On ne fait pas du business aux États-Unis comme on le fait en France. Le Petit Journal New York est parti à la rencontre de l’avocat Stéphane Grynwajc, inscrit au barreau français et américain, qui nous a livré tant ses recommandations que ses mises en garde.
Lepetitjournal.com New York : Quelle est la première chose qu’un entrepreneur doit faire pour développer son activité aux États-Unis ?
Stéphane Grynwajc : Il faut déjà comprendre les particularités du marché local, lesquelles sont très différentes de celles du marché français. Il faut faire en sorte de se positionner en adéquation avec l'offre locale, de réfléchir au meilleur positionnement pour ses produits ou services, de la meilleure façon de les vendre auprès du consommateur américain, sachant que d’une façon générale, quand on vend des produits ou services aux États-Unis, contrairement au marché français, il faut réfléchir verticalement. Quand on est en France, on estime souvent que si l’on a des produits ou services qui peuvent cibler tous les marchés, c’est finalement une qualité. Sur le marché américain, c’est souvent un désavantage. Il faudrait pouvoir être capable de cibler chacun des verticaux auxquels on s’adresse en expliquant et en donnant quelque part l’impression au consommateur américain que la solution, ou le produit a été pensé pour lui. C’est très important de spécialiser les choses plutôt que de penser généraliste. Aux États-Unis, quand on est généraliste, on est spécialiste de rien. Il faut essayer de se libérer de ce particularisme français d’avoir un service ou un produit qui s’adresse à tout le monde.
Ensuite, il faut se préparer juridiquement. Quand on arrive sur le marché américain, on sous-évalue l'importance du légal. Quand on est en France, il est vrai que l’on a une relation au légal qui est plus une relation réactive que pro-active. On va vers l’avocat dès lors que l’on a un problème. Souvent, quand on est entrepreneur, on va aller regarder ce que la concurrence fait en terme de conditions générales de vente, de privacy policy... et, ne serait-ce que pour économiser des coûts que l’on n’estime pas nécessaires d'engager en amont, on va adopter ce que la concurrence fait dans le domaine, en y apposant des modifications somme toute mineures. On ne va pas forcément imaginer que les frais d’avocats, afin de verrouiller son positionnement sur un plan juridique, doivent être engagés en amont. On essaie, au contraire, d’économiser des coûts, et, de fait, généralement, ce n’est pas dans le légal qu’on « investit » en premier. Je pense que c’est la grande différence avec le rapport au droit sur le marché américain, qui est un marché très légaliste, et où les citoyens ont, d’une façon générale, une connaissance de leurs droits, en matière légale qui est beaucoup plus avancée qu’elle ne peut l’être en France. Quand on arrive ici, on a du mal à imaginer que le droit soit souvent le point de départ du positionnement d’un entrepreneur. C'est pourtant le cas, pour des raisons liées aux règles de fonctionnement des droits anglo-saxons et à la façon dont ceux-ci se sont développés à coup de décisions jurisprudentielles successives. En conséquence, il faut vraiment réfléchir en amont et se border de façon préventive avant d’envisager un développement commercial sur place. Il faut se préparer à ce que les choses puissent mal aller et à devoir se retrouver à négocier avec un client une solution amiable à un différend en étant dans une situation de force plutôt que dans une situation de faiblesse.
Je pense que ce sont les réflexes les plus importants à avoir quand on arrive sur le marché américain. Il faut vraiment changer ce rapport que l’on a au droit et inverser ses ordres de priorité.
Quelles sont les problématiques que peuvent rencontrer les entrepreneurs français en arrivant sur le marché américain ?
Il y a déjà le fait d’être mal préparé. On arrive ici, en se disant que l’on a très bien réussi en France et que dès lors, il n’y a aucune raison pour que ce qui a marché en France ne marche pas aux États-Unis. On va donc répéter ce que l’on a fait en France, ici. C’est un risque réel que de tomber dans une sorte de facilité en prenant les choses pour acquises alors qu’elles ne le sont pas. Je pense que c’est un des principaux pièges à éviter.
