Couplée à l'histoire de ELLE au Japon, la dernière conférence de l'association Femmes Actives Japon a été un véritable succès. Avec un thème séduisant, mêlant média, digital et la place des femmes dans la société japonaise, le rendez-vous FAJ du mois de février s'est avéré, comme pressenti, passionnant et captivant. A entendre les questions fuser en fin de séance, nous n'avons pas été les seuls à savourer ces deux heures menées avec aisance par Yves Bougon, Président Directeur Général de HEARST Japan, suivi de Cécile Vérié, manager de ELLE Events au Japon. Revivez avec nous l'histoire du célèbre média français et sa conquête du marché japonais.
Arrivé en 1990 au Japon comme boursier du gouvernement japonais, Yves Bougon est aujourd'hui le Président Directeur Général de HEARST Japan, entité membre du groupe américain de média HEARST, qui édite plus de trois cents magazines et sites Internet dans plus de quatre-vingts pays. Ce premier éditeur de magazines au monde est le seul à offrir un catalogue aussi divers sur le marché japonais, avec des marques papier et numériques locales, américaines et françaises. Yves Bougon entame sa carrière dans le groupe Lagardère en 2004 avant d'être promu CEO de Hachette Fujingaho en 2006. Suite aux rachats des activités par le groupe américain HEARST en 2011, Yves Bougon devient le Président Directeur Général de HEARST Japan la même année. Pour cette conférence Femmes Actives Japon, il est revenu sur les activités diverses et variées de ELLE Japon, qui doit sans cesse se renouveler pour relever le défi contemporain de la presse traditionnelle face à l'ogre numérique. Le business model doit impérativement se réinventer constamment pour faire face à la concurrence et à la menace digitale, qui peut vite devenir également une arme. Pionnier en la matière avec le lancement de ELLE Online en 1996 et de ELLE Shop en 2009, l'histoire de HEARST Japan et de ELLE Japon avait beaucoup à nous apprendre. Nous n'avons pas été déçus.
Un contexte de transformation des médias
C'est un fait avéré, la transformation des médias au Japon est inéluctable. L'industrie se meurt petit à petit, emportée par le vieillissement de la population nippone et un marché qui se tourne de plus en plus vers le numérique, évoluant sans cesse depuis maintenant dix ans. La presse papier doit maintenant faire face à un adversaire de taille : les médias numériques. HEARST et ses éditions n'échappent pas à ce constat au Japon, et l'adaptation est primordiale. ELLE Japon l'a très vite compris. Pour rappel, la marque a beau avoir comme actionnaire le groupe américain, Lagardère est toujours propriétaire de la marque ainsi que du merchandising de ELLE. Ces produits dérivés sont à distinguer du média en lui-même. Et bien que le nom de HEARST ne soit pas véritablement connu du grand public, son hégémonie dans l'édition mondiale n'est plus à prouver. Il s'installe alors au pays du Soleil Levant en 2011 en rachetant les activités de Lagardère. Aujourd’hui, HEARST Japan comprend HEARST Fujingaho et HEARST Digital Japan, start-up créée de toutes pièces. Ces auteurs de contenus multi formats développent ainsi des marques sur le marché japonais tout en agissant comme une agence marketing, qui propose de multiples solutions dans ce domaine.
La force de la société est de proposer plusieurs titres au Japon dans différentes catégories de média, souvent tournées vers la clientèle féminine, une tendance dans le pays. Ce mélange assure à HEARST Fujingaho une belle prospérité, autant en papier qu'en digital, entre la célèbre famille ELLE et ses déclinaisons, Esquire, Cosmopolitain ou encore Women's Health. Mais la chute aurait pu être très compliquée, avec une réduction de moitié du marché de la diffusion et de la publicité des magazines depuis 1996, accentuée par une nouvelle baisse en 2017. Dans le même temps, le marché de l’internet a explosé, la publicité numérique étant multipliée par trois en dix ans. Le magazine papier est bel et bien sur la pente descendante. L'accélération des nouveautés technologiques accentue durablement l'écart de plus en plus important entre le papier et le digital. Mais une menace peut aussi cacher une opportunité, si l'entreprise qui la subit cherche les solutions adéquates aux problèmes.
