Si la France est souvent perçue comme un pays connaissant de nombreuses grèves, notamment ce mois-ci alors qu'un mouvement important se développe contre la réforme du système des retraites, on l'oppose souvent à l'Allemagne où la culture de la grève est bien plus modérée.
En France, une grève nationale se tiendra ce mardi 31 janvier en opposition à la réforme du système de retraite souhaitant repousser l'âge de départ à 64 ans. En Angleterre, c'est le corps infirmier qui a lancé pour la première fois depuis un siècle un appel à la grève en décembre 2022, pour exiger une revalorisation des salaires. Si des grèves s'organisent également en Allemagne en ce début d'année 2023, les mouvements des travailleurs y demeurent néanmoins très différents.
Les Allemands réputés comme étant rarement grévistes
Si la grève semble aujourd'hui faire partie intégrante du quotidien des Français, c'est loin d'être le cas en Allemagne. L'Institut Syndical Européen (ISE) évalue la moyenne annuelle de jours non travaillés en raison de grèves pour 1 000 salariés. Alors que la France comptait déjà 127 jours non travaillés contre 13 en Allemagne entre 2000 et 2009, l'écart demeure ces dernières années avec respectivement 79 jours non travaillés contre 13 entre 2020 et 2021. Cela s'explique d'une part par une culture politique allemande empreinte d'un légalisme important. Ainsi, on assiste à peu de grèves non réglementées. Toutefois, l'une des justifications majeures repose sur le modèle politique et institutionnel des relations sociales allemandes qui encadre davantage le droit de grève qu'en France.
Le régime juridique allemand : la grève comme dernier recours
Le droit de grève - aussi désigné comme la liberté d'association et de coalition - est consacré à l'article 9 de la Loi Fondamentale, équivalent à la Constitution en France. Cet article rend les luttes salariales possibles dès lors qu'elles visent à défendre ou promouvoir des conditions de travail et des conditions économiques et qu'elles sont portées par un syndicat. A la différence des Français qui bénéficient d'un droit de grève individuel, on constate donc que le droit de grève est collectif en Allemagne. Les grèves à portée politique sont par ailleurs interdites. Les règles applicables pour recourir à la grève sont donc très précises de l'autre côté du Rhin.
Le principe de l'obligation pacifique (Friedenspflicht)
Tout d'abord, la grève n'est autorisée que lorsqu'une convention collective prend fin. Cette règle repose sur le principe de l'obligation pacifique (Friedenspflicht) qui exige que toute négociation salariale ait échoué avant qu'un appel à la grève ne soit lancé. Si le mouvement débute avant l'expiration de la convention, l'entreprise peut donc exiger une indemnisation.
Une grève nécessairement portée par un syndicat
Avec 8,8% de personnes syndiquées en France en 2018 contre 16,5 en Allemagne, l'engagement syndical allemand est davantage développé que dans le pays qui a vu naître le mouvement des Gilets Jaunes. Cela peut notamment s'expliquer par le rôle primordial des syndicats dans les relations salariales allemandes.
Le rapport entre les salariés et l'entreprise est fondé sur l'idée d'un "partenariat social". Pour limiter les conflits sociaux, les représentants syndicaux peuvent, dans une certaine mesure, prendre part à la gestion et au contrôle de l'entreprise.
Pour porter un appel à la grève, il faut impérativement un vote majoritaire de tous les membres d'un syndicat. Cela nécessite donc une organisation syndicale importante et justifie l'interdiction pour un travailleur non affilié à un syndicat de faire grève.
Un cadre de grève très strict
Lorsqu'une mobilisation est engagée, sa durée et son ampleur doivent être proportionnées aux spécificités des revendications. Après l'échec d'un premier cycle de négociations, une grève d'avertissement peut se tenir pour une durée limitée et réunissant seulement une partie du personnel. Pour procéder à une grève générale, 75% des personnes syndiquées doivent se prononcer favorables par référendum. Par ailleurs, les objectifs énoncés par les grévistes doivent pouvoir être atteints par un accord pécuniaire et légalement recevable.
Qu'en est-il des mouvements de grève en Allemagne ces dernières années ?
En septembre 2021, le syndicat minoritaire des conducteurs de locomotive allemands - la Gewerkschaft Deutscher Lokomotivführer (GDL) - a mené une grève contre la loi pour l'unité syndicale (Tarifeinheitsgesetz). Entrée en vigueur en 2015, la Tarifeinheitsgesetz rend possible l'application d'une convention collective à l'ensemble des salariés dans une région tarifaire donnée, alors même qu'elle a été négociée par un seul syndicat. Par ailleurs, en présence de plusieurs syndicats, une entreprise peut accorder la priorité à l'organisation syndicale réunissant le plus d'adhérents pour conclure un accord. Pour contester cette loi, la GDL a donc organisé une grève au sein de la Deutsche Bahn, affectant grandement le trafic ferroviaire.
Cette semaine, c'est le syndicat Verdi qui a eu recours à la grève dans plusieurs branches. A Munich, la distribution de courriers et de colis a connu de fortes perturbations alors que les travailleurs exigent une hausse de 15% des salaires. La Deutsche Post rejetant cette demande qu'elle estime surréaliste, les négociations reprendront le mercredi 8 février. On assiste également à des mobilisations dans la capitale de la part des employés de l'aéroport BER. Après l'échec de sept tours de négociations, une grève d'avertissement d'un jour a été organisée le mercredi 25 janvier, alors qu'environ 300 décollages et atterrissages et un peu moins de 35 000 passagers étaient initialement prévus.
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