La justice indienne est en quête d'un système plus équitable, permettant aux condamnés, dans certains cas, de sortir ponctuellement de prison, ou d'être libérés sous caution en attendant leur jugement.


Libération conditionnelle en Inde : la quête d'un système équitable
En 2023, M. Jayanandan est devenu un auteur publié. Il n'avait étudié que jusqu'en troisième, publier un livre était son rêve, et ce fut une grande réussite dans sa vie. M. Jayanandan était par ailleurs un meurtrier condamné, incarcéré depuis déjà dix-sept ans. Sa fille a demandé aux autorités, par l'intermédiaire de sa mère, une autorisation de sortie pour son père à l'occasion du lancement de son livre. Dans une affaire portée jusqu'à la Haute Cour du Kerala, le tribunal a décidé de lui accorder une permission de deux jours pour assister à la sortie de son premier ouvrage.
En 2024, un étudiant indien a été admis à un programme de master de deux ans en science des données dans une université à Melbourne, en Australie. En Inde, on attache une grande importance à l'éducation des enfants, et être admis dans une université à l'étranger est un accomplissement majeur. Mais le père de l'étudiant, condamné pour meurtre, purgeait une peine de prison. Il a toutefois demandé le droit de rentrer chez lui, et la Haute Cour de Bombay lui a accordé une libération conditionnelle de dix jours, estimant qu'il devait régler d'importants frais de scolarité, en plus des frais de voyage et de séjour de son fils. La Cour a estimé que si l'on peut obtenir un permis de sortie pour des événements tristes, les événements heureux doivent aussi être célébrés. Elle a ajouté que les « Bombay Furlough and Parole Rules », rédigées conformément aux principes de la Prisons Act de 1984, stipulent que la libération conditionnelle peut être accordée en cas d'imprévu. Ainsi, organiser le financement des études à l'étranger est une éventualité de la vie qui doit être prise en compte.
Impressions lors de visites dans la prison de Puzhal, à Chennai
Dans cette optique, mais dans une affaire révélatrice des idées dominantes de la société indienne, le siège de Nagpur de la même Haute Cour de Bombay a déclaré qu'être « jeune et célibataire » ne constituait pas un motif valable pour refuser la libération conditionnelle d'un condamné. Les autorités pénitentiaires avaient estimé qu'un prisonnier célibataire était plus susceptible de s'enfuir, et avaient ainsi refusé à un détenu le droit de rendre visite à sa famille. La Haute Cour a annulé cette décision et accordé à un jeune homme de 26 ans, condamné pour meurtre, un congé de 28 jours pour aller voir les siens.
Ce même principe d'une prise en compte large des aléas de la vie a également été appliqué par le siège de Bangalore de la Haute Cour du Karnataka, en novembre 2024, lors de l'examen d'une demande de libération conditionnelle formulée par un homme incarcéré depuis onze ans pour meurtre. Sa requête auprès du surintendant de la prison centrale avait été rejetée. La Haute Cour, après étude du dossier, lui a finalement accordé 90 jours de libération conditionnelle, estimant que la supervision des travaux agricoles d'une ferme familiale, en l'absence d'autre homme dans la famille, constituait un motif valable.

Mais les prisons indiennes, surpeuplées, ne sont pas principalement occupées par des condamnés. En réalité, seulement 23 % des détenus le sont. En 2023, la grande majorité, soit 77 %, était composée de prévenus, dont plus de 12.000 attendaient leur procès depuis plus de cinq ans.
La caution dans le système judiciaire indien
Lorsqu'une personne est déjà condamnée, l'idée est manifestement de préserver les liens familiaux. Mais si c'est bien cela l'objectif principal, pourquoi ne pas agir dès le départ, en réduisant le nombre de prévenus en détention ?
L'une des procédures ayant fait l'objet d'une refonte majeure dans le nouveau Code pénal BNS de 2023 est celle de la caution. De nombreuses dispositions clarifiant les termes « caution » et « cautionnement » ont également été introduites dans le nouveau Bharatiya Nagarik Suraksha Sanhita (BNSS), qui remplace désormais l'ancien Code de procédure pénale (CPrC).
En principe, la caution permet à une personne accusée ou soupçonnée d'une infraction pouvant donner lieu à cette mesure, d'être libérée de détention sous certaines conditions. Le nouveau Code précise clairement que la mise en liberté sous caution ne se limite pas à la libération physique de l'individu, mais qu’elle inclut également les obligations fixées par le tribunal en échange de cette liberté.

