Édition internationale

Avoir 20 ans en Pologne et France : nos rêves, nos peurs, nos luttes, nos différences

À l’occasion du 8 mars, Journée internationale des droits des femmes à travers le monde, Blanche, Française de 20 ans et Julia, Polonaise de 24 ans, échangent dans un entretien croisé sur la condition des jeunes femmes dans leurs pays respectifs et livrent leurs ressentis sur des cultures à priori assez différentes. 

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Écrit par Lepetitjournal.com Varsovie
Publié le 7 mars 2025, mis à jour le 8 mars 2025

 

 

Lepetitjournal.com Varsovie : Est-ce que vous vous sentez en sécurité dans votre pays ? 

Blanche : Non je ne me sens pas du tout en sécurité en France, en tant que femme. Personnellement je ne me balade pas seule le soir, cela ne me viendrait pas à l’idée, d’ailleurs mes proches seraient inquiets si je le faisais. Je ne vis plus avec mes parents, mais ils me demandent de leur envoyer un message pour leur dire quand je suis rentrée. Exceptionnellement si je n’ai pas le choix, je sors avec un groupe de filles et nous sommes très vigilantes et préparées au pire. 

Julia : Ce que tu racontes me rappelle de mauvais souvenirs, quand je me baladais à Paris le soir avec mes amis. En Pologne, je pense que cela dépend de l’endroit où l’on vit, mais les agressions ne sont pas aussi fréquentes et récurrentes qu’en France. En mars 2024, une jeune Bélarusse Liza (Elizaveta), a été violée et assassinée en plein jour dans la cage d’escalier d’un immeuble dans le centre de Varsovie, par un Polonais, Dorian S, qui l’a abandonnée totalement nue, elle décèdera quelques heures plus tard. Il y avait des témoins, mais personne n’a réagi…

Cela m’a profondément choquée, car c’est terrifiant de constater que les gens tournent la tête pour ne pas voir, quand nos vies sont menacées.

Sur qui peut-on compter pour s’en sortir ? À Varsovie, il y a eu de nombreuses manifestations. 

 

En ce qui concerne la sécurité au niveau de la santé, avez-vous accès aux soins gynécologiques, pouvez-vous parler librement de la pilule, l’avortement,  les douleurs liés aux règles, l’endométriose, le post partum… ? 

Julia : Pour te répondre, je dois t’expliquer comment cela se passe en Pologne : nous avons un système de santé public, mais beaucoup de personnes choisissent de se faire soigner dans le privé, cela signifie que vous payez tous vos soins et rendez-vous. Pour moi, tout va bien car je suis suivie par un gynécologue dans une clinique privée, mais je sais que pour d’autres c’est plus compliqué. Personnellement, j’ai accès à toutes les informations que je souhaite sur mon corps et la contraception.

Je précise que je vis dans l’une des plus grandes villes de Pologne, cela fait une grosse différence. Dans les villages ou dans les campagnes, vous entendrez des points de vue totalement différents. 

 

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Blanche : Moi je n’ai pas de gynécologue, mais une excellente généraliste. Je note parmi mes amies que nombreuses d'entre elles souhaitent s’éloigner des méthodes contraceptives médicamenteuses à cause des conséquences que les hormones peuvent avoir sur la santé et se tournent vers des alternatives plus naturelles, comme le faisaient nos grands-mères.

Aujourd’hui, les femmes en France se battent également pour qu’il y ait une meilleure reconnaissance et davantage de recherches liées aux douleurs dues aux règles et à l’endométriose. 

 

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Qu’est-ce que vous souhaitez peut-être voir changer ou évoluer dans votre pays au niveau du système de santé ? 

Julia : J’aimerais que le budget alloué à la santé en Pologne soit augmenté, et que, dans le système public, les délais d’attente pour obtenir des rendez-vous soient plus courts. Par exemple, en gynécologie, cardiologie, c’est très inquiétant et cela peut mettre en danger la vie du patient.

De plus, tu dois savoir qu’en Pologne, nous payons nos médicaments - à part quelques cas exceptionnels, donc quand tu prends la pilule contraceptive, des médicaments pour réguler la thyroïde, pour le cœur, le diabète etc., tu dois prévoir un budget spécialement pour ça. 

Blanche : En France, nous avons le même problème en ce qui concerne les délais pour obtenir des rendez-vous médicaux : la dermatologie par exemple, tu peux faire une croix dessus. En plus de cela nous avons des déserts médicaux. Il faut que tu saches qu’en France pour aller consulter un spécialiste tu dois passer par ton généraliste, sans cette autorisation, pas de soin.

De plus, je pense, que la médecine a été pensée par des hommes pour les hommes, sans tenir compte de la physiologie féminine : pour moi, par exemple, la position dans laquelle on accouche, les pieds dans les étriers est aberrante et antinaturelle… 

 

Comment sont les relations hommes-femmes dans votre pays, comment se caractérisent-elles ?

Julia : Sur les réseaux sociaux, par exemple, je constate une épidémie d’anti-féminisme et de misogynie, où les jeunes hommes de mon âge, toutes classes sociales confondues, se moquent très facilement et rudement des femmes, dès qu’elles s’affirment. C’est inquiétant, car ce sont des jeunes hommes et des adolescents qui soutiennent le plus le candidat d'extrême droite Sławomir Mentzen, âgé de 38 ans - j’en connais beaucoup.  

