insuffisants. En regardant les résultats des Jeux olympiques de Paris 2024, la France est une belle nation de sport, mais c’est artisanal, car il n’y a pas les moyens d’un pays de notre rang. 

Ce sont les sponsors qui permettent aux sportifs polonais de s’entraîner dans de bonnes conditions. En MMA, je colle le logo de mes sponsors sur mon corps, avec des tatouages éphémères ainsi que sur mes vêtements. Cela peut doubler, tripler voire quadrupler la prime. Quelques amis français m’ont dit que j’étais un panneau publicitaire, mais je préfère l’être pour mes premiers combats, et pouvoir en vivre et améliorer progressivement mes conditions d'entraînement et rentrer dans un cercle vertueux.

Je ne veux pas de cette fausse moralité et refuser les logos. Je ne m’affiche pas cependant avec n’importe quelles marques : je choisis des sociétés en accord avec mes valeurs.

En France, les salaires des combattants de MMA s'améliorent progressivement. Le KSW, Konfrontacja Sztuk Walki, société de MMA polonaise, arrive dans l’Hexagone. Je vais combattre en France avec l'organisation l’an prochain : j’aurais les avantages de la Pologne en France !

 

Hugo Deux MMA
Hugo deux - Photo KSW

 

Et dans la pratique du sport en particulier, voyez-vous une différence en Pologne ?

Pour mon sport, le MMA, c’est en train d'exploser en Pologne ! J’ai fait des combats pour 50 euros en France, alors je pense que la tendance est vraiment à l'amélioration. L’avantage en Pologne, c’est que même des combattants qui combattent à bas niveau professionnel ont de l’argent et des sponsors. Les Polonais ont beaucoup plus la mentalité d’investisseurs, un peu plus à l’américaine : ils n’ont pas peur d’investir dans des placements un peu plus risqués, tels que des combattants moins expérimentés.

L’écart de rémunération entre les combattants français et polonais tend à se réduire progressivement, mais quand j’ai commencé, il y a 3 ans, mes collègues restés en France ne me croyaient pas lorsque je leur ai annoncé la somme que j’ai gagnée, qui plus est sans sponsors. C’est le double, parfois le quadruple ! 

Autour du combat, il y a également toute une manne économique. Par exemple, je fais du coaching, avec mes différents services, tels que le personal training, mais aussi du teambuilding en entreprise. Personnellement je pense que c’est sain de développer un tel écosystème en début de carrière car les gens ne connaissent qu’une poignée de combattants, ceux qui gagnent des millions.

La plupart des fighters subissent au quotidien la vie très chère d’un athlète : bien se nourrir, acheter un bon matelas, payer les coachs…

Les optimisations qu’on doit faire en tant que combattant sont infinies et pour être le meilleur, il faut payer, payer et encore payer... 

 

En tant que combattant, vous menez une double, voire une triple activité au quotidien.  Étudiant, vous faisiez également du sport de haut niveau en parallèle d’une double licence en droit et en science politique, avec un parcours en sécurité et défense. Comment avez-vous combiné l’exigence de cette formation avec vos entraînements ?

J’ai fait un nombre d’heures criminel ! Comment conjuguer le sport et le reste ? Et bien c’est simple : je ne les ai pas conjugués ! Je me faisais un programme très minuté pour chacune de mes journées.

Lorsque j’étais réserviste en parallèle de ma double licence, je me levais assez tôt pour apprendre et réviser les cours les plus importants de la journée pour éviter de faire ma journée intellectuelle après l'entraînement, car j’aurais été inefficace, entre la fatigue et les douleurs.

C’est très difficile de faire un effort physique puis d’enchainer avec un effort intellectuel.  Il n’y a pas de secret, j’ai dû renoncer à certaines choses, même si pour moi, ce n'est pas vraiment un renoncement. Je vois plus de valeurs dans cette vie de travail. Lorsque j’étais étudiant ou à l’armée, je ne m’entraînais pas non plus H24, j’avais bien sûr une vie de jeune aussi, je sortais !

Je viens d’une famille d’ouvriers, mon grand-père était maçon et ma grand-mère était femme de ménage, par leur éducation, il m’ont inculqué ces valeurs de travail.

 

Vous étiez très actif au sein de la réserve de la Gendarmerie nationale, pour intégrer le GIGN (Groupe d’Intervention de la Gendarmerie Nationale). Les difficultés à recruter dans l’armée, notamment des réservistes et des jeunes, sont réelles…

C’est une question politique, et je n’ai pas peur d’y répondre ! Je pense que les jeunes en France sont perdus.

La population française et celles de nombreux pays occidentaux vit une perte de repères. Il y a de nombreux changements, mais le cap, la direction ne sont pas définis.

Nos valeurs de civilisation changent et cela aboutit à la construction de deux camps : d’un côté, ceux qui réaffirment leur patriotisme, leur nationalisme - je précise que je ne parle pas de fascisme, mais d’amour de la nation - et de l’autre, des personnes qui sont plus dans le globalisme, dans le changement des valeurs qui ont fait nos pays et nos civilisations - je n’appelle pas ça le progrès. 

Les gens sont perdus et beaucoup sont alors sensibles à cet argumentaire « On est tous unis, il n’y pas plus de guerres »… donc puisqu’il n’y a plus de guerres, demander aux jeunes de s’engager dans l’armée, c’est une sacrée contradiction.

Pourtant, cette question de l’engagement, c’est une question de fondement de la société. On ne peut pas diriger un pays et mettre en place des plans ainsi que des campagnes publicitaires - parce que l’armée en fait beaucoup, et avoir un discours antimilitariste en même temps. 

Hugo est arrivé dans son centre d'entraînement, ses phrases sont ponctuées de Cześć pour dire bonjour à ses collègues.

 

Lors d’une interview pour GONG en janvier 2024, vous avez confié vouloir « incarner quelque chose pour mes enfants et mon pays » à travers votre pratique du MMA…

Je n’aime pas me définir avec ce terme « traditionnel », cependant, c’est ce que je suis : quelqu’un de traditionnel car pour moi, la famille est très importante. Ne pas avoir de famille et d’enfants est inimaginable pour moi. J’ai dit dans une autre interview que je ne n’aurais pas fait de MMA si je n’avais pas pu avoir d’enfants. J’aurais pris un travail quelconque, je n’aurais pas consenti tous ces efforts et tous ces sacrifices. 

Je veux léguer plus que de l’argent ou ma réputation à mes enfants, je veux leur offrir un exemple, une figure parentale forte.

Je suis très manichéen : pour moi, il n'y a que le bien ou le mal, et j’essaie d’être un gentil pour ma famille, pour mes proches qui m’ont élevé, de faire honneur aux valeurs et aux traditions qu’on m’a léguées comme le travail, la loyauté, le pardon et le respect de la famille. Dans ma vie, j’ai toujours eu des mentors et des exemples, et j’essaie à mon échelle d’être cette figure-là, non pas par orgueil ou par égo, mais plutôt pour des jeunes hommes et des enfants qui me regardent combattre. Je pense que lorsqu’on agit ainsi, on est porté par quelque chose de plus grand que soi – pour moi, c’est Jésus-Christ, ma famille, mes ancêtres, ma civilisation... C’est une sorte de guide ou de cadre qui, lorsque le corps faiblit, permet au mental et au spirituel de prendre le relais.