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Le froid vous manque ? Tentez le Ladakh en hiver…

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Écrit par Thibaut Dejean de la Batie
Publié le 3 décembre 2020, mis à jour le 22 mars 2024

Lepetitjournal donne la parole à Thibaut, grand passionné de treks  partout dans le monde, réalisés avec ou sans sa famille. Il nous raconte aujourd’hui son expérience (sans sa famille)  dans le Ladakh en hiver… paysages uniques et sensations fortes !  

 

J’ai perdu le compte exact de mes voyages dans l’Himalaya indien. Mais petits et grands réunis, je dois approcher de la dizaine, dont trois au Ladakh. Pourtant je n’y étais jamais allé l’hiver. J’en rêvais, et j’ai la chance d’avoir pu le réaliser en l’espace d’un week-end prolongé depuis Chennai.

Le « Chadar trek », les ultimes années de mille ans d’histoire

Pendant des siècles, le Zanskar n’a été accessible que par la marche: en gravissant des cols d’altitude l’été, ou en marchant sur la rivière gelée l’hiver. La route de Kargil a changé la donne, l’été du moins.  Elle reste fermée dès les premières chutes de neige, jusqu’au printemps. L’hiver, le Zanskar se retrouve isolé du reste du monde comme au bon vieux temps. Le seul mode d’accès hivernal, c’est la marche sur le chadar, nom commun qui désigne en langue locale la couche de glace qui recouvre la rivière l’hiver. Très appréciée des trekkeurs occidentaux et depuis peu, des trekkeurs indiens, elle continue d’être empruntée par les Zanskaris à des fins de déplacements et non de tourisme. L’hélicoptère est utilisé aussi, mais réservé aux urgences  ou aux plus fortunés. Grâce à l’avancée de la route des deux côtés, les locaux ne mettent plus que trois jours à faire le voyage, contre environ une dizaine autrefois selon les points de départ et d’arrivée exacts. Les trekkeurs mettent entre cinq et huit jours dans chaque sens. Si j’avais attendu d’avoir autant de temps devant moi, il y aurait eu dans le meilleur des cas une route de voitures au-dessus de ma tête, et dans le pire des cas plus de glace du tout.

Il n’est pas évident de prédire qui de la route ou du réchauffement climatique mettra fin à un millénaire d’aventure humaine sur la rivière Zanskar. La « saison » ne dure plus que sept ou huit semaines. La route est bien avancée, mais la BRO (Border Roads Organisation) progresse de moins en moins vite à cause des difficultés rencontrées. Chaque mètre supplémentaire s’obtient à coup de dynamite, et d’un déblayage sans fin. Maintenir dégagée la portion de route existante demande presque autant d’efforts que de la prolonger. Les locaux craignent que le projet soit abandonné si le BJP perd les prochaines élections. Pour eux, y compris pour des gens comme mon guide qui vivent du trekking, la route présente davantage d’opportunités que de menaces. Les conditions de vie s’amélioreront, et le tourisme continuera de se développer sous une autre forme.

Ces transformations ont en fait déjà commencé: la part des touristes indiens a fortement augmenté, et la majorité de ces nouveaux touristes préfèrent le « jeep safari » ou le tour en Royal Enfield. Minoritaires parmi les touristes indiens, ceux qui font le Chadar trek n’en sont pas moins nombreux au coeur de la saison. Les autorités ont envisagé un temps d’interdire le trek ou de créer un permis suffisamment cher pour en éloigner les masses. Il y a eu aussi plusieurs accidents liés au manque d’acclimatation ou à une mauvaise condition physique. Finalement, les autorités ont opté pour un permis au prix raisonnable, soumis à une obligation de présenter un billet d’avion d’arrivée à Leh datant de trois jours avant le départ du trek. Des aménagements pour la sécurité et la propreté ont été réalisés tout le long du parcours. Les inspecteurs contrôlent que chaque équipée revient avec ses ordures.