Au-delà, il faudra également repenser sa “go to market strategy” afin de l’adapter aux standards US, adapter une stratégie marketing localisée et faire toutes les études de marché nécessaires afin de caler son offre en fonction de la demande locale.
Concernant les formes d’entreprises, quelles sont les plus courantes et quelles sont celles que vous pouvez recommander aux entrepreneurs qui arrivent sur le marché américain ?
Il y a plusieurs types de sociétés. Mais la première question à se poser est de savoir s’il faut systématiquement créer une société pour se positionner sur un marché comme le marché US. Je pense qu’il y a des cas où l’on n’a pas forcément besoin de créer une société. Au début, selon son type d’activité, on peut très bien décider de travailler en tant qu’auto-entrepreneur, sans société ou structure commerciale, en tant que telle. Après, l’avantage d’avoir une société est à deux niveaux. Le premier est qu’effectivement, en prenant la mesure du risque réel de poursuites légales par le consommateur américain insatisfait, l’avantage d’avoir une société est que cela permet de bénéficier d’une protection juridique via le voile de la société que l’on n’a pas lorsque l’on est indépendant.
La deuxième chose est que selon le type de business dans lequel on est, avoir une entité juridique à partir de laquelle on pourra contractualiser les choses vous permet de pénétrer des comptes que vous ne pourriez pas viser sans société. C’est une façade pour le client qui est rassurante. Souvent, le client va vouloir travailler, signer des contrats avec des sociétés plutôt qu’avec des personnes individuelles.
Créer une structure peut aussi être intéressant au niveau de l’imposition. On va pouvoir dissocier l’imposition personnelle de l’imposition au titre de la société.
Après, en ce qui concerne les deux formes principales de société pour un entrepreneur, on a d’un côté la Limited Liability Company, ou LLC, qui est un petit peu l’équivalent d’une SARL, en France. L’avantagede la LLC est qu’elle est assez simple en terme de structure comme en terme de formalités. L’inconvénient majeur de la LLC par contre est qu’elle n’a pas d’existence en tant que telle sur un plan fiscal. En fait, dès lors qu’on va créer une LLC, on va continuer de déclarer ses revenus et de payer ses impôts à titre personnel. Tout ce qui est glané par la société en terme de revenus est considéré comme un revenu personnel. On n’a donc pas de distinction entre une imposition au titre de la société et une imposition à titre personnel. Quand on est résident fiscal non-américain, on se retrouve, de fait, à être imposé sur le territoire américain alors même qu’on n’y réside pas. En conséquence, c’est vraiment quelque chose qui n’est pas recommandé si l’on n’est pas considéré comme résident permanent américain.
Par contraste, la Corporation, autre forme principale de société à privilégier, est plus intéressante de ce côté-là. Il n’y a aucune obligation de résidence sur le marché américain et la fiscalité, in fine, va être une fiscalité au niveau de la société et dès lors que vous êtes à l’étranger, ou que votre société - qui est alors une société mère - est propriétaire de la majorité du capital de la Corporation, vous serez imposé seulement sur la partie du revenue que vous rapatrierez à l’étranger, et vous pourrez du coup, faire jouer les traités de double imposition entre les deux pays afin de ne pas être imposé pour les mêmes revenus des deux côtés de l’Atlantique. C’est un avantage de la Corporation par rapport à la LLC.
Sur le plan juridique, vous avez la même protection des deux côtés, la société faisant écran par rapport aux créanciers, etc.
Sur le volet recrutement, est-ce qu’il vaut mieux embaucher sur place ou détacher des compétences depuis le pays d’origine ?
J’aurais presque tendance à dire « les deux mon général ». Tout dépend du business model dans lequel on est. Je vois un recrutement de personnel aux États-Unis comme avantageux à deux niveaux. Tout d’abord, les codes de communication, les codes de vente sont culturellement très différents aux États-Unis et en France. Donc pouvoir s’appuyer sur une force de vente locale permet de parler au client américain la langue du client américain. Quand on voit une entreprise française s’installer aux USA et y détacher la totalité de son effectif, on ne peut s’empêcher d’y voir là le signe qu’elle va continuer de vendre aux Etats-Unis comme elle vend en France. Et c’est un vrai problème.
