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Les jeunes Cambodgiens face au choix du mariage

De plus en plus de jeunes Cambodgiens repoussent le mariage, privilégiant études, carrière et liberté. Pressions financières, évolution des mentalités et inégalités domestiques redéfinissent cette institution autrefois incontournable.

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Photo: Phat Dane / Cambodianess

Se marier ? Pour beaucoup de jeunes Cambodgiens, la question devient presque gênante. Dans les villes, nombreux sont ceux qui esquivent le sujet, préférant se concentrer sur leur carrière, leurs études, ou tout simplement leur liberté. Fini le temps où le mariage était une évidence, une étape incontournable de la vie adulte. Aujourd’hui, c’est une option parmi d’autres.

Pourquoi ce changement ? Une combinaison de facteurs : l’éducation, les nouvelles aspirations, la pression financière et une société en pleine mutation. Certains s’inquiètent des conséquences de ces mariages tardifs, mais pour la majorité des jeunes, il ne s’agit plus de suivre un calendrier imposé. Ce qui compte, c’est de se sentir prêt, de bâtir une famille de manière réfléchie et responsable.

"D’abord moi, ensuite peut-être le mariage"

Keo Solina, enseignante à Phnom Penh, a fait son choix : le mariage peut attendre. « Je veux d’abord me concentrer sur mes études supérieures et ma carrière. Le reste, on verra plus tard », explique-t-elle avec détermination. Partie en Thaïlande pour ses études, elle admet que plus elle avance, plus elle voit loin.

« Plus j’apprends, plus je comprends que la vie ne se résume pas à fonder une famille. Se marier, c’est une énorme responsabilité, et je n’ai pas envie de perdre ma liberté », confie-t-elle.

Pol Seangheng, 32 ans, responsable de l’évaluation des risques dans une entreprise privée, partage cet avis. « Nos parents n’avaient pas le choix, nous si. Nous avons des opportunités que nos aînés ne pouvaient même pas imaginer », souligne-t-il. Pour lui, poursuivre ses études et construire son avenir passent avant le mariage. « Se marier trop tôt, c’est prendre le risque de sacrifier son développement personnel », insiste-t-il.

La peur du poids financier

Mais au-delà des aspirations personnelles, une autre réalité freine les jeunes : l’argent. Se marier coûte cher. Entre la dot, les dépenses du mariage et la vie de famille qui suit, beaucoup préfèrent temporiser. « Les hommes, en particulier, ressentent une énorme pression. On nous demande de tout assumer financièrement, et avec un emploi instable, c’est un fardeau », explique Seangheng.

Et après le mariage ? C’est encore pire. « Avoir des enfants, c’est multiplier les dépenses. Si on n’est déjà pas prêts pour le mariage, imaginez avec des enfants en plus ! », s’exclame-t-il.

Pich Phearak, chercheur en études féministes, dénonce un problème plus profond. « La dot, par exemple, transforme la femme en une sorte de marchandise. On ne devrait pas voir le mariage comme une transaction financière », souligne-t-il.

Vers des mariages plus réfléchis et moins arrangés

Autre changement notable : de plus en plus de jeunes veulent choisir leur partenaire en fonction de leur compatibilité, et non des arrangements familiaux. « Nos parents avaient l’habitude d’organiser les mariages, mais aujourd’hui, ils nous laissent plus de liberté », remarque Kong Vibol, doctorant en travail social aux États-Unis.

Les réseaux sociaux ont aussi joué un rôle clé dans cette transformation. « En voyant comment vivent les jeunes ailleurs, nous comprenons qu’il n’y a pas qu’une seule façon de faire », explique Phearak.

Le poids caché du mariage : la charge mentale des femmes

Si les jeunes hommes repoussent le mariage pour des raisons financières, les femmes, elles, sont confrontées à un autre obstacle : l’inégalité domestique. « En tant que femmes, nous savons qu’une fois mariées, nous allons devoir gérer beaucoup plus que notre travail », regrette Phearak.

Il parle ici de la charge mentale : cette responsabilité invisible de penser à tout, tout le temps. « Les femmes assument encore la majorité des tâches domestiques, et cela fait peur. On sait qu’on devra jongler entre le travail, la maison, les enfants... sans forcément avoir de soutien », ajoute-t-il.

À cela s’ajoute un problème encore plus grave : la violence domestique. « Quand on sait que beaucoup de femmes subissent des violences physiques, psychologiques ou sexuelles au sein de leur foyer, on comprend pourquoi certaines hésitent à se marier », souligne-t-il.

Quel impact sur la société et l’économie ?

Repousser le mariage, est-ce vraiment une bonne chose ? Certains s’inquiètent des conséquences. Avec moins de mariages, la natalité chute et, à long terme, le Cambodge pourrait se retrouver face à une population vieillissante, avec une main-d’œuvre en diminution. « D’ici 20 ans, nous aurons plus de personnes âgées et moins de jeunes actifs pour les soutenir », avertit Pa Chanroeun, président de l’Institut cambodgien pour la démocratie.

Mais pour Phearak, cette vision est trop simpliste. « On ne peut pas réduire les jeunes à une simple force de travail. Ce qui compte, c’est leur épanouissement, leur accès à l’éducation et à des conditions de vie dignes », insiste-t-il.

Que peut faire le gouvernement ?

Face à cette évolution, quelles solutions ? Certains experts suggèrent des politiques incitatives, comme des réductions d’impôts pour les familles ou des aides au logement. Mais pour Phearak, la priorité est ailleurs. « Il faut alléger la charge domestique des femmes en mettant en place un véritable congé parental, pour les pères comme pour les mères », propose-t-il.

Pa Chanroeun, lui, insiste sur la nécessité d’améliorer les services publics, notamment en santé et en éducation. « Si on veut encourager les jeunes à fonder une famille, il faut leur donner les moyens de le faire sans qu’ils se ruinent », affirme-t-il.

Un mariage à la carte ?

Plus que jamais, le mariage est devenu un choix personnel et non une obligation. Les jeunes Cambodgiens ne rejettent pas l’idée de se marier, mais ils veulent le faire à leur rythme, selon leurs propres conditions. Que ce soit pour des raisons d’indépendance, de carrière ou de finances, ils redéfinissent les règles du jeu.

Alors, mariage ou pas ? La réponse semble être : « Quand je serai prêt. »

 

Avec l'aimable autorisation de Cambodianess, qui a permis la traduction de cet article et ainsi de le rendre accessible au lectorat francophone.

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