En mars 2024, Chloé Vialard recevait au Quai d’Orsay le Trophée Social et Humanitaire des français de l’étranger pour l’initiative collective du ‘Support Centre for women victims of violence’ qu’elle porte à Singapour, un dispositif dédié aux femmes françaises victimes de violence, de toute nature, dans la sphère privée ou professionnelle. Un an plus tard, où en est cette permanence juridique gratuite encore unique dans le réseau consulaire français ?


Il n’existait aucun accompagnement spécifique pour les femmes françaises victimes de violences lorsqu’elles sont établies à l’étranger
Chloé Vialard, avocate spécialisée en arbitrage international et établie à Singapour est convaincue que la loi est un rempart lorsqu’elle est protectrice des droits des femmes. Elle sait aussi que la connaissance de ses propres droits n'est pas toujours à portée de celles qui en ont besoin. Depuis 2019, la jeune femme s’engage après avoir identifié “qu’il n’existait aucun accompagnement spécifique pour les femmes françaises victimes de violences lorsqu’elles sont établies à l’étranger. Alors que la prise en charge ne peut pas être identique à celle proposée en France et que le traitement est variable selon les pays, pour certaines victimes, la peine peut être multiple : à la violence peut s’ajouter l’isolement en plus de l’éloignement, mais aussi ne pas savoir quels sont ses droits dans le pays d’accueil ni vers qui se tourner", elle précise par ailleurs qu’une telle situation "peut s’avérer d’autant plus compliquée s’il existe une dépendance économique ou administrative à un conjoint auteur de violence”. Face à ce constat et confrontée à des femmes qui expriment ces besoins, elle fédère des acteurs institutionnels pour agir ensemble.
La pertinence du dispositif provient de la contribution d’avocats bénévoles locaux qui fournissent des conseils juridiques sur le droit et les procédures de Singapour.
Un dispositif unique en son genre dans le monde depuis 2021
Deux ans plus tard, en décembre 2021, un dispositif innovant voit officiellement le jour, le ‘Singapore France Support Centre for women victims of violence amongst the French community in Singapore’ ou ‘Centre de soutien pour les femmes françaises victimes de violences établies à Singapour’ : “c’est la première fois qu’une permanence de consultations juridiques gratuites de droit français est lancée hors des frontières nationales par le Barreau de Paris, et la première permanence juridique gratuite de droit étranger à Singapour. Il s’agit d’un partenariat tripartite institutionnel innovant entre la ‘Law Society of Singapore’ et son service ‘Pro Bono SG’, le Barreau de Paris et son Barreau de Paris Solidarité, et l'Ambassade de France à Singapour” explique Chloé Vialard. Elle ajoute que "sa pertinence provient également de la contribution d’avocats bénévoles locaux qui peuvent fournir simultanément des conseils juridiques sur le droit et les procédures de Singapour".
Le dispositif a intentionnellement été conçu autour d’un maillage collaboratif d’autres professionnels bénévoles aux compétences propres : aux avocat(e)s Chloé Vialard, Lucas Nicolet Serra, Mathilde Broustau, Estelle Bichon-Sun, Sabrine Cazorla, Elodie Dulac, Hugo Petit et leurs consœurs et confrères singapouriens s’ajoutent des travailleurs sociaux locaux, un médecin et une psychologue bénévoles auprès de l’Ambassade de France à Singapour, ainsi que des foyers d’hébergement d’urgence locaux, des associations locales d’aide aux femmes victimes de violence, des fonds d’urgence locaux, et des relais en France.
"Pour être le plus utile possible, notre soutien doit avoir vocation à être holistique", insiste Chloé Vialard, "pour appréhender l’impact que peuvent avoir les violences sur une femme dans sa globalité. Nécessairement, cela inclut sa santé physique et mentale, ses moyens à mettre en œuvre une solution de repli et, si ce n’est son accès à des aides financières dédiées depuis l’étranger, un accompagnement lui permettant d’envisager des axes de développements économiques selon ses besoins". C’est un constat partagé par d’autres. En France, par exemple, la Maison des Femmes accueille des victimes de violences pour des consultations médicales et propose sur cette base un accompagnement pluri-professionnel dédié, dont le modèle est en cours d’expansion sur tout le territoire français.
L’excellence et la résilience des Français de l’étranger ont résonné au Quai d’Orsay
C’est en grande partie grâce à cette mise en lumière du média lepetitjournal.com que nous avons donné une autre dimension à ce projet, en étant récompensés jusqu’à Paris
En janvier 2024, Chloé Vialard reçoit le Trophée Responsabilité Sociale et Humanitaire lors des Trophées des Français de l'ASEAN à Singapour. "Cette distinction, je ne l'ai pas conçu comme une récompense personnelle, mais comme la reconnaissance de l’engagement continue d’un collectif d’individus et d’institutions solidaire de la communauté", confiait-elle. En mars 2024, l’avocate reçoit à nouveau un Trophée Humanitaire sous les lustres prestigieux du Quai d’Orsay. “C’est en grande partie grâce à cette mise en lumière du média lepetitjournal.com que nous avons donné une autre dimension à ce projet, en étant récompensés jusqu’à Paris”. Aujourd’hui, Chloé Vialard explique que les Trophées lepetitjournal.com ont permis, sans conteste, d’appuyer la pertinence du dispositif : “et sa contribution à une problématique qui, au-delà de Singapour, touche plus largement les femmes victimes de violences établies hors de France", insiste l’avocate qui a rencontré des parlementaires élus des français de l’étrangers à cette occasion - à l’instar de la sénatrice Olivia Richard – qui s’était aussi saisie de la cause, contribuant à la mettre à l’agenda public et fédérant autour.
Le 7 novembre 2024 est organisée la première réunion d'une concertation autour de la lutte contre les violences faites aux femmes à l'étranger. France Singapore Support Centre for Women Victims of Violence - Chloé Vialard et le Barreau de Paris y participent mais aussi des parlementaires, des associations telles que la Fédération France Victimes, GAMS BE, Fédération Nationale Solidarité Femmes, THE SORORITY (...). Une avancée notable qui aboutit à une feuille de route et une stratégie annoncée par la DFAE le 7 mars 2025, la veille de la journée internationale des droits des femmes.
Diplomatie féministe et lutte contre les violences : “la France montre l’exemple”