Le passage obligé et obligatoire par Leh

Arrivé le jeudi 14 février au petit matin, je passe ainsi deux jours à m’acclimater en travaillant depuis mon hôtel. J’ai trop de travail en retard pour prendre des vacances au-delà du jour nécessaire au trek (2 jours de week-end + 1 jour de congé). Le réseau 4G fonctionne si bien que je peux me connecter en visioconférence avec le monde entier. Cela a quelque chose de magique quand il neige à gros flocons dehors et qu’on aperçoit les sommets de l’Himalaya par sa fenêtre. En revanche, il n’y a pas d’électricité en journée. Si je peux obtenir de l’hôtel une recharge complète de ma batterie d’ordinateur à mi-journée, je dois m’accommoder de l’absence de chauffage. La température extérieure est de -17°C au petit matin et reste négative la journée en l’absence de soleil. Les migraines et les insomnies liées à l’altitude ne m’épargnent pas, mais il faut y passer.

Vendredi, les autorités refusent de me donner le permis avec un jour d’avance. Mais par chance, c’est le dernier jour de la saison officielle du Chadar trek. Aussi absurde que cela puisse paraître, je suis invité à partir sans permis avec la garantie qu’il n’y aura plus de contrôle.

De Leh à Chilling par la route

Ainsi, je quitte Leh samedi matin. La chaussée est couverte de neige mais c’est le grand beau temps. Nous partons par la route de Srinagar. Ce paysage minéral fait de roches allant du vert au rouge me fascine toujours. La neige apporte une touche particulière, encore plus désertique. De Phey à Nimoo, la route surplombe l’Indus. Seuls certains bords sont un peu gelés. Je repense à une autre fois où j’ai surplombé l’Indus dans un paysage similaire: c’était en 2007 au Pakistan. J’étais juste quelques centaines de kilomètres en aval, de l’autre côté de la ligne de contrôle qui a fait les gros titres une semaine après mon trek. 

 

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Chlling, fin de la route 

 

Nous arrivons au confluent de l’Indus et de la rivière Zanskar et quittons alors la route de Srinagar. Après avoir franchi un pont, la route s’engouffre dans les gorges. Cette route qui anéantira un jour le « Chadar trek » me permet aujourd’hui de m’avancer en voiture sur 30 km de parcours. Le bitume laisse place à une piste verglacée sur laquelle nous roulons très doucement. Il faut s’arrêter une demi-heure le temps que la BRO dégage l’éboulis du jour. Enfin nous arrivons à Chilling, le lieu-dit où s’arrête la route. Il n’y a pas de village ni même un plateau rocheux, seulement la route taillée dans le flanc de la paroi rocheuse. Il n’y a que des tentes de fortune pour les ouvriers de la BRO.

 

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La Route de Srinagar

 

Le moment tant attendu est arrivé: je descends dans le lit de la rivière et mets les pieds sur la glace. J’entends parfois des craquements, mais ce n’est qu’une petite croûte superficielle liée au travail de la glace sous les rayons du soleil. Le chadar s’étend maintenant de part et d’autre, comme une autoroute blanche. Le cuisinier prépare un déjeuner léger pour l’équipe qui m’accompagne et moi. Le guide fait le compte du matériel et les deux porteurs chargent les bagages sur des petits traîneaux en bois qu’ils tireront grâce à une corde autour de leur cou. Le guide et moi-même avons beau porter toutes nos affaires à l’exception du matériel du camping, il faut ces deux porteurs pour ne manquer de rien. Mon sac de couchage vert militaire fait presque le même volume que mon sac à dos. On me dit que c’est le modèle utilisé par l’armée pour dormir dehors par -30°C. C’est plutôt rassurant !

