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Endettement des ménages: Des millions de Thaïlandais piégés dans une "lutte sans fin"

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Reuters
Écrit par Lepetitjournal.com Bangkok avec Reuters
Publié le 12 mai 2023, mis à jour le 26 février 2024

L’endettement des ménages dans lequel de trop nombreux Thaïlandais sont embourbés, menaçant l’économie toute entière, est l’un des grands thèmes de campagne à l’approche des élections du 14 mai

Kavita Wongyakasem dirige une petite entreprise à Bangkok, elle possède une maison de deux étages à la périphérie de la capitale thaïlandaise, elle conduit un pick-up et a inscrit ses deux filles dans des écoles de qualité.

Mais chaque jour est une lutte désespérée pour trouver l'argent nécessaire aux besoins de son foyer, avoue cette femme de 48 ans, dont l'entreprise fournit des services à une grande entreprise de production d’énergie. "J'y pense à chaque minute", dit Kavita tout en fondant en larmes.

Seule source de revenus d'une famille de cinq personnes, elle est endettée d'environ 8 millions de bahts (216.500 €) sans la moindre économie. "Certains jours, je ne peux tout simplement pas affronter la journée qui arrive. Je ne veux pas me réveiller avec la réalité que nous n'avons pas le moindre argent", dit-elle.

Troisième plus fort taux d'endettement des ménages en Asie

La Thaïlande a l'un des taux d'endettement des ménages par rapport au produit intérieur brut (PIB) les plus élevés d'Asie - seuls la Corée du Sud et Hong Kong font pire, selon un classement de la Banque des règlements internationaux. Un Thaïlandais sur trois, est embourbé dans le piège infernal du crédit.

Ce problème socio-économique est devenu un grand thème de campagne à l’approche des élections législatives du 14 mai, amenant les principaux partis à promettre augmentations de salaire, moratoire sur la dette, prêts sans garantie et autres types d’aides.

 

graphique montrant l'evolution de l'endettement des menages thailandais au fil des annees

 

Pita Limjaroenrat, candidat au poste de Premier ministre pour le parti d'opposition Move Forward, propose par exemple des révisions annuelles du salaire minimum, disant vouloir résoudre le vieux problème des inégalités, particulièrement aigu en Thaïlande.

"Si vous faites le calcul, c'est environ 1% en haut et 99% en bas", a déclaré Pita Limjaroenrat, qui a connu une hausse significative de popularité sur la fin de la campagne électorale. "Une fois que vous êtes endetté, il vous est très difficile de gravir les échelons."

Promesses électorales irréalistes

La banque centrale thaïlandaise est inquiète. En février, elle a prévenu que le niveau d'endettement des ménages devait être ramené de 86,9% du PIB fin 2022 à moins de 80% afin de réduire les risques financiers.

Mais les promesses électorales extravagantes de certains partis politiques pourraient accroître les risques macroéconomiques posés par la dette, estiment les experts.

Le Thailand Development Research Institute a analysé en février les promesses électorales faites par neuf grands partis. Il en ressort que, outre les politiques qui se recoupent, le coût de ces promesses pourraient s'élever à 3.140 milliards de bahts (85,03 milliards d’euros), soit quasiment l’équivalent du budget annuel de la Thaïlande (3.180 milliards de bahts).

Ces élections opposent les partis alignés avec l'establishment conservateur militaro-royaliste au camp populiste. Et ceux qui sortiront gagnant du processus électoral devront obligatoirement trouver de vraies solutions au problème de la dette qui ronge le pays et menace son économie.

"Le taux élevé d'endettement des ménages signifie qu'il ne sera pas facile d'élaborer de nouvelles mesures pour stimuler la consommation, car les gens sont occupés à payer leurs dettes et à demander des prêts à la banque", souligne Thanavath Phonvichai, président de l'Université de la Chambre de commerce thaïlandaise (UTCC).

Un endettement qui défie les normes internationales

De nombreux Thaïlandais tombent tôt dans l’engrenage de la dette et n’en sortent jamais.

58% des jeunes âgés de 25 à 29 ans sont endettés et un quart des personnes de plus de 60 ans ont des prêts en cours à hauteur de plus de 400.000 bahts (10.800 euros) en moyenne, selon les données de la Banque de Thaïlande.

 

Vue d'une Thailandaise surendettee interviewee par Reuters
Criblée de dettes, Kavita Wongyakasem, propriétaire d'une petite entreprise dans la province thaïlandaise de Nonthaburi, se débat avec ses factures. Photo REUTERS/Athit Perawongmetha

 

Pour environ 30% des Thaïlandais ayant des cartes de crédit ou des crédits personnels, la somme de toutes leurs dettes est 10 à 25 fois supérieure à leurs revenus, soit le double de la limite fixée par les normes internationales, selon la banque centrale.

Bien qu'il s'agisse d'une question récurrente depuis des années, le problème s'est aggravé depuis la crise économique due à la panique sanitaire autour du Covid-19.  Selon la banque centrale, le Covid a vu le nombre de comptes aux créances douteuses quasiment doubler pour passer à 10 millions.

Un mal empiré par la crise sanitaire

Si la Thaïlande a été moins touchée que d’autres pays par l’épidémie de coronavirus SARS-CoV-2, la réponse sanitaire du gouvernement a laminé l'économie du pays très dépendante du tourisme, affectant les revenus les plus exposés.

"Il n'y a pas eu d'avertissement", a déclaré Achin Chunglog, président d'un groupe national de bénévoles venant en aide aux personnes aux prises avec des dettes. "C'est comme si nous étions en train de marcher tranquillement et que soudain le vent se lève et nous emporte du haut d’une falaise."

Une enquête menée en avril par l'UTCC auprès de 1.300 personnes touchant un salaire mensuel pouvant aller jusqu'à 15.000 bahts (406€) révèle que leur niveau d'endettement actuel est le plus élevé depuis 2010.

En milieu rural, 90% des foyers agricoles ont des crédits en cours, selon une étude de mars qui décrit un "cercle vicieux de la dette".

Kavita Wongyakasem explique que si ses revenus ont chuté pendant la pandémie, ses coûts, eux, ont augmenté, alors qu'elle s'efforçait de protéger son personnel d'environ 20 personnes de la crise économico-sanitaire.

Pour payer ses salaires et alimenter son foyer, elle dit avoir été obligée d'emprunter en dehors du système bancaire.

Alors qu’elle écoutait des politiciens lors d'un débat télévisé, Kavita a récemment déclaré que si les aides offertes par les candidats semblent bonnes, elles auraient peu d’effet pour aider les personnes lourdement endettées.

"Je ne peux pas mourir", a déclaré Kavita, faisant référence à une loi selon laquelle les actifs d'une personne décédée vont aux créanciers pour rembourser les dettes. "C'est une lutte sans fin."

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