Édition internationale

FOMO en Turquie : pourquoi la jeunesse turque est-elle si touchée ?

Hyperconnectée mais souvent isolée, la jeunesse turque vit sous pression. Derrière les écrans, la FOMO s’installe : un malaise générationnel qui interroge toute une société.

Trois jeunes assis au bord du Bosphore à Istanbul, absorbés par leurs téléphones, illustrant la FOMO et l’isolement numérique.Trois jeunes assis au bord du Bosphore à Istanbul, absorbés par leurs téléphones, illustrant la FOMO et l’isolement numérique.
Écrit par Sarah Goldenberg
Publié le 24 avril 2025, mis à jour le 26 avril 2025

Une génération turque ultra-connectée mais vulnérable

 

Ils déverrouillent leur téléphone dès le réveil, scrollent à l’arrêt de bus, vérifient les stories entre deux cours. En Turquie comme ailleurs, les jeunes grandissent dans une connexion permanente au monde numérique. Cette hyperconnexion, présentée comme un progrès, a aussi ses revers : l’isolement, la comparaison constante et un sentiment diffus de toujours rater quelque chose, autrement dit, la FOMO (Fear of Missing Out).

Selon les données du TÜİK, l’usage d’Internet chez les 16-24 ans a explosé au cours de la dernière décennie. Déjà à plus de 90 % en 2020, ce taux a continué de grimper : en 2024, 91,3 % des enfants déclaraient utiliser Internet, un chiffre qui témoigne de la précocité croissante de l’exposition numérique. À l’échelle de la population (16-74 ans), 88,8 % des Turcs sont désormais connectés, avec une forte domination des usages mobiles.

Les réseaux sociaux, en particulier, occupent une place centrale dans le quotidien des jeunes. En 2021, plus d’un tiers y passaient déjà plus de 5 heures par jour. Une réalité confirmée par les enquêtes les plus récentes. Les jeunes utilisateurs de TikTok ou Instagram décrivent une connexion quasi permanente, souvent nourrie par la peur de rater quelque chose dans leur cercle social ou dans l’actualité culturelle.

 

La FOMO, miroir d’une anxiété sociale silencieuse

 

Être connecté, c’est rester dans le courant. Mais pour beaucoup de jeunes en Turquie, cette connexion permanente ne procure ni réconfort ni sentiment d’appartenance. Au contraire, elle s’accompagne d’une anxiété diffuse : celle de ne jamais être suffisamment présent, informé ou performant. C’est ici que s’installe la FOMO (Fear of Missing Out), cette peur de rater ce que vivent les autres, d’être à l’écart, invisible.

Une étude publiée en 2025 par le Journal of Psychology and Behavioral Sciences révèle que les étudiants de la génération Z en Turquie et aux États-Unis utilisant intensivement TikTok et Instagram présentent des niveaux de FOMO significativement plus élevés. La fréquence d’usage et le type de plateforme influencent directement ce sentiment de manque, en particulier chez les jeunes connectés en continu.

 

Jeune femme tenant une pancarte avec le hashtag FOMO, symbolisant la pression sociale et numérique ressentie par les jeunes.

 

Ce phénomène prend une couleur particulière en Turquie, entre quête de reconnaissance sociale, idéalisation d’un style de vie souvent occidental et forte attente de conformité. Dès 2021, plusieurs recherches locales établissaient déjà un lien entre FOMO, usage problématique des réseaux sociaux et anxiété sociale. Ces troubles, parfois discrets, s’expriment par de la fatigue émotionnelle, une baisse de l’estime de soi ou une sensation d’isolement, malgré les milliers d’interactions virtuelles.

Cette réalité, pourtant bien présente, reste souvent tue. Derrière les filtres et les publications parfaitement pensées, nombreux sont les jeunes qui tentent de masquer un malaise plus profond.

 

Réseaux sociaux, pression de l’image et comparaison permanente

 

Tout semble aller vite, trop vite. Chaque jour, de nouvelles tendances défilent sur les écrans : voyages, réussites professionnelles, corps parfaits, vies rêvées. Pour les jeunes Turcs, comme pour leurs contemporains à travers le monde, les réseaux sociaux sont devenus un miroir déformant, dans lequel il est facile de se perdre ou de se juger.