 

froid hiver ladakh inde trek

 

 

Première étape, première nuit

La marche commence, facile et agréable. Le terrain est plat, et avec les conditions de glace du jour, il n’y a jamais besoin de grimper au-dessus du lit de la rivière. Grâce à la neige fraîche, la surface n’est pas glissante. La voie a été tracée par d’autres marcheurs passés dans le sens inverse. Nous marchons plus vite que sur un trek classique avec du dénivelé. Tant que nous marchons et qu’il y a du soleil, le froid n’est pas un problème. Par endroits, les parois rocheuses sont en marbre poli par l’eau. Il y a souvent une partie dégelée au centre de la rivière ou à l’une de ses extrémités.  L’eau jaillit parfois d’une crevasse. Selon le soleil, la profondeur, la présence de glace ou non dessous, sa couleur passe du vert à un bleu presque noir.

Le guide sait où l’on peut s’approcher de l’eau et quand il faut se tenir à distance. Nous croisons plusieurs groupes qui reviennent, surtout des trekkeurs européens qui en finissent après dix jours de marche. A part moi, les seuls à aller vers le Zanskar sont des guides qui rentrent chez eux, leur saison achevée.

Nous arrivons vers 15h au lieu de campement. C’est encore tôt, pourtant, on dirait que la journée est bientôt finie. L’heure théorique du coucher du soleil est aux alentours de 18h20 mais nous sommes au fond d’une gorge très encaissée. Un petit vent se lève, et alors on n’a plus de mal à croire qu’il fait -10°C. Je suis autorisé à aller marcher tout seul une heure dans une gorge adjacente au milieu de laquelle coule un petit ruisseau. Eloigné du campement, je me sens seul au monde. Chennai, sa chaleur et sa concentration de population est loin, très loin… Aussitôt rentré, je profite d’être encore à chaud pour faire un minimum de toilette et enfiler mon pyjama, avant de superposer toutes les couches possibles. Difficile de me réchauffer tout seul dans ma tente sans me mettre déjà dans mon sac de couchage. Je trouve refuge dans la tente commune où le repas se prépare. Cela sent un mélange de kérosène et de chicken masala, mais il y fait meilleur et j’ai de la compagnie.

 

campement trek inde hiver ladakh

 

 

En sortant de la tente après le dîner, vers 19h30, le ciel est déjà rempli d’étoiles. Je connais bien le ciel de Chennai depuis que j’ai acquis un télescope. Alors là, je suis capable de retrouver mes repères et de voir tout ce que je ne vois pas depuis mon rooftop à cause des lumières parasites. La lune éclaire la face blanche des montagnes. Le clapotis de la rivière scintille… on y resterait des heures à contempler s’il ne faisait pas si froid. A 20h, je m’engouffre dans mon sac de couchage et ne laisse dépasser que ma bouche. Entre le froid, l’altitude et un nez bouché,  la nuit est longue. Le vent souffle sur la tente par rafales. L’eau de ma bouteille devient un bloc de glace en quelques heures.  J’avais heureusement conservé de l’eau chaude dans ma thermos sous mon duvet. Enfin le jour apparaît, mais sur les conseils du guide, j’attends 8h pour me lever. Soit douze heures sans sortir de mon sac de couchage, dont pas plus de la moitié de sommeil effectif.

Deuxième jour: Chadar trek, Chadar cake

Le lendemain, le ciel est voilé et les rafales de vent s’engouffrent dans les vêtements. Pour le guide ce ne sont pas des mauvaises conditions. Il n’enfile même pas ses gants ! Moi je porte mon équipement le plus isolant: bonnet et capuche, gants de ski alpin, sur-pantalon et sur-veste Gore-Tex par-dessus ma doudoune, et ce n’est pas de trop. L’étape du jour consiste à marcher 10 km dans un sens puis 10 km dans l’autre pour revenir au camp de la veille. Sur son petit traîneau, le porteur tire une cocotte-minute avec un riz biryani qui est encore bien chaud à l’heure du déjeuner. Nous pique-niquons ainsi sur la berge près d’un poste de secours. Comme je l’évoquais plus haut, les autorités ont installé des postes de premiers soins, des toilettes et des poubelles tous les 10 km environ. Lors  du retour, nous apercevons des oiseaux aquatiques plonger dans la rivière à la recherche de nourriture. A part eux et quelques quelques rares traces de lièvre sur la neige, il n’y a aucun signe de présence animale.

