Figure incontournable de la communauté française, Nguyen Quoc Khanh, 84 ans, fondateur, presque malgré lui, de la librairie Nam Phong située aujourd'hui, au 36 de la rue Bui Vien, incarne à lui seul, une part de l'histoire tragique de la fin de l'Empire du Vietnam et de l'Indochine française. Portrait du dernier mandarin d'Ho Chi Minh Ville.


Monsieur Khanh, comme l'appellent ses proches, doit d'abord sa notoriété à la librairie française, la seule d'Ho Chi Minh Ville, créée en 2002. C'est à cause de l'insistance de sa femme Colette que ce dernier témoin vivant des ombres et des ors de la dynastie impériale est devenu, le temps de la retraite venu, libraire.
Drôle de libraire qui avoue, en souriant, ne rien connaître à la littérature et n'avoir que peu de goût pour la lecture. Mais l'ancien ingénieur des Mines, l'étudiant matheux des classes préparatoires du lycée Louis Grand se devait aussi de renouer avec sa longue lignée d'ancêtres lettrés confucéens, francophones et francophiles établis à Hué.
« Mon père, écrivain, libraire, une fois réfugié en France voulait que je devienne ingénieur, me poussait à étudier les mathématiques et me répétait toujours que la littérature ne permettait pas de gagner sa vie ».
Comme pour inciter son fils, naturalisé français au milieu des années cinquante, à tourner définitivement le dos au passé. Un passé bien trop lourd à porter pour un enfant. Nourrisson bercé par la dernière impératrice du Vietnam, Marie-Thérèse, l'épouse de Bao Dai. Camarade de classe et d'exil à Cannes, des princes et des princesses. « Nous allions ensemble à l'école. Notre famille, une longue lignée de lettrés confucéens a toujours été très proche de la famille impériale. Mon grand-père maternel a été le dernier ministre de l'Intérieur de Bao Dai. Il a été exécuté par le Vietminh...
Une famille de francophiles
Mon père, nationaliste mais francophile et écrivain francophone, a été retenu en captivité dans le maquis durant de longues années. Très vite, ses geôliers lui ont demandé de leur donner des cours de français... C'était très important d'un point de vue militaire, évidemment ». Nostalgie des années perdues, dans la bouche de M. Khanh, le mot impérial est prononcé avec un profond respect. « Nostalgie, mais pas soutien. D'ailleurs, je suis le seul ancien proche de la famille impériale revenu vivre au Vietnam ».
C'est qu'une fois libéré des camps du Viet Minh, le père de Nguyen Quoc Khanh a emmené toute la famille en France. Cannes en 1952 puis Paris. « Nous avons été élevés comme des Français... À l'école des Mines de St-Etienne, j'ai rencontré Colette, ma future femme, issue d'une famille d'ouvriers ». Ensuite une carrière dans la société Shell. Deux enfants. Une maison familiale dans l'Orne.
Son retour au Vietnam
« En 1996, j'ai été chargé par Shell de monter un réseau de distribution au Vietnam. Le pays était encore en voie de développement. Seuls les étrangers conduisaient des voitures, l'électricité manquait... ». 2002, Mission accomplie. Monsieur Khanh a développé pour Shell des filiales qui comptent désormais près de 250 salariés. Vient l'heure de la retraite. Et une décision : rester au Vietnam.
« Ma femme ne voulait surtout pas que je crée une usine. Alors, elle qui était une grande lectrice a décidé de fonder une librairie. J'ai suivi. Mais en parallèle, je gardais des mandats d'administrateur au sein de quelques sociétés. J'ai investi dans des ressorts pour touristes. Dans des cages d'élevage à poissons sur le Mékong, je faisais du consulting ».
Monsieur Khanh aujourd'hui
Avec l'âge, Monsieur Khanh a abandonné ses activités, l'une après l'autre. Colette, son épouse, est décédée il y a quelques années. Mais tous les jours ou presque, il vient dans la librairie. Il règne sur un fragile empire de papier de près de 10.000 livres.
L'intelligence est restée aiguisée comme une lame. La mémoire intacte. Et parfois, le soir venu de très vieux messieurs se réunissent autour de lui, à l'étage de la librairie.
On y parle en français d'un temps d'avant le Sud-Vietnam. D'un temps où Ho Chi Minh et les nationalistes se fréquentaient encore en Chine, d'un temps d'avant les guerres...
DATES.
1941. Naissance à Hué
1952. Arrivée en France
1957. Maths Spé au Lycée Louis Le Grand
1996. Retour au Vietnam comme directeur local du groupe Shell
2002. Départ en retraite et création de la librairie Nam Phong
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Laurent ROUAULT.
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