Sur Instagram ou TikTok, les codes de la réussite sont devenus particulièrement prégnants : likes, abonnés, apparences soignées. Des marqueurs sociaux qui renforcent, sans bruit, le besoin de se comparer. On ne poste plus pour partager mais pour exister aux yeux des autres. La pression de l’image est permanente et les standards inatteignables.

Ce besoin de validation numérique entraîne une spirale de comparaison, souvent inconsciente. On se mesure à ce que les autres affichent. Résultat : une baisse de l’estime de soi, une insatisfaction chronique et parfois même une perte du rapport au réel. La vie vécue semble toujours moins intense que celle mise en scène.

En Turquie, les jeunes évoluent dans un équilibre fragile, entre aspirations personnelles et cadres traditionnels. Les réseaux sociaux, loin de lisser ces contrastes, les rendent plus visibles que jamais.

 

Des signaux d’alerte à ne pas ignorer

 

La FOMO n’est pas un inconfort passager. Chez les jeunes, elle peut s’installer en profondeur et fragiliser l’équilibre psychologique, surtout dans un contexte déjà marqué par l’incertitude sociale, économique et éducative.

Selon plusieurs études menées en Turquie depuis 2021, l’utilisation excessive des réseaux sociaux est liée à une augmentation de l’anxiété, des troubles du sommeil et d’une faible estime de soi. Une spirale souvent silencieuse, qui échappe encore à de nombreux radars institutionnels.

En 2023, l’UNICEF Turquie rappelait que la santé mentale des jeunes restait un enjeu critique, notamment après la pandémie de Covid-19 et les séismes de février. Cette même année, plus de 1,5 million d’enfants et de familles ont bénéficié d’un soutien psychosocial d’urgence.

 

Infographie UNICEF Turquie montrant que 65 % des jeunes présentent des signes d’anxiété et près de la moitié ont besoin d’un accompagnement psychologique en 2024.

 

Dans une société où la santé mentale reste encore peu prise en compte, les troubles liés à l’anxiété ou à la dépendance numérique peinent à être reconnus comme de véritables enjeux de santé publique.

 

Recréer du lien au-delà des écrans

 

Face à l’ampleur du phénomène, la réponse ne peut se résumer à une simple déconnexion. Le problème ne réside pas dans l’outil lui-même, mais dans les usages qu’il induit, parfois au détriment de l’équilibre personnel.

En Turquie, certaines initiatives commencent à voir le jour pour encourager une utilisation plus consciente des réseaux sociaux. Des ateliers organisés dans des établissements scolaires ou universitaires abordent des thématiques comme l’estime de soi, la gestion des émotions ou la santé mentale. Portés par des associations ou des professionnels bénévoles, ces espaces de dialogue proposent aux jeunes un temps pour prendre du recul sur leurs usages.

Parallèlement, quelques lieux, cafés, bibliothèques, cercles étudiants, choisissent d’instaurer des moments ou des zones “sans écran”, où l’on privilégie la rencontre, la conversation, le silence. Ces espaces, encore peu répandus, offrent une autre temporalité, propice à la reconnexion à soi et aux autres.

Si ces initiatives sont encore ponctuelles, elles ouvrent néanmoins la voie à une réflexion plus large, dans les familles, les écoles ou les sphères publiques, sur la place du numérique dans nos vies, et sur ce qu’il peut parfois masquer. 

 

À l’ombre des écrans, une jeunesse en quête d’équilibre

 

La FOMO n’est ni une mode passagère, ni un caprice de jeunesse. C’est le reflet d’un monde où tout s’accélère, où l’on se compare plus qu’on ne se comprend. En Turquie, comme ailleurs, les jeunes avancent entre écrans et silences, avec une force souvent invisible. Reconnaître ce malaise, c’est déjà commencer à mieux comprendre ce que vivent les jeunes aujourd’hui.

 

 

Ne manquez rien de l’actu. Inscrivez-vous à notre newsletter quotidienne ici 

Pour plus de culture, d’actus et de bons plans : suivez-nous sur FacebookInstagram et X

 

Flash infos