Blanche : Je pense qu’en France aujourd’hui je peux dresser le même constat. Cependant, de nombreuses politiques sont mises en place afin de lutter contre ces discriminations et éviter des comportements misogynes. Par exemple, dans les institutions politiques, le principe de parité assure le fait que chaque sexe est représenté à égalité.

Le récent procès des violeurs de Gisèle Pelicot renforce en France cette dynamique de lutte contre toutes les formes de discrimination envers les femmes.

Le mouvement #MeToo a également permis de libérer la parole des femmes en les incitant à dénoncer les hommes qui ont eu des comportements violents et inappropriés.

Néanmoins, il faut être mesuré et ne pas tomber dans un extrême qui créerait une atmosphère irrespirable.

Julia : Le mouvement #JaTeż, est vraiment moins populaire en Pologne ; il est très critiqué et attaqué. 

 

Faites-vous face à des stéréotypes, des idées reçues sur les femmes dans vos études ou dans votre quotidien ? 

Blanche : J’ai cette grande chance que non ! Mes parents m’ont toujours poussée à donner le meilleur de moi-même et à aller loin dans les études. Cependant, je sais que certaines jeunes Françaises ne sont pas dans le même cas et font face à des stéréotypes de genre, notamment dans le monde du travail.

Une femme sur deux a par exemple, déjà ressenti une discrimination au travail. 

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Julia : Personnellement, je n’ai pas eu cette expérience, parce que j’étudie la philologie romane, la langue française, où il y a plus de femmes que d’hommes. Cela ne change pas le fait qu’il s’agit d’une réalité quotidienne pour de nombreuses femmes en Pologne. Je pense qu’elles sont le plus souvent moquées et ne sont pas prises au sérieux.

 

En tant que jeune femme française ou polonaise, quelle est la place accordée à la religion, a-t-elle des incidences dans votre quotidien et dans l’éducation que vous avez reçu à la maison ou à l’école ? 

Blanche : Je suis issue d’une famille catholique mais mes parents n’ont jamais voulu nous enfermer dans un milieu avec mes frères et sœurs. Ils nous ont laissés libres de poser nos choix tout en assurant un certain cadre avec lequel je me sens totalement en phase aujourd’hui et qui m’a beaucoup aidée à me construire. 

Julia : Moi aussi, je suis née dans une famille catholique, et bien que je ne ressente actuellement aucune pression pour pratiquer la foi, je sais qu’elle sera évoquée à l’avenir dans le contexte du mariage au sein de l’Église ou du baptême des enfants. Il s’agit plutôt d’une tradition en Pologne, pour les jeunes.

Pourtant beaucoup de couples ne souhaitent pas se marier à l’église mais cède à la pression et aux injonctions comme « mais que va dire la famille ?»

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Trouvez-vous que les femmes soient bien représentées dans le monde du travail dans votre pays ?

Blanche : Je trouve qu’en France les femmes prennent de plus en plus leur place dans le monde du travail et le principe de parité permet également d’en assurer la bonne conduite. Il reste encore quelques combats mais en tant que jeune femme je n’ai pas peur de prendre un poste à responsabilité plus tard !

Je crois sincèrement que les femmes ont un rôle majeur à jouer dans les problématiques actuelles et les défis de demain. 

Julia : C’est la même chose qu’en Pologne. Je suis dans les médias beaucoup de femmes en politique, car il s’agit d’une profession dominée par les hommes.

L’une d’entre elles est Agnieszka Dziemianowicz-Bąk, ministre de la famille, du travail et de la politique sociale. Son engagement est une véritable source d’inspiration et chaque fois qu’elle prend part à un débat, il est clair qu’elle est compétente dans ce qu’elle fait. 

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En tant que jeune femme française ou polonaise, y a-t-il des figures féminines de votre pays que vous trouvez inspirantes ? 

Julia : Je peux citer de nombreuses femmes inspirantes en Pologne, comme la reine Jadwiga Andegaweńska, première femme sur le trône polonais, ou Maria Skłodowska-Curie, première femme à recevoir le prix Nobel. J’aime aussi Martyna Wojciechowska, qui est voyageuse et réalise une émission “Kobieta na krańcu świata” (« Femme au bord du monde ») dans laquelle elle présente des histoires de femmes de différents pays.

Blanche : En tant que Française, je ne peux pas oublier l’Histoire et les nombreuses femmes qui ont joué un rôle. En passant par la mère de Louis IX, Blanche de Castille, qui a su mené le Royaume de France et faire taire les insurgés durant la période de Régence ou encore Jeanne d’Arc qui a levé l’armée pour lutter contre les Anglais, et plus récemment Simone Veil, première femme présidente du Parlement européen, en tant que jeune femme française je ne manque pas d’exemples ! 

 

Comment décririez-vous les femmes de ton pays ? Y a-t-il un lien entre les générations, ou vous considérez-vous éloignées de ce que peuvent penser ou promouvoir comme idées les plus anciens ? 

Blanche : Je pense sincèrement que les femmes françaises sont toutes dotées d’une force de caractère inspirante ! Pour moi, même si les générations sont différentes et ne se sont pas battues et ne se battent pas forcément pour les mêmes choses, nous avons tant à apprendre de chacune.

Nos grands-mères sont très précieuses ! 


Julia : Je partage les mêmes sentiments à propos des femmes en Pologne. Il suffit de regarder la Grève des Femmes sur la loi sur l’avortement - Strajk Kobiet, qui a rassemblé des femmes de tous âges !

 

 

Tableau de comparaison de données polonaises et françaises


 

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