plus de 60 permanences ouvertes entre 2021 et 2025, auprès de 10 avocats bénévoles, français et singapouriens
En 2025, où en est le dispositif de Singapour pour les femmes françaises victimes de violence ?
Chloé Vialard constate le même nombre de rendez-vous chaque année depuis 3 ans parmi les plus de 60 permanences ouvertes entre 2021 et 2025, auprès de 10 avocats bénévoles, français et singapouriens qui participent au dispositif : “Notre mission est avant tout d’expliquer aux bénéficiaires quels sont leurs droits et leurs options. Nous observons un panorama assez large de violences intra-familiales subies : de nature psychologiques, physiques, sexuelles, mais aussi économiques, administratives, et à travers l’utilisation d’outils numériques et en ligne. Le parcours d’une femme pour rompre avec une situation de violence est difficile à plein d’égard, et le soutien que propose le dispositif peut malheureusement également se heurter à des principes de réalité propres à chaque femme, et de contraintes propres à l’établissement à l’étranger".
Les permanences ont lieu deux fois par mois, tous les premiers vendredis et troisièmes mardis, de midi à 14 heures, dans des locaux dédiés au sein du Help Centre de la State Court située au 1 Havelock Square, State Courts, Singapore 059724, #B1-18, avec ou sans rendez-vous. Pour prendre rendez-vous, vous pouvez remplir le formulaire accessible sur la page dédiée. Pour toute question, y compris confidentielle, vous pouvez écrire à l’adresse barreausolidarite@avocatparis.org .
”Nous avons une responsabilité : celle d’assurer que chaque Française installée ici sache qu’elle peut être aidée” souligne Stephen Marchisio.
En 2025, la communauté française résidant à Singapour compte environ 20.000 ressortissants. Parmi eux, environ 40% sont des femmes de 20 à 60 ans. Dès son arrivée à Singapour, le nouvel ambassadeur de France, Stephen Marchisio, s’intéresse à l’initiative : "J’avais entendu parler de ce dispositif dès 2022, avant même de prendre mes fonctions ici” confie-t-il à la rédaction lepetitjournal.com en février 2025. Convaincu de la pertinence du projet, il s’engage à y apporter son soutien : “Ce dispositif est une première. Il fonctionne bien, il est efficace, et il mérite d’être connu.” Une page dédiée est créée sur le site de l’ambassade et les réseaux sociaux sont mobilisés, notamment lors des grandes dates comme le 8 mars ou le 25 novembre : ”Nous avons une responsabilité : celle d’assurer que chaque Française installée ici sache qu’elle peut être aidée” souligne Stephen Marchisio.

Accompagner les femmes victimes de violences, mais aller encore plus loin
Avec plus de deux ans d'existence, la permanence gratuite multi-juridictionnelle veut aller plus loin : “nous savons qu'il y en a encore trop de femmes qui ne connaissent pas notre existence, ou qui n'osent pas franchir le pas", confie Chloé Vialard. Parmi les projets de développement, la co-initiatrice nous parle de "l’importance de sensibiliser la communauté au sens large, à tous les niveaux, tout le temps, que chaque femme sache qu'elle peut être aidée. La prévention et la détection sont aussi des étapes essentielles.” insiste l’avocate.
Selon le Rapport du Gouvernement sur la situation des Français établis hors de France au 31 décembre 2023, 109 cas de violences conjugales ont été signalés, 260 cas de mineurs en danger et 41 viols. La plateforme SAVE YOU d’aide aux femmes françaises victimes de violence dans le monde évoque quant à elle plus de 450 familles aidées depuis 2022.

Nous travaillons avec le barreau de Paris pour voir comment nous pouvons dupliquer cette pratique ailleurs dans le monde

Le modèle d’un tel dispositif dépassera-t-il d’autres frontières ? “Il y a deux ans, l’idée de répliquer ce modèle ailleurs était encore floue. Aujourd’hui, les discussions avancent, notamment avec la Direction des Français à l'étranger et de l'administration consulaire” précise l’ambassadeur Stephen Marchisio. Une déclaration confirmée par Pauline Carmona le 7 mars 2025 lors d’une prise de parole au Quai d’Orsay : “la DFAE souhaite identifier et étendre les bonnes pratiques pour lutter contre les violences faites aux femmes. Je cite en exemple une permanence juridique tripartite mise en place à Singapour, une très belle initiative. Nous travaillons avec le barreau de Paris pour voir comment nous pouvons dupliquer cette pratique ailleurs dans le monde." Un espoir pour toutes les Françaises victimes de violences à l'étranger...
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