HEARST Fujingaho, un modèle d'adaptation
Même si le chiffre d'affaires ne nous a pas été dévoilé, la courbe du CA, sur la dernière décennie, démontrait un retour en force de l'entreprise. Alors qu'il souffre d'une décroissance significative au milieu des années 2000, le CA croît de nouveau depuis 2009 dans un marché pourtant très négatif. Cette bonne santé s'explique en partie par l'adaptation qu'a entamée HEARST Japan. En 2006, 98% du CA provenait de la presse papier (print) et 2% du digital. En 2017, la balance est tout autre. Le print représente 60% contre 40% pour le numérique (17% pour les publicités digitales, 23% pour le e-commerce, etc.). L'objectif d'ici deux ans pour le groupe installé au Japon est de passer le cap des 50% du chiffre d'affaires pour le numérique. Un défi qui sera sûrement relevé d'ici-là, l'innovation faisant définitivement partie du business model de HEARST Japan. Chaque année depuis 2007, le groupe lance un nouveau projet/produit pour augmenter son offre et toucher toujours plus de lecteurs, même si un échec n'est jamais impossible (un essai de site web spécialisé mariage par exemple). L'année dernière l’audience digital du groupe a dépassé les onze millions de visiteurs uniques sur les différents media numériques. Avec toujours l'innovation et l'adaptation en ligne de mire, l'offre HEARST Japan s'est étendue sur Yahoo et Line tout en créant des alliances pour de nouveaux consommateurs (un abonnement avec NTT Docomo par exemple). Aujourd'hui, pour le média ELLE, 66% du CA provient du digital, un mix entre publicité et E-commerce. Une belle prouesse.
ELLE Japon, son histoire
Fondé en 1945 par la journaliste française Hélène Lazareff, le magazine ELLE se voulait un hebdo et un magazine à l'américaine, prêt à "ouvrir l'appétit aux femmes", d'après les mots de sa créatrice. Plus de soixante-dix ans plus tard, ELLE possède quarante-cinq éditions à travers le monde. Pour le marché japonais, il faut remonter en 1970 et l'accord de licence validé entre ELLE et une société japonaise, sous le titre AnAn, titre qui existe toujours. En 1982, ELLE vole de ses propres ailes avec un magazine bimensuel. S'ensuit en 1989 la reprise en direct avec la création de Hachette Filipacchi Japan. Des déclinaisons seront ensuite lancées : ELLE Décor en 1992, ELLE à Table -devenue ELLE Gourmet en 2017- ELLE Girl en 2004 - devenu 100% numérique en 2017 - et ELLE mariage en 2008. La priorité sera aussi portée sur les innovations numériques avec les lancements de ELLE Online en 1996 et ELLE Shop en 2009, une plateforme de E-commerce.
En 2014, ELLE décide d’investir un nouveau secteur en croissance, celui de l’événementiel. La marque va se réinventer en retrouvant sa mission originale qui était l’émancipation des femmes. La création de Women in society va donner une nouvelle jeunesse à la marque. Cet événement made in ELLE englobe workshops et ateliers une fois par an. En 2017, plus de deux mille personnes se sont réunies pour vivre ce rendez-vous unique, autour de femmes d'affaires, d'artistes et d'influenceuses. En partenariat avec Line, l'édition 2018 s'annonce déjà un grand cru pour ELLE Events. Rendez-vous le 16 juin 2018 à Hikarie, Shibuya. Chaque année sont organisés une vingtaine d'événements en moyenne, sur des thématiques variées, susceptibles de passionner les aficionados japonaises de la marque (gastronomie, cinéma, mode...). Avec surprise, on nous apprend alors que l'un des événements les plus appréciés de ELLE Events n'est pas celui qu'on pense. Le Monthly Elle Fortune Dinner offre l'opportunité à vingt participantes de dîner en compagnie d'une voyante, et ce, pour 20 000 yens.
ELLE Japon n'hésite plus maintenant à proposer des éditos sur la place des femmes dans la société nippone et certains sujets tabous. Dernièrement, la rédaction d'ELLE Japon est allée interviewer Shiori Ito, réfugiée en Angleterre. Cette journaliste accuse un journaliste proche de Shinzo Abe de l'avoir violée en avril 2015 et souhaite mettre en lumière les différentes interventions qui rendent la condamnation de l'accusé difficile. La force du média est donc aussi de proposer, aujourd'hui, des articles à la thématique actuelle, qui ne souffrent d'aucune censure. En ce qui concerne son avenir, ELLE Japon se voit proposer d'ici dix ans toujours plus de contenus digitaux (de plus en plus de vidéos), avec une déclinaison papier distribuée sur abonnement uniquement. Les projets fusent également, le lancement de ELLE Solidarité Mode en partenariat avec la fondation ELLE d'entreprise, un projet caritatif qui souhaite aider de jeunes Japonaises, aux faibles moyens, à intégrer une école de mode prestigieuse.