À un peu plus d’une trentaine de kilomètres de Huế, sur le littoral, le petit village de An Bằng recèle, tout près de ses modestes habitations, un cimetière unique. À perte de vue, des sépultures magnifiquement ouvragées s’étendent sur plusieurs kilomètres et rivalisent de beauté.
C’était à l’origine, un petit village côtier de la commune de Vinh An, dont les habitants vivaient principalement de la pêche et autres ressources marines. Depuis les années 90, le village de An Bằng est connu localement pour abriter la « cité des fantômes » ou encore le « cimetière du paradis ». Sur une superficie de 40 000 m2, se dresse fièrement une ribambelle de tombes de toutes sortes et de toutes tailles, certaines pouvant avoisiner les 400 m2, les plus hautes pouvant s’élever jusqu’à 10 mètres.
L’opulence et la sophistication des détails née d’un véritable travail d’orfèvre se déclinent en plusieurs styles selon les croyances religieuses : bouddhisme, taoïsme, christianisme, islam, hindouisme… Mais la plupart s’inspirent de base du tombeau de l’empereur Khải Định de la dynastie des Nguyễn, lequel se situe sur la montagne Châu Chữ, d’inspirations architecturales asiatiques et européennes.
Sur certaines sépultures s’étalent de larges fresques et mosaïques colorées, peintes sur de la porcelaine de Huế, représentant des scènes religieuses ou spirituelles. Devant chacune de ces impressionnantes bâtisses veillent d’imposants dragons, lions et autres créatures légendaires et sacrées, la tête tournée vers le ciel, protecteurs de cette dernière maison.
Le prix de ces constructions monumentales ? Plusieurs centaines de millions de dôngs, parfois plusieurs milliards ; l’équivalent de la fourchette la plus haute se situant à plus de 300 000 euros, soit une somme colossale au Vietnam. Cet argent provient principalement de riches Vietnamiens d’outre-mer, notamment des Etats-Unis, envoyé à leur famille pour financer ces mausolées gargantuesques. Une manière de perpétuer la piété filiale propre à la philosophie confucéenne, laquelle induit le respect et la gratitude éternelle envers les parents, les grands-parents et plus largement les ancêtres.
« Les morts nourrissent les vivants »
Certaines tombes ont été et sont construites alors même que la personne concernée est encore en vie. Les dates inscrites sur certaines pierres en béton n’évoqueraient donc pas la date de la mort de la personne mais plutôt la date à laquelle la construction de la tombe a été achevée. Les autorités locales font état d’une enveloppe budgétaire « normale » de 200 à 300 millions de dôngs pour un seul mausolée, à raison d’une équipe d’environ six ouvriers, pour une durée de travaux de trois à cinq mois.
Bien que cet endroit unique ne soit pas à dessein touristique, ces dernières années certains visiteurs étrangers ont pu tomber par hasard sur ce cimetière mystérieux, méconnu du tourisme international, même si le quotidien britannique Daily Mail en faisait la promotion en 2016. Plusieurs agences de voyages proposent d’ailleurs de découvrir cette destination à un prix assez élevé, incluant d’autres sites d’intérêt avec la présence d’un guide.
Si les sommes astronomiques déboursées pour ces morts semblent tout à fait farfelues pour les villageois de An Bằng, ces derniers interrogés par la presse vietnamienne s’accordent à dire que ce cimetière majestueux leur assure une situation professionnelle stable depuis plusieurs décennies, y compris pour les districts voisins. Certains aiment se fier à l’adage devenu populaire dans la région : « Les morts nourrissent les vivants ». Et cette cité des fantômes continuera de générer des emplois en maçonnerie et en entretien de tombes, aussi longtemps qu’elle existera.