Position de la Cour suprême sur la mise en liberté sous caution
L’ancien président de la Cour suprême de l’Inde, récemment retraité, D.Y. Chandrachud, s’est battu pour que la mise en liberté sous caution soit la norme. Son successeur, Sanjiv Khanna, poursuit activement ce combat.
Mais faire de la libération sous caution la règle générale pour les personnes accusées, afin de réduire la population carcérale indienne, se heurte à des obstacles quotidiens dans les tribunaux du pays.
Dans un discours prononcé à Bangalore avant son départ, le juge en chef Chandrachud a affirmé que les juges devaient faire preuve de « solide bon sens », tout en rappelant à plusieurs reprises qu’une ordonnance de mise en liberté sous caution ne devait être suspendue que dans des « cas rares et exceptionnels ».
Les menottes en Inde : une solution de dernier recours
L’interprétation des dispositions sur la caution par les tribunaux inférieurs
Il est évident que pour la Cour suprême, le modèle par défaut est la mise en liberté sous caution. Mais il semble que l’inverse soit vrai pour les hautes cours et les tribunaux de moindre envergure dans tout le pays.
La décision de la Cour suprême dans l'affaire Tirupati Balaji Developers contre l'État du Bihar, 2004, indique clairement que la Cour suprême n'a aucun pouvoir de contrôle sur les hautes cours et que, par conséquent, le principe de la mise en liberté sous caution, rappelé à maintes reprises par la Cour suprême, ne peut être interprété que comme une suggestion ou tout au plus comme une demande, et non comme un ordre.
Les hautes cours n'accordent pas de caution par défaut. Et comme, conformément à l'article 227 de la Constitution, les hautes cours « ont le pouvoir de surveillance sur tous les tribunaux et cours dans les territoires sur lesquels elles exercent leur juridiction », on peut en dire autant des tribunaux et cours de moindre importance, qui n'accordent pas non plus de caution par principe.
L’une des raisons invoquées pour expliquer la résistance des tribunaux inférieurs à accorder la caution est le faible taux de résolution des affaires.

La mise en oeuvre du principe de la caution comme situation par défaut
Dans la pratique, la mise en œuvre du principe de la caution comme situation par défaut varie énormément dans la pratique judiciaire en Inde. Au point que la Cour suprême a demandé, en mai 2024, à la Haute Cour d'Allahabad d'envoyer l'un de ses juges à l'Académie judiciaire pour une mise à niveau de ses compétences, estimant que la réticence persistante à accorder la caution dans les cas où la détention n'était pas nécessaire, malgré un avertissement en mars de la même année, nécessitait cette visite à l'Académie.
Les progrès concrets dans la mise en liberté sous caution
En 2024, la Haute Cour de Calcutta a accordé la caution à un homme accusé d'avoir tué sa femme, en raison de retards dans le déroulement du procès. L'homme avait été inculpé en vertu des articles 498A du Code pénal indien (cruauté envers une femme mariée par son mari ou ses proches) et 302 (meurtre). Il avait été emprisonné pendant 28 mois avant qu’aucune accusation ne soit formellement retenue contre lui. La Cour a déclaré, lors de l'octroi de la libération sous caution, que le « droit fondamental à la liberté personnelle et à un procès rapide est primordial et prime sur toutes les autres considérations ».
Dans un autre cas illustrant la réalité des prévenus, la Haute Cour de Bombay a également accordé, en 2024, la libération sous caution à un homme emprisonné depuis huit ans, en attente de son procès. Il avait été accusé dans une affaire de double meurtre. La Cour a affirmé qu’« une personne ne doit pas être détenue pendant une période indéterminée ». Elle a pris en compte le fait que, malgré les instructions données à la police et aux avocats publics pour conclure le procès dans un délai déterminé, les accusations n'ont pas été retenues, donnant à l’accusé le droit d’obtenir la libération sous caution.

La position de la Cour suprême sur les obstacles non légitimes à la liberté sous caution
« Qu'est-ce qui ne devrait pas faire obstacle à la libération sous caution ? », la Cour suprême s’est expliquée dans plusieurs de ses décisions.
Les conditions de mise en liberté sous caution, lorsqu’elles sont difficiles à remplir, ne devraient pas devenir la norme. Ainsi, dans une décision d’août 2024, la Cour a affirmé qu’« une caution excessive n’est pas une caution » et que « ce qui est excessif dépendra des faits et des circonstances propres à chaque affaire », tout en rappelant constamment que « les tribunaux doivent faire preuve de retenue lorsqu’ils imposent des conditions de mise en liberté sous caution ».
En application de ce principe de rejet des cautions excessives, un prévenu à Delhi, poursuivi dans treize affaires distinctes d’abus de confiance, de tricherie et d’intimidation criminelle, a été libéré sous caution dans tous les dossiers. La Cour a estimé qu’une condition exigeant la signature de vingt-six personnes en tant que cautions était pratiquement impossible à remplir. Dès lors, elle a jugé que si la présence de l’accusé doit être assurée par le biais de cautions, un équilibre doit aussi être trouvé entre l’exigence de garanties et le respect des droits fondamentaux, en vertu de l’article 21 de la Constitution. Reconnaissant les « dures réalités de la vie » auxquelles sont confrontés de nombreux citoyens, la Cour a accordé la libération sous caution avec pour seule garantie celle de quatre personnes.
Dans un autre dossier, la Cour suprême a jugé que l’obligation faite à une personne libérée sous caution de partager en direct sa localisation constituait une mesure excessive, portant atteinte à son droit à la vie privée. Elle a précisé : « permettre à une agence d’enquête de surveiller en permanence la vie d’une personne constituerait une violation de sa vie privée ».
Les demandes de mise en liberté sous caution et de libération conditionnelle pèsent quotidiennement sur les tribunaux, mais un exemple frappant de la nécessité d’améliorer le système est survenu en janvier 2024. Ce mois-là, la Haute Cour de l’Haryana et du Pendjab, siégeant à Chandigarh, a accordé une libération sous caution anticipée à un accusé dans une affaire de stupéfiants… qui était décédé un mois auparavant, en attendant sa libération.
Autre problème tout aussi grave : celui des prisonniers maintenus en détention malgré l’obtention de leur libération sous caution. Rien que dans l’État du Tamil Nadu, ils sont actuellement plus de 150 dans cette situation. En décembre 2024, la Haute Cour de Madras a sommé les greffiers de l’État d’accélérer les formalités nécessaires à leur libération.
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