Lorsqu’on parle de bande dessinée francophone, ce sont souvent les héros conçus par des héros belges qui viennent à l'esprit: Tintin, Astérix, Gaston Lagaffe et bien entendu Spirou. Ce premier personnage a, depuis sa création, connu plusieurs dessinateurs et scénaristes, lui faisant vivre des aventures différentes. Nous avons rencontré Emile Bravo, auteur de la série “Spirou ou l’Espoir Malgré tout” à l'occasion de son exposition à Hong Kong.
Ce livre est plus qu’une énième aventure de Spirou et Fantasio
Pouvez-vous nous raconter en quelques mots « L'Espoir Malgré Tout », le livre phare de l’exposition ?
Dans cette histoire, au travers du personnage de Spirou, je voulais faire découvrir cette grande phase de l’Histoire. Le personnage a grandi autour de la Seconde Guerre Mondiale. Créé en 1938 en tant que mascotte du Journal de Spirou, il est passé d’enfant enfermé dans son petit hôtel lors de la période d’avant-guerre à aventurier humaniste par la suite. Cette bande dessinée, c’est l’histoire d’un personnage qui nous raconte la guerre et ce qui nous reste d'humanité, que l’on soit adulte ou enfant, plus qu’une énième aventure de Spirou et Fantasio.
Quel est votre lien avec le personnage de Spirou ?
Je n’ai pas choisi de dessiner Spirou, c’est Spirou qui m’a choisi. C’est un personnage avec lequel j’ai grandi. Je n’aurais pas été capable, sans cela, de le dessiner. J’ai surtout lu les bandes dessinées de Spirou par André Franquin, qui avait dans ses traits une sensibilité que je n’ai pas retrouvé auprès des autres dessinateurs de Spirou. Il avait un style et une syntaxe particulière qui rendait les personnages plus vivants. C’est donc un des personnages qui a été fondateur dans ma perception de la bande dessinée.
Je voulais écrire l’histoire que j'aurais voulu lire à 12 ans
Pourquoi s'intéresser à la shoah en Belgique ?
Je voulais écrire un discours qui pouvait s’adresser à tous, écrire une bande dessinée universelle. Si j’ai choisi la Belgique, c’est en grande partie parce que le personnage de Spirou est belge. C'était dans tous les cas un focus intéressant car la Belgique a vécu cette terrible période comme d'autres pays européens, mais à ce moment les mouvances nationalistes belges étaient plus récentes donc moins présentes. Cela a eu un grand impact dans la manière dont les Belges ont vécu l’occupation, car les nazis ont divisé le territoire lors de leur présence. Passer par le personnage de Spirou me donnait en plus d’un prétexte pour parler de la shoah en Belgique, au vu de l’histoire de la création du personnage, un regard d’enfant qui grandit. Je voulais à travers cette bande dessinée écrire l’histoire que j'aurais voulu lire à 12 ans. Ici, je parle à l'enfant que j'étais.
Spirou représente le combat quotidien
Spirou nous fait nous questionner : Qu'aurais-je fait à ce moment-là ? Et vous qu’auriez-vous fait ?
Honnêtement, je n’en sais rien et je me pose la question. Parce que le personnage de Spirou est particulier dans cette œuvre. C’est un héros mais je le dis dans un sens humaniste. Quand on entend parler d'héroïsme dans le contexte de la Seconde Guerre Mondiale, c'est surtout par un acte de guerre, de sabotage, de violentes ripostes. Mais il ne faut pas oublier qu'il y a eu beaucoup de héros qui ont su rester humains dans leur défense. Je ne me suis pas plongé dans cette époque en voulant être un héros, mais en me mettant dans la peau de quelqu’un qui voulait survivre. C'était ce mode de pensée qui ressortait lorsque, plus jeune, je demandais aux personnes qui avaient vécu sous l’occupation. Tous se rappellent de la lutte contre la peur, le froid et la faim. C’est ce que je voulais que Spirou représente, le combat du quotidien et non la grande résistance des livres d’Histoire. Car c'était ça aussi, résister. Si j'avais été à la place de Spirou, si demain il arrive à nouveau une situation comme celle-ci, j'espère ne pas me laisser abattre, j’aimerai rester moi et pouvoir par la suite me regarder dans la glace.
Le terme lecteur-visiteur est utilisé dans l’exposition. Pourquoi ?
Je cherche dans mes projets a voir le contact humain et ceux également au sein des récits. Quand on lit comme lorsqu’on visite une exposition, on a souvent besoin de mon point de vue que l'on raconte quelque chose à travers l'œuvre. Je vois chaque lecture comme un voyage ou le lecteur est autant visiteur. Je pense que l’on a besoin d'apprendre tous les jours. Il faut être invité à visiter l’esprit de l’autre.
Je ne sépare pas enfant et adulte dans mes oeuvres
Vous avez travaillé sur plusieurs projets pour enfants (Journal Okapi, Boucle d'or et les Sept Ours nains etc). Le projet “L'Espoir Malgré Tout” est-il une œuvre pour parler de sujets comme la shoah aux enfants ?
Pour moi il n’y a pas de différence à faire entre enfant et adulte, il n’y a que des humains. J’ai du mal à séparer les âges. Je me rappelle que plus jeune, ce qui m’a permis de me construire, c'est les adultes qui me parlaient comme une grande personne, plutôt que comme un très jeune enfant. C’était valorisant et cela m’a permis de me construire et donc de devenir réellement grand. Ce n’est pas grave si un enfant ne comprend pas tout, car je pense que par curiosité, l'enfant aura envie de se plonger dans le nouvel univers qui s'offre face à lui. J’ai à titre personnel beaucoup grandi avec la bande dessinée, mais surtout celles que je partageais avec les adultes. La bonne œuvre d’art est intergénérationnelle. Je ne me demande pas si un enfant est trop petit, trop jeune. Je me tourne lorsque j'écris vers la conscience humaine. Je pense que chaque adulte garde au fond une partie de son enfance ce qui est nécessaire. J'écris des histoires avant tout dans le but de transmettre. Pour moi, être adulte c'est renouer après son adolescence avec son enfance, une période avec moins d’à-priori et une plus grande soif d'apprendre.
Vous avez travaillé pendant 10 ans sur ce projet, quelle étape vous a semblé le plus difficile ?
Honnêtement, je n’ai pas vu le temps passer. Il y a eu toute une phase d'écriture, enfin surtout de dessin. Cette phase a duré 4 ans, c'est-à- dire autant de temps que l'occupation. J’ai eu besoin je pense inconsciemment de prendre ce temps équivalent pour m'imprégner. J’ai cherché objectivement à vivre cette période et cela s’est fait à travers la notion de temps. J’ai fait le brouillon des 330 pages pendant 4 ans, et puis ensuite la partie technique a pris du temps également.
Un temps a été aussi pris pour rechercher des sources et des témoignages. Je cherchais à savoir comment les personnes avaient réussi à survivre. J’ai également utilisé un livre décrivant la Belgique sous l’occupation allemande. C'était un journal qui a été écrit pendant la période de l’occupation par un juriste. Ce dernier faisait un rapport tous les 6 mois. Ces informations factuelles m’ont permis de me plonger plus encore dans ce moment de l’Histoire.