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SINGAPURA - Episode 2 - Décider de partir

Singapura Episode 2Singapura Episode 2
Écrit par Bertrand Fouquoire
Publié le 1 janvier 1970, mis à jour le 11 décembre 2017

Lepetitjournal.com/singapour vous propose depuis le 20 octobre un rendez-vous hebdomadaire, chaque vendredi, avec un feuilleton dont les expats à Singapour sont les héros. Participez à son écriture en publiant sur Facebook vos réactions, vos idées et suggestions sur la suite des évènements et le devenir des personnages.

Episode 2 – Partir

A présent, le charme était rompu. Solène traînait son corps le long des rues, qui s’enfilaient, l’une après l’autre, comme les perles d’un collier pour lequel elle avait soudain perdu tout intérêt. Ils marchaient côte à côte, lui, gai et souriant, formant des projets, elle, incapable de fixer son attention.

-Est-ce que tu ne veux pas qu’on s’assoie quelque part ? lui demanda-t-elle finalement.

-Bonne idée, lui répondit-il avec enthousiasme. Tu veux qu’on aille à la Rhumerie ?

-Pourquoi pas ?

La Rhumerie était à quelques mètres. En poussant la porte, ils furent saisis par le niveau sonore. La salle était pleine. Un groupe d’étudiants riait bruyamment, envahissant l’espace. Leurs voix couvraient presque entièrement la musique. Ils trouvèrent une table libre dans un coin de la salle, près de l’escalier. Vincent voulût commander un Singapore Sling. Le garçon, qui n’avait apparemment jamais entendu parler ni de Singapore ni de Sling, haussa les épaules pour lui signifier que la maison, en matière de cocktail, ne donnait pas dans ce genre d’excentricités. Ils prirent tous les deux un rhum blanc.

  • Qu’est-ce que c’est, un Singapore Sling ? Demanda Solène d’une voix un peu forcée pour dominer le brouhaha du café.
  • C’est un cocktail de Singapour à base de Gin, de Cointreau et de Bénédictine avec un peu de liqueur de cerise, du jus d’ananas, du jus de citron et du sirop de grenadine.
  • Comment sais-tu cela ?
  • J’ai fait une recherche sur internet au boulot cet après-midi.
  • Je vois que c’est comme si tu y étais déjà, fit-elle, trahissant sa déception.
  • Ça t’attriste ?
  • Oui… évidemment. J’avais imaginé… Elle ne savait comment poursuivre. Son esprit était vide, comme si, à la manière d’un tsunami, ses émotions avaient, en ce moment, reflué très loin; avant que ne se déverse, mais ce serait pour plus tard, quand elle serait seule chez elle, un violent torrent d’images et de supputations.
  • Quoi ? Qu’est-ce que tu avais imaginé ? lui demanda t-il, gauchement. Il lui prit la main et fut frappé de constater à quel point elle était froide et inerte. Perplexe, il cherchait à lire, dans les yeux de Solène, les motifs de sa mélancolie. Mais elle les tenait obstinément fixés sur cette main que Vincent tenait dans la sienne. Dans ce ballet incessant, où leurs regards à tous les deux ne se croisaient jamais, ses yeux semblaient chercher quelque chose qui n’était pas vraiment là, mais plus intérieur, plus douloureux.
  • Rien, fit-elle en retirant sa main pour écarter une mèche. Enfin,… c’est que je n’avais pas envisagé que tu partirais.
  • C’est seulement pour un an.
  • Un an c’est long. Il peut se passer beaucoup de choses en une année. Il n’y a donc aucune chance que tu restes ? Ta décision est déjà prise ?
  • Ma décision de partir à Singapour ? Oui, je te l’ai dit. J’ai donné mon accord cet après midi. D’ailleurs ils ne m’ont pas laissé le choix. Tu imagines. Ils n’auraient pas compris que je demande à réfléchir.
  • Tu aurais pu au moins m’en parler.
  • Mais c’est ce que je fais. Quand aurais-tu voulu que je t’en parle ? Je ne le sais que depuis cet après midi.
  • Tu aurais pu penser à nous avant de t’engager. Je comprend que ce soit pour toi une opportunité. Mais c’est tout de même une décision importante. Est-ce que tu as bien réfléchi ? Est-ce que tu ne devrais pas en parler, te renseigner, avant de t’en aller si loin, si longtemps ?
  • Mais c’est précisément le genre d’opportunité qu’il faut savoir saisir quand elle se présente. Si on commence à se poser des questions, alors cela devient impossible. Partir, voyager très loin, c’est ce dont j’ai toujours rêvé. Je ne pouvais pas laisser passer cette chance. Et puis, ce n’est que l’affaire d’un an.