Le deuxième niveau concerne le visa. Si vous venez d’un pays qui a un traité de partenariat commercial avec les États-Unis, vous êtes capables, dès lors que la société est du même pays que la personne qui est détachée, de bénéficier de facilités de transfert entre sociétés d’un même groupe, ce qui facilitera l’obtention de visas de travail pour vos ressortissants français. D’un autre côté, lorsque vous créer votre business plan, destiné à l’immigration, en support de votre demande de visa, vous allez y exposer vos projets en terme d’embauche. Si vous expliquez que tous vos recrutements vont reposer sur des compétences que vous ferez venir de France, ça risque d’être mal vu par les Services de l’immigration. L’idée est vraiment ici de contribuer au développement du marché américain en embauchant localement. Donc, l’idéal est peut-être d’avoir un mix en faisant venir du personnel de France pour encadrer le déploiement des activités de la société sur le marché américain tout en s’appuyant sur une force locale.
S’entourer d’un avocat est un réflexe aux USA, contrairement à la France. Quels conseils pouvez-vous donner aux entrepreneurs français pour qu’ils comprennent l’importance du légal ici ?
En fait, il y a une raison culturelle à cela. Le droit américain est un droit non écrit qui s’est essentiellement développé à coup de décisions de justice, elles-mêmes basées sur des faits de l’espèce à chaque fois différents. En conséquence, les Américains sont très coutumiers de tester le système et de faire reconnaître leurs droits par les tribunaux, sachant que souvent, ce que l’on est capable d’obtenir en justice n’a rien à voir avec la valeur d’un contrat ou l’étendue du dommage que l’on peut connaître. C’est très différent de la façon dont le droit s’est développé en France, et donc des réflexes qu’a pu développer le consommateur français du fait de la pratique des tribunaux dans l’hexagone. En France, on est responsable des dommages directs. Aux États-Unis, il y a toute une catégorie de dommages considéréscomme indirects, et pour lesquels un plaignant est susceptible d’obtenir réparation devant un tribunal. 74 % des dommages alloués par les tribunaux appartiennent à cette catégorie, qui regroupe des pertes aussi variées que les pertes de bénéfices, les pertes de profits, les pertes de réputation, les pertes d’opportunités commerciales, voire les coûts de remplacement des produits ou services faisant l’objet de la contestation. L’entrepreneur français qui exerce son activité aux USA ignore le plus souvent cela, et lorsque les contrats que l’entrepreneur aura signés avec des clients US n’auront pas bordé le risque lié à la responsabilité pour ce type de pertes, l’entrepreneur français risquera de perdre beaucoup plus que le montant des revenus qu’il aura pu dégager de ces contrats.
La deuxième chose qui est importante à savoir est que les montants demandés à titre de réparation devant les tribunaux US sont sans aucune mesure avec ceux communément rencontrés en France, Il existe notamment aux US une catégorie de dommages qui n’existe pas en France, ce sont les dommages punitifs. Ces dommages viennent punir une société qui connaissant l’existence d’un risque en aval, n’a pas pris en amont un certain nombre de mesures préventives afin d’en éviter la réalisation. Les mesures préventives, cela veut dire se border juridiquement, mettre en place un certain nombre de programmes internes pour circonscrire le risque. Quand on n’a pas fait ça, il n’y a absolument aucune tolérance de la part des tribunaux.
S’il y avait une mise en garde à faire aux entrepreneurs étrangers qui arrivent sur le marché américain, quelle serait-elle ?
Je vis dans un monde où les gens vont en justice très régulièrement, et ça n’arrive pas qu’aux autres. J’ai travaillé pendant quelques années dans une société dont le fondateur, Andy Grove, avait écrit un livre intitulé « Only The Paranoid Survive ». C’est malheureux d’avoir à penser comme ça quand on vit aux États-Unis, mais il faut avoir dans un coin de la tête, ce côté parano en se disant « et si ça n’allait pas comme je l’ai prévu ». Il faut se prémunir au cas où....
Pour en savoir plus sur le cabinet S. Grynwajc