Samedi 26 avril, le Club Atletico San Lorenzo de Almagro a disputé un match important contre Rosario (une des meilleures équipes d'Argentine actuellement). À cette occasion, c'est toute une communauté qui s'est réunie pour dire adieu à un supporter particulier : le pape François. Lepetitjournal.com est allé rencontrer celleux qui font de ce club, et de ce quartier, un lieu si particulier au sein de Buenos Aires.


Reportage et photos de Zoé Decros
"Le terrain de San Lorenzo est différent, c’est une grande famille, c’est tout ça, il ne s’agit pas que de football", déclare Sofía, enfant du quartier et abonnée du club depuis ses jeunes années. Dans le parc, supporters et supportrices vêtu·e·s de maillots rouges et noirs se sont réunis·e·s avant le début du match qui opposera le club San Lorenzo à son adversaire Rosario Central. Sous un soleil d’automne, tous les âges sont au rendez-vous pour la fête d'avant-match. Fernet, asado et cumbia, les corbeaux (ndlr : surnom des supporters du club) sont venu·e·s partager ce match spécial, le premier depuis la disparition de leur très cher Pape François, fan de toujours et abonné au club depuis 2008.

Fondé par Federico Monti et Antonio Scaramusso en 1908, le club bénéficie alors d'une aide de la part de l'Eglise catholique. Le père Lorenzo Massa leur prête le terrain de l'oratoire pour jouer au football. L'objectif est alors clair : sortir les jeunes de la rue et éviter qu'ils tombent dans la délinquance. Aujourd'hui, l'ASL compte presque 90.000 abonné·es et est l’un des clubs argentins les plus populaires. Nommé en l’honneur de Lorenzo Massa et d'un diacre chrétien martyr San Lorenzo, son nom s’est imposé dans le milieu et a gagné en réputation au fil des années. C’est, notamment dans les années 1940-1950 : quand se créa la Primera División (en 1931), que le club commence à concurrencer les plus vieux clubs argentins comme Rivers ou Boca. Situé au sein du quartier populaire d'Almagro, San Lorenzo s’est toujours distingué par les valeurs populaires qu'il défendait. En effet, à deux pas des villas 1-11-14, le club et ses fans portent à travers leurs maillots, les valeurs défendues par le pape François : la justice et l’égalité sociale. Depuis toujours, du terrain aux villas, San Lorenzo agit comme un club social et un réseau de solidarité pour les classes les plus populaires.

Crédit : Zoé Decros
Un club catholique jusqu'au Saint-Siège
Depuis toujours relié à l’église, ce lien est encore renforcé en 2008, lorsque l'archevêque de Buenos Aires et futur pape Jorge Mario Bergoglio prend sa première carte d'abonné. "Il avait le numéro d'abonné 88.233", confie José Pepe Vignez, ou seulement "Pepe", l’un des fondateurs et gérant du club social de San Lorenzo. C’est en combinant l’amour du foot à celui de la religion que le pape est devenu, au fil des années, une figure emblématique pour ses fans, notamment les jeunes. Grand défenseur de l’égalité et de la justice sociale, de la solidarité et de l’éducation publique, le pape François, du stade aux villas, a créé des réseaux de solidarité et d’entraide pour les habitants des quartiers de Flores et Boedo.

"Il voulait que l’église soit à la disposition du peuple, peu importe son origine, sa sexualité ou sa couleur de peau"
À quelques pas du stade, c'est dans une petite chapelle en demi-cercle que les fans viennent en famille se recueillir. Au mur, placardé dans un cadre de verre, le maillot de l’équipe nationale argentine signé par le pape. Sur la table, quelques photos des passages consécutifs du pape au club. "Dans cette chapelle, il n’y a pas besoin d’autorisation pour quoi que ce soit, c'était une volonté du pape de rendre l’église accessible à tous·tes", affirme Oscar.

Photo par : Zoé Decros
Pour le pape, San Lorenzo représentait bien plus qu’un club. C'était un espace de changement, une opportunité pour tous·tes. "C'était quelqu’un d’humble, de simple, il parlait et donnait à tout le monde", annonce Oscar Lucchini, architecte et gardien de La chapelle du club de San Lorenzo. Jorge Mario Bergoglio a "réellement créé un lien entre l’église et les villas".
Comme beaucoup, Oscar est ému. En cette semaine de deuil : "quand j’ai appris la nouvelle, j’ai pleuré, j’étais ému, ça m’a fait très mal au cœur". Une souffrance à laquelle s’ajoute une question en suspens pour nombre de ses ami·e·s argentin·es : "Je n'ai jamais et je ne comprendrai jamais pourquoi il n’est jamais revenu, c’est une grande peine. Mais il faut oublier ça."
San Lorenzo au cœur de "Villas 1-11-14"
Situées au sud-ouest de la capitale porteña, ce quartier comptent plus de 25.000 habitants. C'est colossal. Son affiliation au pape et au prestigieux club de San Lorenzo a permis, au fil des années, de mettre en lumière les problématiques sociales qui y règnent. Connu aussi sous le nom de Villa Bajo Flores, Barrio Moreno ou 9 de Julio, ce quartier est confronté à une pauvreté importante, 60 à 70% selon l'INDEC. Aussi considéré comme l’un des principaux centres de distribution de drogue dans Buenos Aires. Ces consommations touchent principalement les plus jeunes et les mineurs et alimentent des situations importantes d'itinérance et de violences physiques, notamment envers les femmes (CELS).