 

On apporta les rhums blancs. Ils suivaient tous les deux, en silence, les gestes du serveur.

  • Je ne sais pas…
  • Tu ne sais pas quoi ?
  • Je ne sais pas quoi penser. Je croyais que ce que l’on vivait était sérieux. J’ai l’impression que tu fuis quelque chose ou quelqu’un.
  • Mais pas du tout. Je ne m’enfuis pas du tout. De quoi m’enfuirais-je ? Je t’aime, tu le sais. Ca n’a rien à voir. Il y a juste… que j’ai 23 ans, et qu’on me propose un job en Asie. Qu’est-ce que tu ferais à ma place ? Je ne sais pas si tu te rends compte. Je ne veux pas m’enterrer ici. Je veux voyager, découvrir le monde. Ici les gens sont tristes. C’est là bas que ça se passe. Tiens ! Tout le monde maintenant parle de la Chine.
  • T’enterrer ? Tu vois c’est toi-même qui le dis. Et tu prétends que tu ne fuis pas!
  • Ce n’est pas ce que j’ai voulu dire. Ce que je veux dire c’est que j’ai besoin de bouger, de me confronter à l’inconnu, d’aller vers d’autres gens et découvrir d’autres manières de vivre.
  • Parfait pour toi ! Mais moi ? Qu’est-ce que je deviens dans tout ça ?
  • Mais est-ce qu’il ne faut pas que tu termines tes études ? Cela tombe bien : Je pars à Singapour, tu fais ton doctorat ; et dans un an je suis de retour en France.
  • Je ne sais pas.
  • Quoi ?
  • Peut-être que je n’ai pas envie de ça.
  • Comment ça ?
  • Peut-être qu’il vaut mieux qu’on en reste là. Je n’ai pas la vocation d’une femme de marin. Tu vois, je crois que je n’aurai pas la patience. Je ne me vois pas ici toute seule, déroulant mon petit train-train quotidien, passant mes jours et mes nuits à imaginer où tu es, ce que tu vis, les personnes que tu rencontres et à craindre que tu sois tombé sous le charme d’une femme de là bas. T’attendre sagement, comme une bonne petite amoureuse soumise? Très peu pour moi. On sait comment ça se termine. Ah oui ! On commence par s’écrire tous les jours. Et puis les mois passent. Il y a moins de lettres, moins de détails. Les sujets s’épuisent. Les silences s’étalent sur le papier. C’est éloquent un silence, même par écrit. On réalise qu’on vit, chacun, dans des univers qui n’ont rien de commun... On finit par réaliser que cela ne sert à rien de décrire ou d’expliquer, qu’il manquera toujours quelque chose qui permettrait à l’autre de comprendre. On se fatigue d’écrire, puis on se lasse l’un de l’autre, et on finit par s’oublier tout à fait.
  • Tu n’as pas une vision très optimiste des choses. Je croyais pourtant que c’était une de tes qualités. D’ailleurs, aujourd’hui, on ne s’écrit plus. On peut se parler et se voir tous les jours sur skype.
  • Super pour le romantisme. Il n’y aura donc même pas les lettres ! De toutes façons, je refuse de me bercer d’illusions. Il y aura mille raisons que tu m’oublies. Si tu as vraiment envie de partir, peut-être qu’il vaut mieux qu’on se quitte.
  • Là, maintenant ? Mais je ne veux pas te quitter.
  • On ne le dirait pas. On te fait une proposition et tu sautes dessus sans même te poser la question de ce que je peux en penser.
  • Comment aurais-tu voulu que je fasse ?
  • Je ne sais pas.
  • Je t’aime
  • Tout de suite les grands mots. C’est un peu facile. Tu crois qu’il suffit de ces deux mots magiques pour que tout soit recollé : plus de séparation, plus de dispute? D’ailleurs, tu me dis que tu m’aimes, mais je n’en suis pas si sûre. Tout me prouve le contraire.
  • Comment faut-il te le dire ? Que voudrais-tu que je fasse ?
  • Je ne sais pas ?
  • C’est vraiment chiant !
