Cette affaire a enflammé les relations diplomatiques entre les trois pays comme rarement. À l'origine, un partenariat de sécurité conclu entre les États-Unis, le Royaume-Uni et l'Australie qui prévoit de fournir aux Australiens des sous-marins à propulsion nucléaire, au détriment du français Naval Group. Alors que Philippe Étienne, Ambassadeur de France aux États-Unis a été rappelé à Paris vendredi dernier et que le chef de la diplomatie française, Jean-Yves Le Drian ne décolère pas envers les États-Unis, notre édition s’interroge sur de possibles répercussions de cette crise diplomatique envers les expatriés français installés aux États-Unis. Notre rédaction a interrogé Roland Lescure, député des Français des États-Unis.
Crise diplomatique France / USA, retour vers 2003 ?
Le 19 mars 2003, les États-Unis et la Grande-Bretagne entraient en guerre contre l'Irak avec pour objectif de changer le régime politique en Irak et d'évincer son dictateur, Saddam Hussein. La France s'était non seulement opposée à l'invasion de l'Irak, mais elle avait également œuvré activement pour empêcher les États-Unis et la Grande-Bretagne d'obtenir une résolution du Conseil de sécurité de l'ONU pour autoriser la guerre. Cette démarche des Français a créé un énorme ressentiment contre la France dans l'opinion publique américaine et en particulier parmi l'establishment politique aux États-Unis. L'opposition française à la guerre en Irak a déclenché une énorme vague de francophobie dans les médias américains et a entraîné une grave rupture dans les relations franco-américaines. En sommes-nous revenus au même point de tension entre les deux alliés historiques ? Assistons-nous à une profonde crise diplomatique entre les deux pays ? « Entre deux alliés historiques, la confiance est primordiale, et il y a des temps où la discussion s’impose. C’est un de ces temps que nous vivons entre la France et les États-Unis. Un temps où nous devons nous entendre à nouveau sur notre ambition commune, nos projets futurs et la raison pour laquelle nous devons mener cela ensemble. Il nous faut nous entendre sur l’ensemble des éléments qui constitue notre alliance. Des éléments pratiques mais également diplomatiques notamment dans le Pacifique, d’où la nécessité de rappeler nos deux ambassadeurs pour consultation. Mais de toute évidence, les États-Unis sont et resteront notre allié » explique Roland Lescure.
Du côté du Sénat, le groupe d'amitié France - États-Unis — composé des Sénateurs majoritairement LR — s'inquiète des conséquences de la rupture du contrat de fourniture par la France de douze sous-marins à l'Australie et de la conclusion d'un nouveau partenariat stratégique de ce pays avec les États-Unis. Comme l'explique son président Antoine Lefèvre, « la concurrence commerciale et diplomatique que marque brutalement ce revirement majeur contrevient manifestement aux règles de coopération qui doivent prévaloir entre alliés de longue date. Au-delà des enjeux de sécurité, les liens historiques entre nos deux pays se sont toujours traduits par une relation de confiance durable et solide ».
Jean-Yves Le Drian a dénoncé de nouveau, lundi, sur le sol américain, un défaut de concertation des États-Unis dans la crise des sous-marins avec la France et la permanence de réflexes d'une époque que nous espérions révolue .
« Le sujet est d'abord celui de la rupture de confiance entre alliés, et cela appelle des réflexions lourdes entre Européens », a-t-il déclaré lors d'une conférence de presse à New York en marge de l'Assemblée générale annuelle de l'ONU. Une allusion claire à la volonté de la France d'un développement d'un pôle européen autonome sur le plan militaire.
Signe de la profondeur de la crise, aucune rencontre n’est prévue pour le moment entre Jean-Yves Le Drian et son homologue américain, Antony Blinken, pourtant tous deux présents à l’Assemblée générale de l’ONU.
Et les expatriés dans tout cela ?
Pour Roland Lescure, « l’inquiétude exprimée par les Français [des États-Unis, NDLR] n’est pas liée à la situation diplomatique actuelle, elle va au-delà, car elle est le fruit de ces derniers 18 mois de crise. 18 mois ou nous n’avons pas cessé de répondre à leurs sollicitations : plus de 6 000 courriels pour répondre à leurs questions particulières ou pour les informer de l’évolution régulière de la situation sanitaire, en complément de newsletters, de réunions publiques à distance, de réponses aux différentes sollicitations sur nos réseaux sociaux ».
Concours de circonstance ou pas, en pleine crise diplomatique, les États-Unis ont annoncé rouvrir leurs frontières aux voyageurs en provenance de l’Union européenne et de Grande-Bretagne. Une annonce libératrice pour les expatriés européens installés aux États-Unis, qui, sous visa, sont empêchés de voyager librement vers leur pays depuis mars 2020. Il y a encore une semaine, le coordinateur de la réponse au coronavirus de la Maison Blanche, Jeff Zients, déclarait au Conseil consultatif américain du voyage et du tourisme que l'administration ne prévoyait pas d'assouplir immédiatement les restrictions de voyage, et donc de ne pas lever le travel ban, citant les nombreux cas de variant Delta aux États-Unis et dans le monde.
Est-ce que la levée du travel ban ne serait pas un signe d’apaisement de la part de Washington adressé à Bruxelles ? « Après l’annulation d’un contrat de 55 milliards d’euros, ça ferait cher le billet d’avion ! » s’exclame Roland Lescure, non sans humour. Et de rajouter « la fin du travel ban, c’est avant tout la promesse d’un retour à la vie d’avant, tout du moins le retour à une certaine normalité. Depuis des mois, nous recueillons le désespoir de centaines de Français, loin de leur famille. Certains se trouvent dans des situations critiques à la fois psychologiquement, mais aussi financièrement. C’est aussi le retour des opportunités économiques pour nos entrepreneurs. La fin du travel ban est pour chacun de nous la fin d’une période d’incertitudes qui a trop longtemps duré. »
Peut-on imaginer que cette crise diplomatique touchera d’une façon ou d’une autre les Français expatriés aux États-Unis ? Roland Lescure tranche : « je retiens de l’actualité de ces dernières heures la fin du travel ban au début du mois de novembre prochain. Un soulagement immense pour des milliers de compatriotes, isolés de leur famille depuis des mois et pour lesquels nous agissons depuis le début de la crise. Un soulagement également pour nos entrepreneurs, les voyages à but économique vont également être à nouveau possible. Il s’agit d’une situation inédite qui a créé de nombreuses ruptures chez les Françaises et les Français de l’étranger. Désormais, chacune et chacun peut envisager l’avenir plus sereinement. »
Et de conclure : « j’ai été ravi d’échanger de nouveau avec eux [les expatriés, NDLR] lors de mon déplacement récent au Canada pour redonner une perspective positive et pour penser de nouveau à notre avenir. Je suis impatient d’en faire autant très bientôt avec nos compatriotes qui vivent aux États-Unis ! »