Voilà sept ans qu’a été signé l’accord de Prespa entre les gouvernements d’Athènes et de Skopje. Celui-ci devait être la dernière étape nécessaire à l’adhésion de la Macédoine du Nord à l’Union européenne. Or, depuis, le processus d’adhésion n’a que peu évolué. Outre, la question des relations entre Athènes et Skopje, d’autres animosités existent et persistent. Des problèmes internes plus profonds semblent également enracinés.


Une animosité ancrée avec la Grèce
Pour comprendre le litige entre les deux États, il nous faut remonter à 1945 lorsque les slaves se revendiquant comme « Macédoniens » obtiennent de Tito la création d’une République de Macédoine au sein de la République fédérale de Yougoslavie. À la dislocation de la Yougoslavie en 1991, cette République proclame son indépendance sous le nom de Macédoine.
La Grèce s’oppose à la reconnaissance de ce nouvel État dont elle considère le nom comme une appropriation de l’héritage patrimonial grec, la Macédoine antique étant de culture hellène. Par ailleurs, l’utilisation du soleil de Vergina sur le drapeau du nouveau pays est contestée car il était un emblème du royaume grec de Macédoine, retrouvé sur le tombeau de Philippe II, le père d’Alexandre le Grand.
La question du nom : une question centrale pour les Grecs
Ainsi, en 1992, un million de Grecs défilent à Athènes pour affirmer qu’il n’y a qu’une Macédoine et que celle-ci est une région historique grecque. Le pays est toutefois admis aux Nations Unies en 1993 sous le nom d’Ancienne république yougoslave de Macédoine, un nom provisoire.
En 1995, après un embargo imposé par la Grèce et de nombreuses manifestations de part et d’autre, la Macédoine adopte un nouveau drapeau, avec un soleil neutre, en échange d’un retrait de l’embargo. Le pays refuse cependant tout changement de nom et des tensions demeurent, chacun redoutant des revendications irrédentistes.
Un accord voulu historique...
Le problème toponymique était demeuré, le gouvernement grec mettant, par exemple, son veto à l’entrée du pays dans l’Union européenne et dans l’OTAN tant que la question du nom ne serait pas réglée. En 2008, les membres de l’UE comme ceux de l’OTAN se sont accordés sur le fait que la résolution de la question du nom était une condition d’adhésion.
Le climat étant de plus en plus favorable au dialogue, des négociations nouvelles s’ouvrent en 2018. Pour faire preuve de sa bonne foi, Skopje change le nom de l’aéroport de la capitale qui s’appelait jusqu’alors Alexandre le Grand. C’est dire l’importance de la mémoire de la Macédoine antique.
Après plusieurs mois de négociations, les deux parties signent l’accord de Prespa en juin 2018. Celui-ci prévoit notamment l’adoption du nom de Macédoine du Nord par le pays pour tous les usages, internes comme externes ; la reconnaissance du caractère grec de la Macédoine antique ; la reconnaissance que, dans chaque pays, les mots relatifs à la Macédoine se réfèrent à un contexte et un héritage différents. La question de l’irrédentisme est normalement résolue puisque la frontière est déclarée inviolable.
… mais difficilement adopté
Le Parlement grec se prononce pour l’accord à une courte majorité de 153 contre 143. L’opposition populaire est forte avec des enquêtes d’opinion très défavorables et des centaines de milliers de manifestants à Athènes et Thessalonique. Nombreux sont ceux qui craignent que soit officialisée l’appropriation de l’histoire grecque.
En Macédoine du Nord, l’accord avait été considéré comme la dernière marche avant l’Union européenne, car le veto grec avait été vu comme le dernier obstacle. La question du référendum de septembre 2018 en témoigne : « Êtes-vous pour l'adhésion à l'UE et à l'OTAN, en acceptant l'accord entre la république de Macédoine et la République hellénique ? » L’UE semble donc être conditionnée par l’accord avec la Grèce et donc au changement de nom.
Or, alors que l’aspiration européenne est forte, la modification toponymique n’est pas sans déplaire à de nombreux Macédoniens. Si le référendum est si largement approuvé à 91%, c’est notamment du fait de l’appel au boycott de l’opposition et d’une abstention qui atteint 63%. Plus tard, la majorité des deux-tiers des parlementaires requise pour modifier la Constitution est atteinte, de justesse, au prix d'importantes tractations.