 

ladakh hiver trek inde

 

 

Je passe de nouveau une longue soirée dans la tente commune. Ce soir, toute l’équipe contribue à la préparation du repas. Cela dure deux heures ! Faire cuire du riz à cette altitude à partir d’eau glacée demande déjà de la patience. Mais le cuisinier ne cherche pas la facilité: il se lance dans la confection de momos, la version tibétaine du ravioli. Il faut préparer la farce, puis la pâte, la découper et farcir chacun des momos un par un. Chaque fournée est cuite à la vapeur. Pendant tout ce temps, l’un des porteurs remue des blancs d’oeufs dans une assiette en aluminium avec la lame d’un couteau. Au bout d’une demi-heure, alors que les blancs en neige commencent à monter, il doit tout laisser en plan pour remettre du kérosène dans un des réchauds. Puis il se remet à la tâche. Mais pourquoi donc faire monter des blancs en neige ici, maintenant ? La réponse arrive avec le dessert: ces blancs en neige servent à recouvrir un authentique gâteau cuisiné dans une casserole plus tôt dans la journée. Un topping blanc neige sur le gâteau ? Rien de plus logique, c’est le « Chadar cake » ! 

Le retour

Lundi, nous redescendons la rivière pour revenir au point de départ du trek. Le soleil brille et des grandes flaques d’eau ou de neige mouillée se forment. C’est le printemps qui arrive, certes, mais même plus tôt dans la saison je comprends que la glace change tous les jours. Par endroits il faut donc quitter le lit de la rivière. A défaut de berge nous escaladons les roches abruptes du lit de la rivière. Des cordes fixes ont été installées à cet effet. A d’autres endroits, le vent a balayé la neige et dévoile une glace translucide. C’est sublime à regarder mais plus compliqué pour marcher. Le guide m’explique qu’un membre de l’équipe de hockey sur glace de Leh a déjà fait le Chadar trek partiellement en patins à glace. En voilà une idée !

 

glace hiver ladakh inde trek

 

Je regagne Leh sans encombre lundi soir. En retrouvant mon hôtel chauffé et en me couchant dans un vrai lit après une douche bien chaude, je me sens si bien. Je lis dans un magazine local que les hôtels comme le mien sont un vrai problème en matière de gaspillage de l’eau. Mais c’est ma première douche en trois jours, ce n’est pas abuser ! Mardi matin, j’atterris de bonne heure à Delhi et m’installe à mon ancien bureau à Gurgaon. Difficile alors de ne pas laisser mon esprit repartir au Ladakh, comme s’il n’en n’avait pas eu assez. J’ai vu une nature grandiose, à la fois très rude et féerique. Ce spectacle, je ne l’oublierai jamais. Mes enfants n’auront peut être jamais la chance de pouvoir le voir. Après une journée de travail, je reprends l’avion. Tard dans la soirée je retrouve Chennai. Incredible India ! 

 

L’heure du doute

De la glace du Zanskar à la moiteur d’une nuit tropicale, il n’y a que quelques heures d’avion. C’est quelques heures, c’est le miracle et le drame de notre époque. C’est l’opportunité de vivre ce que j’ai vécu malgré le peu de temps dont je disposais. Mais j’ai émis des tonnes de CO2 qui contribuent à la fonte des glaces. Qui créent des sécheresses terribles dont les premières victimes sont loin d’être de gros émetteurs de carbone. Je devrais repenser ma façon de voyager. Mais elle s’inscrit dans notre époque, notre rapport au temps. Je n’arrive pas à m’y résoudre. Pire, j’ai l’impression qu’il faut me dépêcher encore plus pour voir le plus de merveilles possibles avant qu’elles ne disparaissent.

 

Si vous souhaitez en savoir plus sur le voyage Thibaut et sa famille, contactez chennai@lepetitjournal.com qui vous fournira ses coordonnées personnelles après son accord. Vous pouvez suivre aussi toutes ses aventures sur son blog : http://dingfamille.over-blog.com/

 

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