Édition internationale

Alexia Duchêne : réinventer l’expérience culinaire française à New York

En France, on l’a découverte lors de son parcours qui l’a menée en demi-finale de Top Chef. Depuis, Alexia Duchêne vit son rêve américain et s’apprête à ouvrir en mai, dans le West Village à New York, son premier restaurant, avec son mari, Ronan Le May : Le Chêne. Elle à l’assiette, lui à la salle, et une même vision des choses. Un avenir qui s’annonce très, très prometteur. 

Alexia DuchêneAlexia Duchêne
Écrit par Stéphanie Mathis
Publié le 23 avril 2025, mis à jour le 24 avril 2025

Elle a l’ambition chevillée au corps. Et dans la Grosse Pomme, c’est plutôt (très) bien vu. A l’aube de la trentaine, cuisinière depuis 14 ans, Alexia l’énonce clairement : « C’est maintenant que j’ai envie de tout donner ». Alors son premier bébé, elle le conçoit exactement tel que son mari et elle l’ont rêvé. Un restaurant à leur image. Pour « nos amis et leurs parents », résume Ronan : une clientèle curieuse qui cherche une bonne cuisine française, mais avec un twist moderne. Un beurre blanc de couleur vert (au persil), ou rose (à l’hibiscus) par exemple. Surtout, ils souhaitent ouvrir un lieu où on a plaisir à se rendre pour des occasions spéciales, mais aussi régulièrement, par habitude, parce qu’on y est bien, et qu’on n’a qu’une envie en le quittant : y revenir. Un positionnement casual chic (et un prix correspondant !) qui se prête aussi bien à des repas d’affaires qu’à des dates, ou des tables de copains. Alexia insiste : « C’est à nous de comprendre l’occasion, de proposer une expérience sur-mesure en fonction ». L’objectif est bien de créer une communauté, et de nourrir le lien avec des clients fidèles. Qui seront choyés en conséquence. Des ronds de serviette personnalisés gravés d’abord, une conciergerie ensuite… Alexia et Ronan ont la vision. 

 

Alexia Duchêne et Ronan Le May
Alexia Duchêne et Ronan Le May

 

Mindset américain

Dans deux ans, ils pensent déjà à un nouveau projet, probablement en boulangerie-pâtisserie, qu’ils voudraient répliquer à l’échelle du pays. « Le marché US est tellement grand, il y a tellement de gens qu’on peut nourrir mieux » rêve Ronan. Ils ont en tête un modèle de qualité, qu’ils pourraient standardiser. En attendant, leur implication pour ce premier-né est sans faille. Le suivi de chantier, c’est eux. Ils délèguent peu, mènent tout de front, en sont ravis. Alexia ajoute : « Ça rassure aussi ceux qui conduisent les travaux ». Ils savent où mettre les priorités, pensent à des détails auxquels d’autres ne prêteraient pas attention. « Être à la fois propriétaire et exploitant de son restaurant, c’est rare » souligne Ronan. Et ça fait toute la différence pour rebondir, réagir vite. En plus d’être un couple. La situation a ses avantages : ils se connaissent, se font confiance, communiquent de manière fluide et sont capables d’ajuster leurs actions en permanence. « Dans l’événementiel, il n’y a que des problèmes à gérer, donc on a appris à gérer les problèmes ensemble » rit Ronan. Le Chêne, ils l’ont voulu à deux. Au début, ça leur a paru impossible. De penser le concept, trouver le lieu, créer le deck, lever de l’argent… Alors, ils l’ont fait. Ça leur a pris un an et demi, ils l’ont « dans les tripes ». 

 

Le Chêne, un ADN français

Représenter la France leur tient à cœur. Ils l’ont décidé, l’atmosphère à venir sera donc très parisienne : un cadre feutré, des banquettes aux tonalités de bordeaux, des nappes blanches… Alexia y est attachée, elle qui a appris à aimer ce type d’endroits avec ses parents, quand enfant, elle sortait dîner avec eux trois à quatre fois par semaine. « On va aussi au restaurant pour aller dans un univers » songe-t-elle. Pour donner une âme au lieu, ils travaillent avec une architecte d’intérieur, mais ils ont tout en tête. Ils savent exactement ce qu’ils veulent. Leur passion pour les arts de la table est manifeste ; elle passe par les tissus, les verreries, les couverts…Tous issus de très belles Maisons. D’ailleurs, ils sourcent beaucoup, vont parfois chercher loin des anciennes collections de Haviland ou Bernardaud. Ils prévoient des pièces phares, dont une grande vasque à champagne de Christofle, ou des cornets de frites en argent. En mettant en avant l’artisanat français et européen, ils remettent au goût du jour le « beau manger" dans sa plus pure acception. Et distinction. La tradition française, c’est aussi dans la cuisine qu’Alexia se donne le devoir de la perpétuer. « Et l’ADN français, ce ne sont ni des escargots, ni des grenouilles… » sourit-elle. C’est un ensemble de techniques archi-carrées au service de la créativité, avec les produits les meilleurs, forcément.. 

