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Sur les traces du pape à Buenos Aires : lieux emblématiques et petits secrets

Après la mort du pape, les Argentins se sont rassemblés pour lui rendre hommage. Qui était-il ? Où a-t-il trouvé la foi ? Avait-il des secrets ? Petit tour d’horizon dans les rues de la capitale, dans laquelle il n’est jamais revenu après sa nomination au Vatican en 2013. 

crédit : Alice Dubernet mort pape François Buenos Aires crédit : Alice Dubernet mort pape François Buenos Aires
Écrit par Clara Monteiro
Publié le 25 avril 2025, mis à jour le 28 avril 2025

Basilique de San José, quartier de Flores, le 23 avril. Sur les bancs, les fidèles habituels sont en train de prier. Cet édifice n’est pas n’importe lequel. C’est ici, dans un confessionnal, que le pape François aurait reçu l’appel de Dieu. En 1953 Jorge Bergoglio, alors encore inconnu, décide de consacrer sa vie entière à la bienfaisance et à l’Église. Devant le confessionnal, une vingtaine de personnes pleurent en silence et caresse le portrait du Pape. Collées à même le sol, des bougies se consument lentement. Autour, des dessins d’enfants, souhaitent au défunt de descansar en paz (“reposer en paix”).

 

L’enfant modeste de Flores

Pour Lucia, accompagnée de sa petite fille, “il est primordial de venir célébrer une personne aussi marquante dans l’histoire du pays”. Peu lui importe qu’il ne soit jamais revenu après sa nomination à la tête du Vatican : “Je suis sûre qu’il portait toujours l’Argentine dans son cœur et qu’il la représentait à travers le monde. En tant qu’argentine, je lui dois tous mes hommages.” Et quel hommage : sur la porte gauche du confessionnal est posé le drapeau national, blanc à rayures bleu ciel. Sur la porte droite, l’écharpe du club de foot de San Lorenzo, dont le pape était un fervent supporter.

 

crédit : Clara Monteiro
Le pape François aurait trouvé la foi dans ce confessionnal à Flores. Crédit : Clara Monteiro

 

À quelques pas de là, devant la maison d’enfance de Bergoglio, au Membrillar 531, même scène : un petit groupe se tient muet, uni dans le deuil. L’homme y a vécu avec ses quatre frères jusqu’à son adolescence, travaillant en tant qu’agent d’entretien et même videur d’une boîte de nuit. Par terre, des banderoles, des briquets à l’effigie du pape, mais aussi de simples textes de remerciements écrits précipitamment sur des feuilles volantes. Quelques mètres plus loin, la petite place du quartier où il retrouvait ses amis pour jouer au foot. Une information difficile à manquer au vu de la plaque commémorative géante installée en son centre. Une habitante l’observe. Elle se confie :

 

“Flores est un quartier compliqué. Beaucoup de pauvreté, peu de touristes. Alors, quelle fierté qu’un pape vienne de chez nous. À sa manière, il a béni Flores”. 

 

Une part d’ombre pendant la dictature militaire ?

Le 8 novembre 2010, Jorge Mario Bergoglio est archevêque de Buenos Aires. Pendant cette période, il est entendu par la justice argentine. Il témoigne dans le cadre du procès pour crime contre l’humanité de l'École de la mécanique de la Marine argentine (ESMA), située au nord de Buenos Aires. Une des antichambres de la torture et de la barbarie infligée aux opposants politiques de la dictature militaire de 1976 à 1982. Plusieurs personnes s’interrogent à l’époque sur l’étendue de sa possible implication dans la dénonciation de deux prêtres. Orlando Yorio y Francisco Jalics, tous deux enlevés, torturés puis libérés au bout de cinq mois en 1976. Au total le régime autoritaire sera responsable de 30 000 “disparitions”, 15 000 fusillés et 1,5 million d’exilés. 

