Le Petit Journal de Chennai a rencontré Karine Soundaramourty-Pelade dans sa galerie d’art Kalinka, une grande maison tamoule, située à la sortie de Pondichéry, toute proche de l’ONG Volontariat. Karine est à la fois parisienne et marseillaise de cœur. Par sa mère, artiste plasticienne et professeur d’art, elle a naturellement été toute jeune sensibilisée à ce moyen d’expression.
Karine Soundaramourty-Pelade a bien voulu répondre à nos questions et nous faire partager cet enthousiasme, pour les artistes indiens qu’elle expose.
Enfant des années 1970, Karine dit "avoir grandi dans un univers absolument anti-conventionnel et même un peu radical", reflétant une certaine société française qui s’émancipe alors d’un modèle bourgeois. 1968 est passé par là, les trente glorieuses sont terminées. 1970 correspond en France, à une période de transition remuante dans plusieurs domaines. C’est le premier choc pétrolier, le début de la conscience écologique, de nouveaux moyens de communication apparaissent, le domaine artistique se défait des conventions et n’a jamais été aussi éclectique. La photographie connaît une valorisation sans précédent, des artistes peintres ouvrent la voie à de nouveaux horizons. Le Président de la République française d’alors, George Pompidou, décide, en 1969, la création et la construction d’un centre national d’art et de culture sur le plateau Beaubourg. Les deux concepteurs sont Renzo Piano et Richard Rogers. C'est un lieu artistique qui secoue l’opinion publique par son architecture. Karine verra grandir le Centre Pompidou, connu surtout sous son nom de Centre Beaubourg.
J’ai assisté à la création de Beaubourg, j’avais 6 ans à l’ouverture en 1977. J’y étais pour toutes les premières expositions. Ma mère me laissait parfois à la bibliothèque pour enfants, lorsqu’elle allait voir les expos. Elle m’a donné à voir énormément, elle était entourée d’artistes.
Cependant Karine suivra des études de droit et devient avocate. Elle dit qu’elle "a pris le contrepied du modèle familial, probablement par besoins de cadres, de codes et de plus de conventions". Elle ne rompt cependant pas avec le milieu artistique et y revient entièrement, à Pondichéry, par une autre porte, en offrant à des artistes indiens, un espace où exposer leurs œuvres.
lepetitjournal.com : Pouvez vous nous dire en quelle année vous êtes venue pour la première fois en Inde et pour quelle raison ?
Karine Soundaramourty-Pelade : J’ai fait mon premier voyage en Inde en 2008 durant lequel j’ai visité Varanasi et le Rajasthan. Je fais partie de ces Européens qui ont eu le coup de foudre. Je suis revenue tous les ans, je suis restée quelque temps à Auroville pour écrire et je me suis installée en Inde 8 ans après en faisant de Pondichéry mon point de chute.
Vous aviez ouvert une première galerie. Quand et pourquoi l’avez vous fermée ?
J’ai ouvert ma première galerie en juin 2015. Je l’ai fermée pendant la pandémie de Covid. Et j’ai réouvert cette nouvelle galerie, Kalinka, à Uppalam le 7 juillet 2023.
Comment rencontrez vous les artistes ? Allez vous les chercher ou ce sont eux qui vous contactent ou un de leurs proches ?
C’est une question que tout le monde me pose, et à laquelle je ne sais pas répondre. Je ne les trouve pas, je ne les cherche pas, ils arrivent, je les connais depuis dix ans. Je les rencontre en allant visiter des expos. Lorsque je venais en Inde en touriste, je parlais souvent avec les artistes qui présentaient leurs œuvres, voilà comment j’ai créé des amitiés. Lorsque je me rends à la Biennale d’art de Cochin, par exemple, je prends les noms et les références des artistes qui m’intéressent.
Quelles ont été les réactions des artistes lorsque vous leur avez annoncé votre projet de réouverture d’une galerie ?
Tous les peintres sont venus me voir et étaient heureux que je rouvre une galerie ! Quand je les expose, je ne leur demande pas de contribution financière.
Croyez vous qu’être galeriste s’improvise ou faut-il avoir en amont une bonne connaissance de l’histoire de l’art ?
Non, je ne pense pas que cela s’improvise, il faut avoir l’oeil éduqué à l’art, avoir vu beaucoup d’oeuvres de qualité, avoir vu beaucoup d’expositions et visité des musées. Posséder aussi de bonnes connaissances en art et histoire de l’art me semble indispensable. Mais tous les passionnés d’art ont ces attributs.
Il est certain que ma qualité d’avocate est un atout supplémentaire pour établir des contrats qui garantissent des échanges clairs et des modalités d’exposition et de vente bien définies entre l’artiste et le galeriste.
Je pense aussi qu’avoir fait des études structure la pensée et permet d'acquérir une base pour apprendre autre chose, comme des connaissances culturelles.
Selon vous, comment différencie t-on un bon peintre d’un artiste ? Est-ce subjectif ? Cela a-t-il à voir avec vos propres émotions, avec une technique ?
