Édition internationale

Honte et chic du marcel italien

La maglia della salute, le marcel italien, toute une histoire (linguistique). Une véritable saga pour ce simple sous-vêtement de placards à mammone, tricot des rues et véritable star du tapis rouge !

Fantozzi à table en marcelFantozzi à table en marcel
Fantozzi, dans "Fantozzi, il ritorno" (Capture d'écran du film sur Youtube)
Écrit par Françoise Danflous
Publié le 5 mars 2025, mis à jour le 6 mars 2025

La maglia della salute, le maillot de la santé, mais quel drôle de nom que celui donné par les Italiens à leur maillot de corps ! Essentielle et vitale, puisque le mot le dit, la maglia della salute habille petits et grands lors de toutes les saisons. Depuis que, sachant marcher, sachant courir, ils s’élancent par la porte pour aller jouer dehors tout leur saoul, la mémorable question maternelle retentit dans les couloirs : Guilia, Giulio, hai messo la maglia della salute ? Et voilà, tous les Giulia, Giulio de la planète ont intérêt à l’avoir enfilé, leur sous-vêtement laine ou coton à bretelles blanc, sinon c’est le retour illico dans la chambre et une séance forcée de rhabillage. Eh oui, c’est qu’il protège contre toutes les mauvaises choses du monde, coup de froid, coup de chaud, tour de rein, grosses transpirations et digestions difficiles. Il y a bien quelques réfractaires qui disent non mais ça c’est partout. Donc, forts de cette certitude, beaucoup en perpétuent l’usage tout au long de leur vie, même si c’est toujours avec un chouïa d’embarras qu’on l’évoque et qu’on le montre.


« Trois mots pour un linge pourtant modeste »

La maglia della salute, c’est la manière familière qu’on a d’en parler, se lit canottiera sur les catalogues et les étiquettes des vitrines. Le mot s’explique bien, il s’inspire du maillot des fervents de canottaggio (canotage) de la fin du XIXe siècle qui accompagnait sans les contraindre les mouvements des sportifs. Un « canotier », chapeau de paille à bords plats et ruban, la paglietta (de paglia, « paille ») comme disent les Italiens, c’était aussi la bonne idée d’alors pour protéger du soleil avec élégance. La maglia della salute, la canottiera et, aperçu dans les recoins des dictionnaires, le vogatore (souvenir du vogatore, rameur), déjà trois mots pour un linge pourtant modeste, se voulant caché entre la peau, les chemises et les pulls.

… et toute une histoire

C’est vrai qu’on n’aura jamais autant baptisé, rebaptisé un vêtement pourtant si simple et si discret. Chez nous, le petit nom du maillot de corps ou tricot de peau (voici déjà deux noms), c’est le marcel (et de trois) du prénom du bonnetier qui le fabriqua le premier à la fin du XIXe siècle. Comme pour la canottiera, il fut pensé pour faciliter l’effort physique mais son histoire est ici moins ludique, en tout cas pas dominicale. On raconte que, un jour de grande inspiration, les Forts des Halles du Paris de l’époque arrachèrent leurs manches pour s’inventer un vêtement de travail bien large aux emmanchures et protégeant contre les courants d’air. Les gens des Halles (ah, qui aurait imaginés, ces grands gaillards, entre froufrous et tralalas ?) furent encore, et à deux reprises au moins, des lanceurs de prêt-à-porter : ne composa-t-on pas le mot chandail sur « marchands d’ail », les vendeurs de légumes du marché à gros tricot de laine ? Puis vint la version du marcel endossé sans rien dessus, souvent coloré et la bretelle peut-être un peu plus large, dit débardeur (et de quatre, saperlipopette !), canotta en italien, de « débarder » voulant dire décharger des marchandises sur les quais des ports. A ce point, peu importe qui du marcel ou de la canottiera arriva le premier, la première, le vêtement devint célébrissime et connut ici et là les mêmes aléas, les mêmes fortunes.

 

marcello mastroianni e sofia lauren
Marcello Mastroianni et Sofia Lauren dans "Peccato che sia una canaglia"

De Fantozzi à Yves Montand et Mastroianni

Lorsque, panique et désespoir, une chérie entrevoit un pan de canottiera sous la chemise de son chéri, ledit chéri est sacré sur-le-champ roi des mammoni (Giulio, hai messo la maglia della salute ?), de ceux qui, hélas, n’ont jamais su lâcher les jupons de la mamma. Pourquoi tant de honte et de mépris pour ce maillot alors que les médecins reconnaissent ses vertus salutaires ? Pas beau ? Trop famille ? Trop populo ? En tout cas, le petit linge est partout. On le voit même quand il n’est plus porté. Lors d’une partie de pétanque ou de briscola par exemple, des torses nus montrent le contour bien dessiné de leur bronzage à marcel et c’est une devinette vivante : qui sont-ils, ouvriers, agriculteurs, boulangers ? Ou gros beaufs franchouillards à baguette, béret, parfois claquette et barbecue en sus ? Maglia della salute, béret et, ventripotence oblige, grosses bretelles bien visibles sur le devant, voici venir Fantozzi, un cousin de tenue italien dans sa panoplie d’employé de bureau moyen des années 70. Imaginé et joué par Paolo Villaggio, c’est un bonhomme lourdaud, servile jusqu’à la bouffonnerie et tout le temps humilié par sa hiérarchie. On adora, on détesta, toujours est-il que la caricature était si juste qu’elle imposa le mot fantozziano pour les gens obséquieux et les situations saugrenues. Bon, beauf braillard et Fantozzi minus rassemblent deux univers plutôt contraires. Mais c’est la saga du marcel qui veut ça, prolo ou bien honteux, homme ou femme, oui oui, et même, tout à coup et sans prévenir, accessoire de beau gosse, bad boy, ou jeune gay en séduction. Il y eut Yves Montand en conducteur de camion (Le Salaire de la peur), Mastroianni à la plage (Peccato che sia una canaglia), Freddie Mercury, les défilés de Prada, Saint Laurent et tous les autres. Mille sabords, quelle aventure ! Mais d’où vient donc cet extraordinaire abracadabra qui le fait à la fois sous-vêtement de placards à mammone, tricot des rues et véritable star du tapis rouge ?

 

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