Françoise Danflous, lexicographe, nous emmène sur les surprenantes traces des mots « disastro » et « désastre », un mot qui cache bien son jeu !
« - Quel désastre! ». Mais qu'évoque-t-on exactement par ce cri ? Quel accident ou malencontreux chamboulement ? N'ayons pas la réponse hâtive car le mot cache son jeu. Un sens caché bien enfoui, direz-vous ? Pas le moins du monde. Il s'agit, paradoxalement, du contraire : le sens caché, et c'est la véritable prouesse du désastre, est tout à fait visible à l'œil nu sauf... sauf qu'on ne le voit pas. En fait, seul l'italien peut nous en donner la clé. Le français désastre est en effet directement issu de « disastro » et là, l'étymologie parle vite : « disastro » se désarticule en « dis-astro », « mauvaise étoile ». Bingo. Un désastre est avant tout une calamité provoquée par le passage funeste d'une étoile. La découverte est inattendue et plaisante. On s'en tient là ? Ce serait dommage.
D'ordinaire, pour mieux saisir un mot, on commence par consulter son étymologie. Mais là, si nous prenions le chemin contraire ? Si, pour une fois, nous cherchions à remonter d'une étymologie jusqu'aux mots qu'elle a patiemment construits ? La « mauvaise étoile » qui se tient sous notre « disastro » italien, nous la retrouvons en français derrière un de ces petits mots à la drôle de forme, vieillissant et guère utilisé de nos jours: malotru. Un « mal-otru », altération de « mal-astré » (« dis-astro »), désigne un individu né sous « une mauvaise étoile » puis, on comprend bien les suites d'une telle disgrâce, peu gâté par la nature. La première édition du Larousse de 1906 en garde par ailleurs le souvenir en définissant les deux visages du malotru, mal fait, mal tourné suivi de grossier, mal élevé alors que la langue moderne ne conserve que le deuxième, le mufle. Grâce à l'italien, nous apprenons que les mots désastre et malotru forment donc, étymologiquement, un seul et même sens nous proposant un des pléonasmes les plus dissimulés et surprenants de la langue. Autrement dit, les malotrus ont des manières désastreuses reviendrait à prétendre que les malotrus ont des manières malotrues. Ce qui, disons-le, n'éclaire guère nos lanternes.
Gardons une seconde les yeux levés vers le ciel et revenons à l'italien. La plupart du temps, malotru se traduit par « bifolco ». Ce mot, qui définit les gardien de bœufs, laboureur et puis goujat, désigne aussi, en astronomie, la constellation du Bouvier, figure mythologique qui agence le troupeau des étoiles les faisant tourner dans ce que nous espérons être leur bon sens. Le cercle se clôt et nous voici renvoyés tout de go à nos désastre et malotru du début qui racontent leur histoire de vilaines étoiles qui bougent et de mufles de tout poil.