C’est officiel, la Chine a fait ses « adieux » à la grande pauvreté. En 40 ans, le Parti a sorti 770 millions de personnes de la misère, dont 100 millions depuis l’arrivée au pouvoir du Président Xi Jinping. « Un miracle qu’aucun autre pays n’a pu accomplir en si peu de temps », précise le Secrétaire général du Parti, vantant ainsi les mérites du modèle chinois. 9,6 millions de ruraux ont été relogés et 7,9 millions de logis ont été rénovés depuis 2012. Pour ce faire, le gouvernement n’a pas lésiné sur les moyens : 3 millions de cadres ont été envoyés sur le terrain, et 1600 milliards de yuans (200 milliards d’€) ont été alloués. La lutte contre la pauvreté a cependant été minée par divers scandales : des détournements de fonds par des cadres locaux peu scrupuleux, des villageois expulsés contre leur gré, ou encore des familles laissées sur le carreau, pas suffisamment pauvres pour répondre aux critères du gouvernement.
Annoncée fin novembre dernier, cette victoire contre la pauvreté absolue (moins de 4000 yuans par an) a été célébrée le 25 février par une cérémonie au Grand Palais du Peuple à Pékin, retransmise en direct à la télévision, dans un format qui n’est pas sans rappeler la célébration de la victoire contre la Covid-19 en septembre dernier. À l’occasion, 1981 personnes et 1501 collectivités ont reçu médailles et certificats en récompense de leurs efforts. Après cela, Xi Jinping a donné un discours de plus d’une heure, soulignant son implication : « les huit dernières années, j’ai présidé sept colloques sur les efforts anti-pauvreté, réalisé plus de 50 visites d’inspection dans 14 régions parmi les plus démunies du pays ». En avant-goût, le Quotidien du Peuple avait publié la veille un article de trois pages vantant les mérites du Président et mentionnant son nom pas moins de 139 fois. Le message est clair : la pauvreté n’a pas été éradiquée sous Mao, sous Deng Xiaoping, ou encore sous Hu Jintao, mais bien sous Xi Jinping, qui avait promis dès 2015 d’y arriver en 2020 – un succès annoncé. Aujourd’hui, à quatre mois du centenaire du Parti (le 1er juillet) et surtout à vingt mois du XXème Congrès de 2022, durant lequel il devrait accéder à un troisième mandat, Xi Jinping marque des points. Surtout, cette seconde victoire à son palmarès en quelques mois rapproche un peu plus l’actuel Secrétaire général du Parti de son but : devenir l’égal de Mao.
Mais concrètement, la grande pauvreté a-t-elle réellement disparu de Chine ? Tout dépend du seuil utilisé pour la définir. Il est indéniable que les conditions de vie dans les campagnes chinoises se sont sensiblement améliorées. Toutefois, plusieurs experts affirment que le seuil retenu (4000 yuans annuels, soit 1,69 $ par jour) est trop bas, en dessous de celui défini par la Banque Mondiale (1,9 $ par jour). Pour les pays à revenu intermédiaire supérieur comme la Chine, l’institution financière internationale préconise même un seuil de 5,50 $ par jour. Dans ce cas, un quart de la population chinoise serait encore « extrêmement pauvre ». Un constat qui fait écho aux 600 millions de Chinois au revenu disponible de 1000 yuans par mois, tel que dévoilé par le Premier ministre Li Keqiang en mai 2020.
Il y a aussi la crainte que les gens retombent dans la misère. Ou Qingping, vice-directeur du groupe directeur chargé de la lutte contre la pauvreté, avertissait en décembre « qu’un certain nombre de personnes comptent encore sur les aides du gouvernement pour vivre. Une fois que ces subventions prendront fin, ils risquent de retomber dans la pauvreté ». Bien conscient de cette difficulté, le gouvernement a créé une nouvelle agence remplaçant celle de l’anti-pauvreté, chargée de réduire les inégalités croissantes de richesse entre les villes et les campagnes. « La Chine est toujours un pays avec l’un des écarts de richesse rural-urbain les plus importants au monde », rappelle Wei Houkai, directeur de l’institut du développement rural de l’Académie des Sciences sociales. Pour y remédier, l’agence devra élaborer de nouvelles stratégies, sans pouvoir compter sur les ressources fiscales limitées des gouvernements locaux, déjà lourdement endettés par de coûteux projets d’infrastructures.
En parallèle, l’État a décrété une période de transition de cinq ans afin de « consolider ces résultats », une mesure qui a suscité le scepticisme de certains internautes chinois : « la Chine a-t-elle éradiqué la pauvreté, oui ou non ? », interroge l’un d’entre eux. Selon la ligne officielle, il n’y a plus de ‘préfectures et foyers pauvres’ à travers le pays, seulement des régions ‘sous-développées’ et des ‘personnes à faibles revenus’. Ainsi, déclarer victoire sur la pauvreté pourrait s’avérer à double tranchant lorsque le grand public réalisera que la réalité du terrain n’a que peu d’égards pour les nuances sémantiques.