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Séverine Roels : revenir au Cambodge pour créer

Réalisatrice et écrivaine française, Séverine Roels a exploré le thème du Cambodge à travers plusieurs de ses œuvres.

Séverine RoelsSéverine Roels
Écrit par Raphaël FERRY
Publié le 23 février 2025

En 2002, elle a réalisé le documentaire Go Back, qui suit le voyage initiatique de Candice, une jeune femme métisse franco-khmère, partie découvrir ses origines au Cambodge. Trente ans auparavant, son père avait fui le pays. Le 5 février 2025, le Centre Bophana a organisé une projection du film, l'occasion pour Séverine de partager son expérience de production et sa collaboration avec des techniciens cambodgiens et français. En 2020, elle a publié un roman intitulé Le Festin de Durian, racontant l'histoire de Sokunthy, une adolescente de 14 ans, et le délitement d'une famille cambodgienne installée à Paris.

Retour sur ses premiers projets

Avant de réaliser Go Back, Séverine Roels a tourné un premier documentaire en 2001, Les Survivants de l'année zéro, au sein de la communauté khmère de Nantes. Pendant trois semaines, elle a suivi les préparatifs du Nouvel An cambodgien, entremêlant des images d'archives et des entretiens avec plusieurs générations d'exilés. Son documentaire donne la parole à des survivants du génocide et à leurs descendants, qui oscillent entre un désir d'oubli et une volonté de reconquérir leur culture.

"Les plus âgés préféraient ne pas en parler, c'était trop douloureux. Mais les plus jeunes, eux, voulaient comprendre et reconstruire un lien avec leur histoire", confie-t-elle.

L'impact personnel et professionnel

L'expérience de ce tournage a été déterminante pour Séverine. Elle a grandi dans une famille franco-khmère. Son beau-père est cambodgien, et c'est lui qui l'a élevée. "Je marchais sur des œufs en abordant ce sujet, car c'était douloureux pour lui. Parler du passé, c'était rouvrir des plaies", explique-t-elle. Ces questionnements l'ont poussée à explorer le Cambodge à travers le regard de sa demi-sœur Candice dans Go Back. En collaboration avec l'organisation Rithy Panh, elle a pu s'entourer d'une équipe technique compétente et mener à bien son projet.

Un retour aux origines à travers le documentaire

Le tournage au Cambodge a pris une dimension inespérée lorsque la famille de Séverine a accepté de rejouer les étapes de leur exode en 1975, les menant à revivre les événements qui les avaient marqués. Une séquence marquante du film met en lumière la confrontation entre des survivants et leur ancien geôlier, un moment de tension et de pardons bouleversants.

"Nous ne nous attendions pas à ce face-à-face. Leur ancien geôlier était encore là, vivant dans le même village. Ce fut un moment de vérité bouleversant",

Quelle place pour la mémoire aujourd'hui ?

En 2025, 50 ans après le génocide, le Cambodge est un pays où plus de la moitié de la population a moins de 30 ans. Pour ces jeunes, l'histoire du régime Khmer Rouge semble parfois lointaine. Séverine observe que les exilés, en revanche, sont souvent restés figés dans cette période, incapables d'évoluer avec le Cambodge d'aujourd'hui.

"Pour certains exilés, le temps s'est arrêté en 1975. Ils vivent avec des souvenirs figés, tandis que le pays continue d’avancer", analyse-t-elle.

Elle souligne l'importance de la transmission et du devoir de mémoire, regrettant que l'histoire soit parfois minimisée dans les manuels scolaires cambodgiens. "Si l'on ne connaît pas son passé, comment peut-on construire l'avenir ?", s’interroge-t-elle.

 

Go Back
 Go Back de Séverine Roels 

 

Un intérêt renouvelé pour la culture cambodgienne

Après avoir longuement exploré la mémoire du génocide, Séverine souhaite aujourd'hui traiter le Cambodge sous un angle différent. Elle s'intéresse à la richesse culturelle du pays et notamment à la place centrale du chant dans la vie des Cambodgiens. Ce projet, intitulé Le Peuple des Chanteurs, mettrait en avant la manière dont le chant accompagne les Cambodgiens de la naissance à la mort.

"Ici, on chante à chaque moment de la vie : pour les naissances, les mariages, les funérailles... C'est une forme de mémoire vivante, un témoignage qui traverse les générations", explique-t-elle.

Un documentaire pourrait voir le jour, suivant plusieurs chanteurs et explorant l'importance de la tradition orale dans la culture khmère.

Des projets littéraires en gestation

Outre ses projets documentaires, Séverine a exploré d'autres horizons avec 1780, un roman publié il y a deux ans. Ce récit fantastique met en scène une femme de notre époque projetée à la cour de Versailles en 1780, où elle se lie d'amitié avec des figures historiques. "J'aime mélanger l'histoire et la fiction. Plonger dans une autre époque me permet de mieux comprendre la nôtre", explique-t-elle.

Actuellement, elle prend des notes pour un futur projet littéraire inspiré de son dernier voyage au Cambodge. "J'ai vu et entendu tant de choses durant mon séjour que je ressens le besoin de les mettre en mots", dit-elle.

Retourner au Cambodge pour créer

Bien que vivant en France, Séverine envisage de revenir au Cambodge pour plusieurs mois en octobre prochain. Son objectif est d'affiner ses recherches et de rencontrer des artistes locaux afin d'approfondir son projet sur la musique khmère. "Je veux prendre le temps d’observer, d’écouter, de m’immerger dans cette culture qui me fascine toujours autant", confie-t-elle.

Entre documentaires et romans, son lien avec le Cambodge continue de nourrir son inspiration et son engagement artistique.

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