Selon moi, un amateur d'art sait reconnaitre un artiste mais c’est complètement subjectif et il est difficile d’expliquer les critères qu’on utilise. Dans une œuvre de qualité, on sent le travail, le trait et la singularité de la créativité.
La copie, ou le “sous-quelque chose” ça se voit, un trait qui ne vient pas des tripes ça se voit, on ne ressent pas d’énergie.
Par exemple, je ne ressens pas la même créativité chez les peintres de l’hyper figuratif, ceux qui essayent de reproduire la réalité, excepté avec Rajkumar Sthabathy, qui est tellement talentueux. Il arrive à retranscrire l’âme des gens dans ses portraits.
Pensez-vous qu’il y a un art qui serait spécifiquement indien ou tamoul ? Quelles seraient, si c’est votre opinion, les différences avec des artistes occidentaux ?
Il y a beaucoup de peintres au Tamil Nadu. Au départ la majorité ont une formation très académique et cela leur demande une vraie démarche artistique, un effort plus important que s’ils avaient étudié en France, pour s’en détacher. Je suis surtout impressionnée par leur capacité à se libérer de cet académisme.
Quant aux différences, il y en a certainement mais c’est plus un ressenti de ma part : la couleur et les lumières sont différentes, mais je ne sais pas vraiment expliquer pourquoi.
Les thèmes ne sont pas si différents, mais pas tous. Abstraits, contemporains, ça s’inscrit dans des thèmes d’ici mais le traitement de la lumière est différent. Ezhilarasan Ezhumale, par exemple, a peint plusieurs tableaux sur le thème de l’Himalaya.
Tous n’utilisent pas la peinture à l’huile, elle met plus de temps à sécher ici, donc certains préfèrent utiliser l’acrylique mais c’est aussi par manque de moyens financiers. Ce sont souvent des peintres d’origine modeste.
Existe t’il un marché de l’art indien ?
Il y a un marché très important de l’art en Inde, à Mumbai, Delhi et dans d’autres grandes villes. Il y a des galeries d’art contemporain, la biennale d’art contemporain de Cochin, qui est une biennale d’art contemporain d’envergure internationale, sans oublier la Foire d’art de New Delhi.
De votre point de vue quel est votre rôle entre l’artiste et le public ?
Faire connaître un artiste et vendre son travail. Pour être agent d’artiste, il faut aimer le travail de l’artiste, sa singularité, sa créativité, il faut pouvoir en parler. C’est aussi pourquoi il faut avoir une bonne connaissance de l’art.
Qui fixe les prix des toiles exposées chez vous ? Une œuvre d’art a t’elle vraiment un prix ?
Les artistes fixent les prix. Je leur demande de me faire des propositions et si c’est trop élevé par rapport à la clientèle, on en discute.
Je fais attention à ce qu’ils ne se sous évaluent pas ou l’inverse. Pour fixer le prix, je suis attentive à leur cote, mais aussi à leur évolution, leur popularité… Je connais la plupart d’entre eux depuis une dizaine d’années.
Certains vendent peu cher, parce que pour eux ce qui compte, c’est de vendre. J’ai vendu six œuvres lors de la première expo collective, dont une œuvre de Kirti Chandak.
En Inde, contrairement à la France, ils disent "je veux gagner tant d’argent et rajoutez la somme que vous voulez pour la galerie". Je ne suis pas d’accord et leur demande de me dire ce qui leur paraît être un bon prix de vente pour leur œuvre, puis je prends un pourcentage pour la galerie, mon travail et les frais (loyer, électricité, publicité, encadrement).
Croyez vous que Pondichéry soit un bon endroit pour faire découvrir des artistes ?
Le démarrage de la galerie est très encourageant, il faudra voir sur la durée. Actuellement, les visiteurs sont indiens et français.
J’ai envie de créer un petit plan de Pondichéry en indiquant les lieux culturels et artistiques, aussi bien les musées publics que les galeries.
Pondichéry est une ville active sur le plan de la culture : Lalit Verma, qui est indien, est actif depuis de nombreuses années à Pondichéry, dans le domaine culturel avec la scène musicale, il y a aussi la galerie d’art Aurodhan, le Centre d’Art, Citadine à Auroville. Kirti Chandak, une artiste peintre, a créé la galerie Tasmai, un centre pour l’art et la culture, qui vient de fêter ses 10 ans et depuis cette année, l’Alliance française, a aussi ouvert un espace d’exposition pour des artistes. Sans compter les autres galeries plus petites de Pondichéry et Auroville.
J’aimerais que Pondichéry devienne comme Cochin, une destination d’art. Les gens viennent déjà pour la spiritualité d’Auroville et l’Ashram d’Aurobindo, c’est le lieu de villégiature privilégié où l’on peut manger français, ils viendraient aussi visiter de nombreuses expositions.
La galerie Kalinka a exposé depuis son ouverture :
- en exposition collective, les artistes Kirti Chandak, Arun, Danasegar S.,Vengatesh, Rajkumar Sthabathy, Christina Joseph,
- une rétrospective du travail d’Ezhilarasan Ezhumale.
Actuellement on peut y voir une exposition de Sridar Kannan et Radja Perumal, jusqu’au 21 octobre 2023.