 

Alexia Duchêne

 

Alexia Duchêne, une cuisine évolutive

Elle attire notre attention. « La cuisine française à New York, ce n’est pas la cuisine française en France ! » L’enjeu est de s’adapter aux palais américains : une ouverture sur les autres qui lui plait et l’inspire. Au menu, une cuisine rassurante et innovante, donc, qui tend vers la texture et les contrastes. Et lisible, surtout : ici, on n’aime pas avoir trop de choses dans l’assiette. On va donc devoir savoir en parler, l’expliquer en salle. « Le service, ce n’est pas que prendre des commandes » ; Ronan y veillera, de même que sur la cave : « Il y aura une vraie offre pour les amoureux de vin ». Si des premières ébauches sont esquissées, la carte n’est pas figée. Elle va évoluer en fonction des saisons, bien sûr. En fonction des retours des clients également, car tous deux se veulent à l’écoute. Et « en fonction de l’équipe » assure Alexia ; l’intelligence de miser sur les forces de chacun. 

 

Une main tendue pour les talents français

D’ailleurs, le recrutement est quasi-finalisé. Ils vont faire venir deux serveurs et un pâtissier depuis la France. C’est aussi cela, infuser l’identité française. Une “main tendue” qui a vocation à être poursuivie, à destination de ceux qui rêvent d’une expérience américaine, mais qui n’ont pas la chance, comme eux l’ont eue, d’obtenir une Green Card. « Ça fait partie de l’esprit ici. Tout le monde est prêt à t’aider » souligne Ronan. 

 

Nos investisseurs, ce n’est pas qu’un portefeuille. Nous allons les solliciter sur toutes nos problématiques

 

Une histoire de confiance

Eux semblent encore surpris du pool d’investisseurs « géniaux » qu’ils ont réussi à fédérer autour de leur projet. Il n’y en a pas un qu’ils connaissaient avant. Sans love money (NDLR : de l’argent apporté par les amis ou la famille), ils ont levé à date plus d’un million auprès de profils aux expertises multiples, francophones pour moitié, américains pour l’autre. Et pour l’essentiel, des investisseurs-ambassadeurs, basés à New York qui vont venir manger, et apporter de la clientèle. C’est important pour eux, ils se sentent bien entourés. « Nos investisseurs, ce n’est pas qu’un portefeuille. Nous allons les solliciter sur toutes nos problématiques » annonce Alexia. « Ils n’attendent que ça » renchérit Ronan. Une confiance dont ils sont reconnaissants, et dont ils veulent être dignes, évidemment. « Entre nous, pas d’affect, c’est du business. Nous voulons faire de l’argent pour nous évidemment, mais aussi pour eux ». Les choses sont claires, posées, très professionnelles ; ils en sont fiers. 

 

Tracer son chemin

Alexia n’a pas quitté la France parce qu’elle ne l’aimait pas, mais parce qu’elle se sent plus française à l’étranger. Et parce que, « ce qui la passionne avant la cuisine, c’est l’entrepreneuriat ». Son côté anglo-saxon, sans doute, hérité de sa mère. Elle veut faire rayonner le pays où elle est née, rêve de la Légion d’honneur. Venue pour la première fois à New York à 17 ans, y restera-t-elle ? « Nous y ferons notre carrière » assène-t-elle. Avant de s’exporter, pourquoi pas, un tiers du temps en Californie. Histoire de retrouver le climat de la Grèce, pays cher à son cœur, où ses parents vivent la moitié de l’année ? Peut-être. Mais plus sûrement, une envie d’aller plus loin. De sortir de sa zone de confort, toujours. Ducasse est le premier chef qui l’a fait rêver, il la fait toujours rêver. Pour autant, elle n’a pas de role model. Elle suit son propre chemin, se fait confiance, se laisse la liberté d’être elle-même. Au Chêne, quand reviendra-t-on ? Sans doute, très vite.