Loin au large, l’embarcation blanche et rose a mis le cap vers l’est du Tung Lung Cha, mais son équipage ne débarquera nulle part. Un air solennel se fait ressentir et les passagers arborent une mine grave. Les cendres de leurs proches sont placées sur un tube en demi-lune pour aboutir dans la mer. Des pétales multicolores inondent cette petite étendue d’eau pendant que les derniers adieux sont proférés. Nous sommes à bord du ferry mis à disposition par le gouvernement pour les Green burials.
Le mot « cimetière » dont l’étymologie remonte au grec ancien, veut dire « lieu où on dort ou dortoir ». Pendant des siècles, la tradition voulait que l’on enterre nos morts, mais au fil des années, les coutumes changent et l’espace où l’on s’étend, vivants et morts, ne cesse d’accroitre.
Le lien entre l’urbain et la mort à Hong Kong
Le manque de place pousse inéluctablement les villes surpeuplées comme Hong Kong à repenser le lien avec les défunts. Qu’on soit vivant ou mort, se loger à Hong Kong est toujours une affaire dispendieuse, la demeure post-mortem y coûte très cher et les familles doivent souvent s’endetter pour honorer leurs morts. Les lieux de sépulture, étant de plus en plus rares, deviennent onéreux et le temps d’attente pour en avoir un s’allonge. Avec une population vieillissante, il en va de même des columbariums (bâtiment d’urnes funéraires) : pas assez de place, longue attente, prix exorbitants.
Selon les chiffres du gouvernement, les dépouilles de près 100,000 personnes sont sur liste d’attente pour une niche dans un columbarium public qui sera disponible dans environ cinq ans pour un prix qui peut aller de 2,800 à 21,000 HKD selon la taille et l’emplacement.
Un « réveil » écologique poussé par le surpeuplement
La conséquence naturelle pour y faire face est l’apparition d’alternatives qui permettent de se soustraire au cimetière traditionnel comme c’est le cas lors des Green Burials ou enterrements écologiques, qui se développent tout aussi bien dans le monde oriental qu’occidental, depuis le XXIe siècle. Dans le cas particulier de Hong Kong, il s’agit de la dispersion des cendres en mer ou dans les dénommés « jardins du souvenir ».
Ces jardins ont fait leur apparition à Hong Kong en 2007 et actuellement, le gouvernement administre 13 de ces enclos funéraires sur tout le territoire. Depuis 2010, le Département de l’hygiène alimentaire et environnementale (FEHD), offre des services de dispersion des cendres en mer en mettant à disposition un navire d’une capacité de plus de 300 passagers. Pendant les deux festivals du nettoyage des tombes, il y a au moins deux ferrys affrétés par le FEHD qui mettent les voiles afin de rendre hommage aux défunts.
Green burial et le culte des ancêtres à Hong Kong
La mémoire des défunts est pour les vivants en partie reliée à la localisation de leurs restes. Bien que l’on ne s’y rende pas souvent, on sait où ils reposent, on visualise l’emplacement précis, car nombreux sont ceux qui ont besoin de connaître la dernière demeure de leurs proches décédés.
Les rituels funéraires sont une manière d’entretenir la relation avec nos défunts. Dans des pays latino-américains et asiatiques, cette notion est bien présente, voilà pourquoi à Hong Kong, on compte deux fêtes pour honorer les morts : le Qing Ming et le Chung Yeung festival, où les locaux se rendent sur les tombes des ancêtres pour honorer la mémoire des défunts de leur famille. Néanmoins, cette pratique semble incompatible avec la dispersion des cendres, que ce soit en mer ou dans un jardin.
Le poids des traditions hongkongaises
Bien que le nombre monte un peu chaque année, en 2019, seulement 6,558 green burials ont eu lieu, à savoir 17.4 % des résidents décédés cette année-là. Les murs de granite qui bordent les chemins le long des jardins de souvenir, censés abriter les noms de ceux qui y trouvent leur dernière demeure, sont presque vides : la tradition est en dissonance avec les nouvelles pratiques dites « vertes ou écologiques ».
Les dernières volontés des parents n’étant pas, dans la plupart de cas, explicitement énoncées, les entreprises funéraires constatent que le manque de communication entre enfants et parents entrave un changement de paradigme. Les enfants ont un sentiment de responsabilité envers leurs géniteurs et considèrent que dépenser une large somme afin d’avoir un lieu de sépulture pour eux, démontre leur piété filiale, vertu de respect pour ses parents et ancêtres.
Rendre compatibles écologie et traditions
Le FEHD mène une campagne vigoureuse afin de dissiper les inquiétudes des Hongkongais. Pour ce faire, ils prônent l’angle «retour à la nature» en essayant de tracer une ligne qui relie l’écologie aux rites funéraires traditionnels. On facilite donc l’accès à la mer grâce aux ferrys et on accueille les familles dans les jardins pour y déposer des offrandes, notamment pendant les journées de nettoyage des tombes, afin de perpétuer cette tradition.
Le gouvernement se heurte à des rites antédiluviens dans un territoire où honorer les morts dans un emplacement physique est monnaie courante. Cependant, chaque année les chiffres des green burials montent un tant soit peu. Le gouvernement sait que les mentalités changent graduellement, mais qu’il reste encore un long chemin à parcourir avant que les Hongkongais ne franchissent ce pas.
Concluons avec un proverbe chinois qui témoigne de l’importance d’honorer ses aïeux: « Oublier ses ancêtres revient à être un ruisseau sans source, un arbre sans racines ».
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