L’accord peut être mis en œuvre, malgré des oppositions fortes de part et d’autre. La Grèce accepte l’entrée de la Macédoine du Nord dans l’OTAN dès février 2019. Athènes s’engage aussi à ne pas empêcher l’adhésion à l’UE en raison de son nom. Tel est le cas, mais il apparaît que l’obstacle principal n’est déjà plus celui-là.
Un autre voisin, d'autres tensions
Il faut là aussi remonter à 1945 lorsque les « Macédoniens » obtiennent la création d’une République au sein de la Yougoslavie. Cette partie du pays venait d’être occupée par la Bulgarie au nom de l’unité des « terres bulgares ». Il faut dire qu’alors, l’essentiel des Macédoniens ont des racines dans la culture bulgare et leur langue a longtemps été considérée comme liée au bulgare. L’avènement d’une identité nationale revendiquée comme macédonienne devient pourtant véritable, ce qui n’est pas sans déplaire à de nombreux Bulgares. Le problème est là : la non-reconnaissance de l'identité macédonienne par la Bulgarie.
Des controverses demeurent après l’indépendance du pays en 1991, mais des partenariats sont noués, comme celui de 2017. Il n’empêche qu’en 2020, la Bulgarie oppose son veto à l’entrée de la Macédoine du Nord dans l’UE, arguant que le macédonien n’est pas une langue, mais un dialecte du bulgare. Le contraire serait reconnaître l’existence d’une spécificité macédonienne, mais surtout celle d’une minorité macédophone en Bulgarie.
Un accord est trouvé en 2022, la Bulgarie retirant son véto à condition que les droits des Bulgares de Macédoine du Nord soient inscrits dans la Constitution. Cette modification n’advenant pas, les discussions sont à nouveau interrompues à l’automne 2024. Le chef du parti majoritaire bulgare de se réjouir d’une « vengeance servie froide ». Le troisième parti du pays va même jusqu’à revendiquer le rattachement de la Macédoine du Nord à la Bulgarie.
Des problèmes internes toujours forts
Mis à part ses dissensions avec ses voisins, auxquels il faudrait ajouter la question de la minorité albanaise, la Macédoine du Nord est d’abord pénalisée par des problèmes internes structurels. Sur la trentaine d’acquis communautaires requis, c’est-à-dire l’ensemble des conditions à remplir pour entrer dans l’Union européenne, le pays n’en satisfait pas pleinement de nombreuses. En ce qui concerne les aspects économiques comme la liberté de mouvement, la concurrence, les entreprises ou l’énergie, la Macédoine du Nord est « modérément préparée » selon un rapport de la Commission de 2024. Des efforts ont tout de même été entrepris puisque de nombreux éléments étaient d’abord décrits comme nécessitants des « efforts considérables ».
Certaines réserves sont plus importantes concernant les questions juridiques. Le fonctionnement du Gouvernement apparaît comme insuffisamment démocratique. Le rapport dénonce un manque de transparence, l’immixtion dans le pouvoir judiciaire ainsi que la persistance de problèmes de corruption et de conflits d’intérêt. Le processus électoral est décrit comme imparfait quant aux règles de campagne, aux financements et aux médias. La Macédoine du Nord peut donc être définie comme une « démocratie – très – imparfaite ».
Une question de confiance
Le problème est avant tout selon lui de la confiance. Les citoyens de Macédoine du Nord n’ont que très peu confiance dans leurs institutions, un manque de confiance encore renforcé par l’immobilité du processus d’adhésion à l’UE. La confiance respective entre Macédoine du Nord et UE semble, elle aussi, manquer et explique les épisodes de dissensions à répétition.
La confiance manque encore, d’abord et avant tout, entre la Macédoine du Nord et son voisin grec. Ceci dans le contexte d'une victoire du mouvement nationaliste VMRO-DPMNE aux élections de 2024 en Macédoine du Nord. Le refus de la nouvelle Présidente de la République de qualifier son pays de « Macédoine du Nord », lui préférant le terme de « Macédoine », avait déjà ravivé des tensions.
Or, l’accord signé vendredi 28 février entre Skopje et Ankara ne devrait rien arranger. Celui-ci vise à créer un Conseil de coopération de haut niveau entre la Macédoine du Nord et la Turquie. C’est pourtant peu dire que Turcs et Grecs entretiennent des relations difficiles. Ce rapprochement ne devrait pas faciliter l’apaisement avec Athènes, mais rendre encore plus difficile la recherche d’une solution d'avenir.
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