Édition internationale

Elinor Jagodnik invente un Lac des cygnes à hauteur d’enfant

Pendant 16 ans, Elinor a dansé au Staatsballett de Berlin. Aujourd’hui, elle se consacre à transmettre sa passion autrement. Avec Mein Schwanensee, un spectacle familial qu’elle a imaginé et produit elle-même, elle rend (enfin !) le ballet accessible aux enfants.

Portrait d'Elinor JagodnikPortrait d'Elinor Jagodnik
Elinor Jagodnik © Sylvain Guillot
Écrit par Sandrine Ibanez
Publié le 15 avril 2025

Une carrière construite en Allemagne


Comme beaucoup de danseurs étrangers, Elinor a fait le choix de l’Allemagne, où de nombreuses villes ont une compagnie, loin du modèle ultra-centralisé français. Après une école à Munich et un premier contrat à Karlsruhe, elle tente sa chance à Berlin : la plus grande compagnie de danse du pays, avec un répertoire riche et un niveau d’excellence. Elle réussit l’audition.

De 2006 à 2022, Elinor est danseuse professionnelle au Staatsballett. Une longévité exceptionnelle, mais un parcours qui n’a pas été un long fleuve tranquille. 

Déléguée des danseurs, Elinor mène plusieurs combats sociaux : d’abord, améliorer les conditions de travail, notamment les contrats. Ici, ils sont annuels et limités à 15 ans maximum. Un système précaire, bien différent de la France, et pas sans tension. Mais aussi, contester des choix hasardeux pour la direction artistique du Staatsballett, avec une pétition signée par près de 20.000 personnes.

Licenciée alors qu’elle était sur toutes les productions, elle est finalement réembauchée grâce au soutien massif de ses collègues et des maîtres de ballet. Un geste risqué pour eux, qui l’a profondément touchée.


Éveiller l’intérêt des plus petits pour le ballet


En 2022, il est temps de changer de scène ! Toujours au Staatsballett, Elinor devient professeure de danse, dans un programme éducatif qui propose bien plus que des cours classiques. Et contrairement à beaucoup de danseurs, elle ne regrette pas une seconde d’avoir raccroché ses pointes.

Chaque matin, des enfants d’écoles ou de Kita viennent passer 1h30 à l’Opéra. Ils dansent, observent les répétitions des professionnels, posent des questions. Et souvent, changent d’avis.
 

Même les enfants qui disaient au début “J’aime pas la danse” ressortent impressionnés et avec une idée différente du ballet.

Le simple fait d’entrer dans l’Opéra, de voir des danseurs en action, suffit à rendre visible et accessible ce qui paraît lointain… ou réservé à un public un peu élitiste.

D’autres projets existent aussi : des interventions hebdomadaires en école pendant un an pour monter un spectacle ensemble, ou des formats familiaux où l’on découvre les coulisses avant d’assister à une représentation.

Et détail non négligeable : les enfants ne paient que 10 € pour les Familienvorstellung. 
 

 

Couple de danseurs classique
Mein Schwanensee © Sylvain Guillot

 

Créer le spectacle de ballet qui manquait à Berlin


Mais en matière de ballet, l’offre dédiée au jeune public reste limitée. Alors que les histoires classiques, souvent tirées de contes, sont idéales pour les enfants.
 

Pour les enfants et les familles, il y a toujours plein de concerts et de pièces de théâtre, mais en termes de danse, les options sont plus limitées.

Un projet trotte dans la tête d’Elinor : un vrai spectacle de ballet, pensé pour les enfants et leur famille. Déjà, il y a 12 ans, une Belle au bois dormant pour le jeune public l’avait conquise. Les enfants adoraient, les danseurs aussi. Plus de liberté, moins de pression, et des rôles parfois inaccessibles sur les grandes productions.

Elinor en parle au Staatsballett. Tout le monde est d’accord, mais rien ne se passe. Alors elle décide de le faire elle-même.
 

 


C’est ainsi qu’est né Mein Schwanensee (Mon lac des cygnes). Une version plus ludique, plus accessible, racontée par le bouffon de la cour Jacques du Lac, dansée par neuf danseurs classiques, et pensée comme un voyage participatif pour se familiariser, en s’amusant, avec les codes du ballet.
 

C’est tellement beau, le ballet. Pourtant, les spectateurs vieillissent, alors il faut éduquer dès le plus jeune âge.

Elinor en est convaincue : un enfant qui n’a jamais mis les pieds à l’Opéra ira difficilement de lui-même une fois adulte. Il faut donc commencer tôt. Et c’est tout l’objectif de Mein Schwanensee : ouvrir les portes du ballet, éveiller la curiosité et créer l'envie dès le plus jeune âge.

 

Berlin, son ouverture sur le monde


Si Elinor est aujourd’hui parfaitement chez elle à Berlin, son intégration n’a pas été immédiate. Le milieu de la danse est un monde à part : une bulle très internationale (à Berlin, sur 82 danseurs, ils sont à peine 3 ou 4 Allemands), très fermée, où l’on vit et travaille ensemble, où l’on parle surtout anglais, rarement allemand.
 

L’amitié avec les danseurs, c’est tellement différent. On est en vase clos, il y a très peu d’ouverture et de sujets de conversation en dehors de la danse.

Avoir des enfants et arrêter de danser a tout changé. Tschüssi la bulle, hallo les Spielplatz, les rencontres de parents, et un cercle qui s’élargit. Soudain, la ville est devenue plus familière.

Avec le temps, Elinor a aussi vu Berlin se transformer, s’internationaliser. Mais certains réflexes restent. Le public, par exemple, est souvent plus réservé qu’en France, où l’on est embarqué dès les premières minutes. Ici, il faut un peu plus de temps... sauf quand les spectacles flirtent avec l’univers techno ou contemporain, comme ceux de Sharon Eyal, où l’ambiance devient instantanément plus électrique.

Et puis, il y a toujours cette frontière invisible entre l’Est et l’Ouest. Elinor se souvient de cette spectatrice qui lui expliquait aller au Staatsoper (ex-RDA), mais jamais au Deutsche Oper (ex-RFA). Question de fidélité… et d’histoire.

À l’Opéra aussi, Berlin cultive son style : ici, le confort prime sur le dress code. Rien à voir avec Munich, où les robes de soirée ultra-chic sont encore de rigueur.


Aujourd’hui totalement chez elle, Elinor partage ses adresses préférées à Berlin, testées et approuvées en famille :

Gleisdreieck et Tiergarten aux beaux jours
Humboldt Forum l’hiver, toujours une expo bien pensée pour les enfants
Britzer Garten
Goltzstraße, avec toutes ses petites boutiques, restos et cafés
→ Les glaces maison de Jones ou KiezEis, où les grandes barquettes de fruits arrivent directement pour être transformées
→ Les spectacles pour enfants du Komische Oper

 

Affiche du spectacle Mein Schwanensee
Mein Schwanensee © Juliette Baily

Ne manquez pas Mein Schwanensee, 6 spectacles du 19 avril au 4 mai 2025. Toutes les infos pratiques sont à retrouver sur le site internet et le compte Instagram du spectacle.

 

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