Crédit : Zoé Decros
À l'entrée des villas 1-11-14, la paroisse Santa María del Pueblo. "La volonté du pape François était, par ce pont entre le foot, le sport et l’église, de créer un refuge, une porte de sortie à la pauvreté et à la misère", confie le curé Coco. "À quelques mètres du stade, La Parroquia Madre del Pueblo fête ses 70 ans cette année ", m’annonce le Père Coco. Créée le 12 novembre 1975 par le Père Rodolfo Ricciardelli, la Parroquia est la première paroisse construite au sein même d'une villa (ndlr : quartier pauvre ou défavorisé). Institution religieuse et sacrée, elle est également une institution sociale, un endroit qui propose "une réponse aux problématiques et aux nécessités du quartier", enchaîne le Père Coco. Pour la paroisse, le pape François, alors encore évêque de Buenos Aires, était une figure centrale. "Le pape était parti d’ici, de nous, de la paroisse. Il est important dans toutes les villas de la ville… Les gens le pleurent beaucoup ici."
« Ce qui le différencie de beaucoup d’autres papes, c’est qu’il mettait les pauvres au centre. »
Dans un quartier avec peu d’opportunités économiques et de centres de soutien, le souverain pontife "nous a donné les moyens, tant matériels qu’humains, pour agir", explique le père Coco. De plus, grâce à sa relation particulière avec le club San Lorenzo et la paroisse, le club de foot est aujourd’hui un acteur et un soutien crucial pour la paroisse dans des projets communautaires, des programmes sociaux ou des centres comme les "Hogares de Dios" qui viennent en aide aux jeunes en situation d’addiction à la drogue.

C’est notamment à travers la Fondation Padre Lorenzo Massa pour l'inclusion sociale que l’on œuvre pour les jeunes des quartiers populaires de Buenos Aires, dont le Bajo Flores. Cette fondation soutient des projets sportifs, éducatifs et de santé, en collaboration avec des institutions locales telles que la paroisse et l'école secondaire Madre del Pueblo. À titre d’exemple, en 2019, ce sont ainsi 400 enfants qui ont bénéficié de bourses de la part du club, leur offrant un soutien essentiel dans leur parcours éducatif et sportif. L'ASL joue également un rôle clé dans la promotion du football féminin et dans la lutte contre les inégalités de genre. San Lorenzo possède une équipe féminine de football de haut niveau, qui est devenue un modèle pour les jeunes filles.
Coup de sifflet, derniers hommages, un ultime match aux couleurs du pape
17h, plus que quelques minutes avant que le match commence. Une minute d'applaudissement résonne dans l'enceinte du stade Pedro Bidegain. Sur le maillot des joueurs, un patch sur la poitrine en l'honneur du pape François, avec le message "Juntos por la Eternidad" ("Ensemble pour l'Éternité"). Le coup de sifflet retentit. "Il faut gagner pour Jorge", confie Tómas, supporter de San Lorenzo depuis toujours. Dans le stade, plus de 47 000 supporters·trices sont présent·e·s, créant une ambiance électrique qui résonne à travers les tribunes. L'unité des fans, leur passion indéfectible, se fait sentir à chaque chant et chaque cri. C'est un moment de communion profonde, un hommage vibrant à l'un des leurs, et une promesse de victoire pour leur bien-aimé club.
À la mi-temps, les hommages se poursuivent, avec l'organisation Scholas Occurrentes, fondée par le pape en 2013. Un groupe de jeunes de la branche Scholas du quartier 31 de Retiro défile aux côtés de la catégorie 2012 du club, qui représentera bientôt San Lorenzo dans un tournoi international en Russie.
Au sein de la foule, plusieurs supporters portent des objets à l'effigie du pape. Rien ne laisse place au doute, San Lorenzo fut sa famille et le pape fut le père de tous·tes. Des "pobres", des marginalisé·e·s, des oublié·e·s. San Lorenzo est différent, c’est une famille.

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