Des cassettes audio aux ondes des radios libres, Younes Boumehdi a su ouvrir toutes les portes fermées pour réaliser son rêve. A la tête de Hit Radio, la première radio privée du continent, l’entrepreneur franco-marocain révèle les talents et donne la parole à la jeunesse africaine. Younes lance aujourd’hui à son pays le pari qu’il s’est lancé dès les années 1990 : investir dans la culture. « Le rayonnement du Maroc doit également passer par le développement culturel. », assure-t-il. Il est le lauréat du Trophée Culture/Art de Vivre des Trophées des Français du Maroc 2025.
Certains rêves naissent d’un besoin implacable de liberté. Younes Boumehdi peut en témoigner. S’il a pu lancer Hit Radio en 2006, ce moment il l’avait rêvé depuis bien plus longtemps. « Ce projet m’est venu de la frustration que j’ai ressenti adolescent », nous explique le Franco-Marocain. Younes grandit dans les années 1990 à Rabat et n’a qu’une envie : pouvoir écouter la musique de sa génération. Contrairement à ceux qui vivaient au Nord du Maroc, « nous ne pouvions pas capter les ondes des radios espagnoles ». Lors de ses études à Paris, Younes découvre le plaisir des radios libres. Sa décision est prise : lancer la première radio privée du Royaume. En 1993, il fait sa première demande de licence : « il a fallu 13 ans avant qu’elle n’aboutisse ».
Hit radio, la radio des ondes positives
Avec une résilience sans pareil, Younes décroche finalement le Graal en 2006 : « Le Roi Mohamed VI est arrivé au pouvoir en 1999 et a décidé de mettre fin au monopole de l’Etat avec la mise en place de réformes. En 2005, des processus ont été lancés pour autoriser des radios privées. En mai 2006, j’ai signé ma licence et j’ai pu commencer à diffuser, d’abord à Rabat, Casablanca et Marrakech ». Hit radio se concentre dès le départ sur sa cible d’origine : « les jeunes de 16-25 ans ». La musique est urbaine, pop et hip-hop, avec un mélange de « titres internationaux et de musique marocaine ». « J’ai toujours voulu mettre en avant des artistes marocains underground pour aider à les populariser », explique l’entrepreneur qui voulait « démocratiser l’accès à cette musique ». « Le Maroc a vécu plusieurs déchirements. Il est essentiel pour moi de valoriser la culture marocaine moderne et aussi le lien avec sa diaspora », ajoute Younes.
La radio de la jeunesse africaine
Comme son nom la prédestinait, la radio devient rapidement un hit et s’internationalise dès 2012. Hit radio est aujourd’hui présente dans 12 pays (Burkina-Faso, Burundi, Comores, Congo, Côte d'Ivoire, Gabon, Maroc, Mauritanie, Niger, République centrafricaine, Tchad, Togo). « J 'avais une certaine conviction qu’un jeune de Johannesburg, de Casablanca, ou même de Stockholm, a les mêmes aspirations et les mêmes problématiques », confie Younes. Même si la station a tenté sa chance en Europe (Belgique, Portugal), « Hit radio se sent très africaine ». La radio musicale devient un fervent défenseur de la francophonie mais n’en oublie pas ses racines locales. « Nous avons décidé d’utiliser au Maroc le darija dans nos journaux d’informations. Cela a créé des polémiques au début. Mais nous avons voulu défendre l’idée que la langue n’est qu’un moyen pour intéresser nos auditeurs et les accrocher », raconte Younes.
En fonction des fréquences, Hit Radio propose ainsi des capsules en amazigh ou encore en hassani, « le darija du désert ». L’important pour Younes est de « donner la parole aux auditeurs sans censure, de faire un pont entre la jeunesse et le reste de la société et de révéler les talents ». Depuis 2006, toute une génération d’artistes marocains et africains doit d’ailleurs son succès à la station qui leur donne leur chance et leur permet d’atteindre un public international.
Le rayonnement du Maroc doit également passer par le développement culturel
Développer le Maroc par sa culture
Hit radio est écoutée par plus de 30 millions d’auditeurs aussi bien sur ses fréquences que sur ses applications ou en podcast. Younes Boumehdi a pourtant des ambitions aussi brillantes que son généreux sourire. « Le rayonnement du Maroc doit également passer par le développement culturel. Cela représente un potentiel d’emploi et de création de richesses extrêmement important, d’autant plus que le Royaume a une position stratégique cruciale et une diaspora au fort pouvoir d’achat », souligne celui qui prend en exemple le succès de l’industrie culturelle turque.
Younes s’est donc engagé depuis 2013 auprès de la fondation HIBA dont il est le président, « une responsabilité importante qui démontre l’ambition et la confiance dans mon pays ». Créée en 2006 à l’initiative de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, la Fondation HIBA est une association à but non lucratif œuvrant pour le développement et la promotion de l’art sous toutes ses formes en soutenant la création et en encourageant les associations et les jeunes talents, notamment de la scène marocaine contemporaine. La Fondation dispose d’un centre de documentation et de formation, d’une salle de diffusion, d’un lieu de répétitions, d’un espace de co-working associatif, d’un café et d’un studio d’enregistrement dernière génération.
L’indépendance des médias est une problématique qui ne concerne pas que l’Afrique
Younes Boumehdi s’engage aussi pour l’indépendance de la presse. Intervenant encore récemment à un colloque organisé par l’UNESCO, l’entrepreneur défend la voix des médias privés et indépendants. Il a co-fondé dès 2007 l’ARTI : association de radio et télévisions indépendantes. « L’indépendance des médias est une problématique qui ne concerne pas que l’Afrique », souligne-t-il.
Les frustrations d’autrefois ont fait aujourd’hui place à une fierté du chemin accompli mais aussi à l’espoir dans les nouvelles générations inspirées par ses ondes : « Le Maroc peut croire en sa culture. Ce secteur est un vecteur d’avenir mais aussi a la chance d’avoir ce supplément d’âme, en offrant une vraie ouverture d’esprit, de tolérance et d’acceptation des différences ».