De “Constantinople” à “Istanbul”, l’évolution du nom de cette métropole est marquée par des décisions impériales, des bouleversements républicains et une volonté d’affirmer une nouvelle identité.
La ville de Constantin
Le 11 mai 330, lorsque Constantin choisit la ville appelée « Byzantion » comme nouvelle capitale de l’Empire romain, il lui donne le nom de « Nova Roma », la Nouvelle Rome. Mais à sa mort pour lui rendre hommage, on nomme la cité « ville de Constantin », soit « Constantinopolis », vocable devenu « Constantinople » chez les Européens.
Quant au terme d’Istanbul, tiré du grec « stên Pólê », signifiant « dans la Ville », il figurait dans certaines sources depuis le Moyen-âge mais n’était utilisé que dans la langue parlée. En effet, même après la conquête de la ville en 1453, les lettrés ottomans, dans les actes officiels, continuent à appeler la cité « Constantinople », sous la forme de « Kostantiniyye » (sans le « n ») et à inscrire ce nom sur les pièces de monnaie.
Pour expliquer ce fait, le célèbre historien turc Ilber Oltaylı développe une thèse intéressante, même si elle va un peu à l’encontre des idées reçues. Il distingue trois grandes périodes : le premier Empire romain, de religion païenne, qu’il considère comme l’authentique ; l’Empire romain d’Orient, de religion chrétienne, que l’on connaît en Europe sous le nom d’« Empire byzantin » ; et le « troisième Empire romain », l’Empire ottoman, de confession musulmane. Pourquoi ? Parce que Mehmet II n’a pas débaptisé la ville, qu’il aurait pu transformer en « cité de Mehmet », il se considérait comme « César », a conservé les institutions et la bureaucratie de l’Empire byzantin et une partie du corpus de lois hérité de Rome.
Il est certain que les Ottomans ont aussi donné d’autres appellations à la ville, comme « Der Saadet » ou la Porte de la Félicité, « Âsitane » ou la capitale, « Payitaht » ou le trône ; le sultan Ahmet III a même frappé une pièce d’or au nom d’« Islambol », la ville où l’Islam abonde. Cependant, les noms de « Kostantiniyye » et « Istanbul » coexistent sur les actes officiels jusqu’à la république.
La date clé de la libération d’Istanbul, le 6 octobre 1923
À la fin de la Première Guerre mondiale, l’Empire ottoman est vaincu, la flotte alliée entre dans le port d’Haydarpaşa le 13 novembre 1918, occupation ratifiée le 16 mars 1920 et qui durera quatre ans, dix mois et 23 jours. Mais entre-temps, le 19 mai 1919, Mustafa Kemal a lancé la Guerre d’Indépendance, et sa victoire du 11 octobre 1922 aura pour conséquence le traité de Lausanne le 24 juillet 1923, la libération d’Istanbul le 6 octobre, le choix officiel d’Ankara comme capitale le 13 et la proclamation de la république, le 29 octobre 1923.
La date du 6 octobre 1923 est capitale, selon le journaliste Yılmaz Özdil, car, suite au départ des occupants et au vent républicain qui souffle, une multitude de changements présageant les bouleversements ultérieurs vont être rapidement réalisés dans la ville. Les divisions entre côté des femmes (Haremlik) et côté des hommes (Selamlik) sont abolies, on arrache le moucharabieh des fenêtres, les dames remplacent leur voile par des chapeaux, on instaure les autobus, la radio commence… Mais, en plus de l’évolution soudaine du mode de vie, le changement le plus important est que l’on décide de désigner désormais la ville par le nom d’« Istanbul ».
Le 28 mars 1930, Istanbul est devenu le nom officiel de la ville
Cependant, les anciennes habitudes se poursuivent, les étrangers continuent à appeler la ville « Constantinople », d’autant plus qu’ils avaient coutume de nommer la partie récente, où vivaient les minoritaires, par le vocable de « Péra » et de qualifier par « Stamboul » la péninsule historique, essentiellement habitée par des Turcs. C’est pour cela que le 3 janvier 1929, le gouvernement turc, à l’instigation d’Atatürk, fait savoir à la direction internationale des Postes de Berne, que le nom de Constantinople ne doit plus être utilisé et doit être remplacé par celui d’Istanbul. Il en est de même pour de nombreuses autres villes : Smyrne doit devenir « Izmir », Trébizonde, « Trabzon », Nicomédie, « Izmit », Angora, « Ankara », Andrinople, « Edirne », Césarée, « Kayseri », pour ne citer que quelques exemples. On précise aussi qu’à partir du 28 mars 1930, la poste renverra systématiquement à son expéditeur tout courrier où la ville ne serait pas appelée « Istanbul ».
Les anciennes chansons se font l’écho de ces métamorphoses. En 1928, Alibert interprète la chanson « Constantinople » de Harry Carlton, qui écrit que tout a changé en Turquie sauf le nom de Constantinople : « Les femmes voilées, S’en sont allées. Seule Constantinople garde son nom, Sans doute pour la prononciation ». Mais en 1953, la chanson « Istanbul not Constantinople », de Jimmy Kennedy et Nat Simon, « Istanbul was Constantinople. Now it’s Istanbul, not Constantinople », qui a fait le tour du monde, entérine la modification du nom de la ville au plan international…