Horacio Verbitsky, journaliste et militant argentin, écrit les liens entre l’Eglise et la dictature en 2005 dans Le Silence : De Paul VI à Bergoglio. Il avance la théorie selon laquelle le père Bergoglio aurait pu protéger ces deux hommes et ne l’a pas fait. Alors provincial des Jésuites d’Argentine, le père Bergoglio est la plus haute autorité de l'Église jésuite à ce moment-là. Selon Verbitsky, le religieux aurait délibérément retiré sa protection à ces deux prêtres. L’auteur va même jusqu’à soupçonner le prêtre Bergoglio d’avoir affirmé à l’amiral Massera, alors chef de la dictature, que Yorio était à la tête des rebelles guérilleros, ce qui permis son arrestation. L’auteur ne fournit pas de preuves de ces allégations. 

 

crédit : Alice Dubernet Buenos Aires mort du pape
Les fidèles sont venus en nombre se recueillir dans la basilique San José de Flores. Crédit : Alice Dubernet

 

Jorge Bergoglio a toujours affirmé avoir : “fait ce que j’ai pu, compte tenu de mon âge et du peu de relations que j’avais, afin de défendre les personnes enlevées”. (source : autobiographie Le Jésuite, publiée en 2010). De leurs côtés les victimes ont deux postures distinctes. Orlando Yorio restera convaincu toute sa vie qu’il était son dénonciateur : “je n’ai aucun indice me permettant de penser que Bergoglio soit intervenu pour notre libération. Bien au contraire. Il a annoncé personnellement à mes frères que j’avais été fusillé (ndlr: ce qui n’était pas le cas) pour qu’ils préparent ma mère à cette nouvelle.“ L’autre victime, Jalics, rétropédale : “Avant, j'étais enclin à croire que nous avions été victimes d'une dénonciation”, et apporte son soutien au souverain pontife en 2013 :

 

“Mais il est faux de prétendre que notre mise en détention a été provoquée par le père Bergoglio.”

 

En 2016 le pape François avait lui-même déclassifié certains documents et ouvert les archives de l’église, pendant la dictature militaire argentine. 

 

Une vie d’archevêque au micro-centre de la capitale

Nommé évêque de Buenos Aires par Jean Paul II en 1992, il quitte Flores pour la Plaza de Mayo, cœur névralgique de Buenos Aires. Le 28 février 1998, il devient archevêque de la capitale, officiant dans la splendide cathédrale métropolitaine surplombant l’avenue Rivadavia. Là, il choisit un mode de vie simple, logeant dans un petit appartement près de la cathédrale, plutôt que dans la résidence des archevêques. 

L’archevêque prend vite ses habitudes dans le quartier : d’abord, à quelques pas de la cathédrale, sur le Rooftop Bar de la Plaza de Mayo. Surplombant le Cabildo Colonial et la Casa Rosada, la terrasse du bar était son lieu de prédilection pour boire du maté avec le kiosquier du coin. Au rez-de-chaussée, la très ancienne Barberia de Montserrat se chargeait de lui couper les cheveux. 

 

crédit : Alice Dubernet mort du pape
Les bougies sont allumées et collées à même le sol dans la Basilique San José de Flores. Crédit : Alice Dubernet

Mais sa vie d’archevêque ne se limitait pas au micro centre de la capitale : preuve de sa philanthropie, il lui arrivait de quitter le prestigieux édifice néoclassique de la Plaza de Mayo afin d’officier trois kilomètres plus loin, sur la place de la Constitution, un quartier pauvre et fortement touché par le narcotrafic. Il y avait dénoncé la traite d’être humains, défendu les prostituées et les ramasseurs de carton. Il évoque “l’esclavage” dont ils sont victimes : “Il y a, dans les maisons closes, des mineurs qui ont été kidnappés et qui sont soumises. [...] Il y a des enfants ici qui ne dormiront pas cette nuit pour travailler comme ramasseurs de cartons, sans aucune garantie.” Enfin, toujours sur cette plaza Constitucion, loin du centre, il déclare en 2009, comme un credo de son engagement  :

 

"Dans cette ville de Buenos Aires, je le dis avec une grande tristesse, il y a ceux qui s'intègrent dans ce système, et ceux qui restent, pour qui il n'y a ni travail, ni pain, ni dignité."