Chilly Gonzales, musicien polymorphe et rappeur audacieux, se livre au micro du site lepetitjournal.com en évoquant son dernier album GONZO. Au cœur de cette interview, il évoque sa passion pour l'écriture et ses influences multiculturelles. Alors qu'il se prépare à fouler la scène mythique du Royal Albert Hall à Londres, il partage ses réflexions sur l'art, la société et la place des artistes aujourd'hui : “Écrire en français me permet d’aller droit au but et ce qui en ressort est très direct.”
Chilly Gonzales, artiste canadien aux influences singulières, se produira près du légendaire Royal Albert Hall le lundi 28 octobre. Mais avant toute chose, prenez le temps de le découvrir.
Votre nouvel album GONZO marque un retour à l'anglais après plusieurs collaborations internationales. Comment reflète-t-il votre parcours personnel et artistique récent ?
GONZO est surtout un retour aux paroles pour moi. Peu importe la langue, ce qui compte, c’était simplement de reprendre l’écriture. Depuis un certain temps, je ne fais que de la musique instrumentale. Et puis, d'un coup, la magie d’écrire revient, très pressante et dans plusieurs langues.
Au début, j’ai préféré écrire en français, ce qui est drôle car paradoxalement, cela imposait une certaine distance, vu que ce n'est pas ma langue maternelle. En même temps, ce qui en ressort est plus direct, car j’ai moins de choix dans les subtilités. En français, tout va droit au but, mais ça reste confortable, car je n’ai pas l’impression d’exprimer mon inconscient de manière trop brute.D'ailleurs, écrire en français, m’a inspiré le titre French Kiss. Il parle justement de cette thématique.
Revenir à l’anglais a été plus intense, car il fallait que je creuse pour trouver des sujets qui m’obsèdent depuis longtemps avec toute cette période sans écriture. Il y avait tellement à dire sur le passé, la société, ma vie d’artiste, personnelle… Il fallait trouver les mots justes pour exprimer tout ça.
L’album est un clin d'œil à votre pays d’adoption, l’Allemagne. Comment votre vie à Berlin vous influence-t-elle musicalement ?
J’habite près de Richard-Wagner-Straße, à Munich, ville nommée d’après le compositeur romantique. Wagner est d’ailleurs un peu le Kanye West de son époque… Un artiste avant-gardiste, visionnaire, mais aussi beaucoup de défauts personnels. Ainsi, je me suis toujours interrogé : qu'est-ce que nous devons faire avec l'art des monstres : des artistes importants, mais imparfaits ? Cela me touche personnellement, et en 2022, quand Kanye est allé encore plus loin avec ses propos, je me suis dit qu’il fallait que j’en parle. Alors, l’album parle beaucoup du rôle de l’artiste aujourd’hui. Je mentionne le rôle des algorithmes notamment, dans un morceau.
Vivre en Allemagne, dans le sanctuaire de la musique classique au XIXᵉ siècle, m'influence tous les jours. L’idée de ce qu’est un artiste, une véritable star, vient à l’origine d’Allemagne. Franz Liszt et Wagner ont créé le culte du génie, et nous sommes héritiers de cette culture, où nous vénérons les célébrités.
Qu’est-ce que cela vous fait de performer au Royal Albert Hall, une salle mythique à Londres ?
J’ai un appartement à Londres, donc j’y passe pas mal de temps. J’ai des liens personnels très forts avec la ville. On peut dire que j’ai vraiment trouvé mon public en Europe continentale – en Allemagne, en France, en Belgique et ici. Ils comprennent bien ce mélange entre profondeur musicale et respect pour la pop et le rap.
En Angleterre, tout est différent. La vie musicale est plus dynamique, plus cruelle peut-être. J’aime cette compétition. Les Anglais apprécient mon côté showman. Ils savent que, quand ils viennent à mon concert, il faut s’attendre à un moment à part entière : ils auront une vraie expérience, une histoire avec des moments au piano, du surréalisme, de la provocation. Ils savent qu’ils vont passer par plusieurs émotions, mais que nous finirons tous ensemble, dans un moment d’extase.
Vous avez collaboré avec des artistes très différents, du hip-hop à la pop, avec des personnalités comme Drake ou Philippe Katerine. Comment arrivez-vous à équilibrer ces influences ?
Finalement, je vois tout à travers le prisme de la pop culture. Le fil rouge de toutes mes collaborations, est que ces mêmes artistes jouent avec leur image. Il passe du rap à la pop sans forcément être catégorisé, ce qui est très vite fantasmée par le public.
Pour moi, cette capacité vient du rap. Le rap t'apprend à être larger than life (plus grand que nature). Philippe Katerine, par exemple, chante, mais il se comporte comme un rappeur. Pareil pour Daft Punk, avec qui j’ai collaboré aussi. Ce qui m’attire, ce sont les gens qui, comme moi, fantasment d’être larger than life. C’est là que se trouve le vrai pouvoir artistique.
Vous êtes canadien, vivant en Allemagne, jouant en Europe... Comment percevez-vous les différences culturelles entre les publics ?
Les Allemands sont ceux qui me comprennent le plus. On sous-estime leur sens de l’humour. Ce ne sont peut-être pas eux qui sont drôles, mais ils captent l’humour satirique, profond.
Les Français, eux, viennent avec une énergie optimiste, ils sont prêts à apprécier le show dès qu’ils arrivent. Les Britanniques, sont dans un état d’esprit : “on verra bien”. Ils espèrent que ce ne sera pas trop long. Avec eux, il faut que ce soit compact et direct, ils sont exigeants. Mais j’adore ce challenge.
Si vous pouviez remonter le temps et donner un conseil à Chilly Gonzales au début de sa carrière, que lui diriez-vous ?
Je lui dirais de suivre ses envies. J’aurais pu me contenter de faire du piano toute ma carrière, car c’est ce que les gens préfèrent et attendent de moi. Mais je ne suis pas capable de me limiter à ça. À 50 ans, j’ai commencé à rapper à nouveau, et je n’ai aucun regret. La sincérité est primordiale, et c’est elle qui me guide. Donc je lui dirais d’avoir confiance en lui et en son authenticité.