Alors que les Khmers rouges entraient dans Phnom Penh le 17 avril 1975, l’ambassade de France devint un îlot de survie pour des centaines de personnes. Retour sur un épisode diplomatique dramatique.


Le 17 avril 1975, les troupes khmères rouges prirent possession de Phnom Penh, marquant l’effondrement de la République khmère. Tandis que les derniers membres du gouvernement tentaient de fuir par hélicoptère, une foule d’expatriés, de binationaux, de Cambodgiens influents ou anonymes afflua vers ce qui semblait être l’unique lieu encore protégé de la violence : l’ambassade de France.
1 400 personnes pour certains, près de 2 000 pour d'autres : comment établir un compte exact ? Toujours est-il qu’elles y trouvèrent refuge dans des conditions de plus en plus précaires. Parmi elles figuraient environ 800 étrangers et plusieurs centaines de Cambodgiens, mais aussi des familles franco-cambodgiennes, des diplomates refoulés ailleurs et des coopérants.
Pressions et négociations avec les Khmers rouges
Dès le 18 avril, les Khmers rouges encerclèrent l’ambassade et exigèrent que tous les Cambodgiens — y compris ceux disposant de la nationalité française — leur soient remis. Seules les femmes cambodgiennes mariées à des Français furent temporairement épargnées.
Le poste diplomatique français ne comptait alors plus ni ambassadeur, ni chargé d’affaires : seul un vice-consul assurait une représentation officielle réduite, la sécurité étant assurée par deux gendarmes. Sous la menace directe de représailles, les diplomates durent livrer aux Khmers rouges plusieurs dizaines de Cambodgiens. La menace était explicite : en cas de refus, l’ambassade serait prise d’assaut, et tous ses occupants exécutés. Ce fut un moment de conscience aiguë, tragique, où la survie des uns passa par l’abandon des autres.
Parmi les personnes remises figuraient notamment le prince Sisowath Sirik Matak, Mam Manivan Phanivong (épouse du prince Sihanouk), Khy-Taing Lim (ministre des Finances) et Loeung Nal (ministre de la Santé). Tous furent exécutés dans les jours qui suivirent.
Un camp improvisé
Pendant quinze jours, l’ambassade se transforma en camp de survie. Les conditions étaient d’une extrême rudesse : promiscuité, chaleur, obscurité, manque total d’information, faim. L’eau devint la ressource la plus rare. L’électricité étant coupée, les pompes ne fonctionnaient plus, les climatiseurs furent démontés pour en extraire quelques gouttes d’eau, les toilettes débordaient. Les gens dormaient sur le béton ou à même la pelouse.
L’évacuation, entre silence et incertitude
L’évacuation finale eut lieu le 30 avril. Les premiers convois furent constitués de femmes et d’enfants, sans que l’on sache s’ils étaient réellement arrivés à destination. Cela plongea ceux restés sur place dans une angoisse extrême.
Après quatre jours de trajet, les expatriés atteignirent enfin la frontière thaïlandaise. Les autorités françaises prirent alors le relais pour organiser leur retour.
Un symbole de l’impuissance diplomatique
Le rôle de l’ambassade de France à Phnom Penh en avril-mai 1975 fut celui d’un refuge éphémère. Elle incarna la fin d’un monde diplomatique classique, confronté à une idéologie révolutionnaire qui rejetait les normes internationales les plus fondamentales.
L’ultimatum imposé aux diplomates français — livrer les leurs ou périr tous ensemble — cristallise l’impasse morale dans laquelle fut plongée la représentation française. Le souvenir de cette crise résonne encore comme l’un des épisodes les plus sombres de la diplomatie tricolore en temps de guerre.
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