  • Nous y sommes ! Tu vois il ne t’aura pas fallu longtemps. Et bien, puisque « c’est chiant », n’en parlons plus. De toutes façons, puisque tu as décidé de partir là bas, vas-y ! Mais ne t’étonnes pas si je vais de mon coté et que je reprends ma liberté.
  • Tu voudrais que je reste ?
  • Ce n’est pas la question
  • Qu’est-ce qui est la question alors ?
  • Je ne sais pas. C’est la manière dont tu m’en parles. Je me sens… complètement exclue. J’ai l’impression que tu es déjà parti, que tu penses déjà à là bas et que notre histoire n’existe plus.
  • Bon et bien d’accord. N’en parlons plus. C’est toi qui as raison. Je reste !
  • Qu’est-ce que tu racontes !
  • Je te dis que je n’ai pas envie de te perdre. Je reste.
  • N’importe quoi ! Tu sais bien que tu le regretteras. Non, pars ! Vas-y, bien sûr. Je comprends parfaitement que tu en aies envie. C’est évidemment une chance extraordinaire.
  • Non, ça y est, ma décision est prise. Tout est clair maintenant. Je suis très sérieux. C’était une folie très égoïste de ma part. Je reste, puisque cela te fait de la peine. Je te jure que je n’en ai plus du tout envie. L’important, l’essentiel, c’est que je t’aime. Tu ne peux pas savoir à quel point. Je ne sais pas comment te le dire. Je suis super maladroit pour dire ces choses là. Je vois que tu es malheureuse et ça me rend malheureux. C’est très simple : je ne veux pas prendre le risque de te perdre. Tant pis pour Singapour. Il y aura bien d’autres occasions de partir.
  • Je ne sais pas si je dois te croire. Tu dis une chose, et puis son contraire. Il y a un instant, tu étais décidé à partir. Maintenant tu serais décidé à rester ? Je ne veux pas t’empêcher de partir. D’ailleurs tu me le reprocherais.
  •  
  • Il y a bien une solution, reprit Vincent, hésitant.
  • Je ne vois pas.
  • Et si… Pourquoi ne viendrais-tu pas avec moi ?
  • Quoi ? Tu sais bien que ce n’est pas possible
  • Pourquoi serait-ce impossible?
  • Tu le disais toi-même tout à l’heure. Il y a mon doctorat. Et puis qu’est-ce que j’irais faire à Singapour ?
  • Ton doctorat, rien ne t’empêche de le faire là bas. Tu peux parfaitement en parler à ton directeur de thèse et le faire à distance. D’ailleurs tu n’as même pas besoin de le lui dire. Qu’est-ce qui t’oblige à rester à Paris pour faire ta thèse ?
  • Et tu y penses maintenant ? Comme ça ? Sur un coup de tête ? Si tu avais vraiment eu envie que je t’accompagne, tu y aurais songé d’emblée. Tu n’aurais pas attendu que je me fâche.
  • Tu te trompes. Au contraire, j’y ai pensé immédiatement. Mais je n’osais pas. J’avais peur de ta réaction.
  • Peur de ma réaction ?
  • Oui, peur que tu me dises que tu ne viendrais pas. Que je m’étais fait des films. Que cela venait trop tôt.
  • Vraiment ? répondit-elle, très émue, tu me proposes de partir avec toi ?
  • Oui, s’écria-t-il avec jubilation, comme pour prendre à témoin les étudiants des tables voisines.  Je te confirme que c’est bien ce que je suis en train de faire. Je te propose très officiellement de partir avec moi à Singapour.

Elle ne savait que répondre. Vincent la regardait, anxieux et impatient. Il avait envie d’elle, de la prendre dans ses bras, de l’emporter tout de suite, ce soir, comme un rapt. Prendre un taxi, foncer à l’aéroport. Partir immédiatement avec Solène et se retrouver demain, avec elle, en Asie.

  • Mon amour, dit-elle finalement d’une voix presque fiévreuse, les joues roses de plaisir, ne te moque pas, mais Singapour c’est où ?

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