Édition internationale

Berlin, capitale du partage : les Fairteiler redonnent du sens à la nourriture

En Allemagne, la Paritätischer Gesamtverband (fédération des associations caritatives allemandes) estime que plus de 14,2 millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté. À Berlin, des initiatives citoyennes fleurissent pour aider les plus démunis : frigos solidaires, plateformes de partage et vergers urbains incarnent une nouvelle manière de nourrir la ville, sans gaspiller, dans un élan profondément humain.

fairteiler à berlin dans le quartier de Weddingfairteiler à berlin dans le quartier de Wedding
Wedding Fairteiler © Eva Cahanin - lepetitjournal.com Allemagne
Écrit par Eva Cahanin
Publié le 25 avril 2025

L’intolérable paradoxe : trop de faim dans un monde trop plein

Chaque année, en Allemagne, plus de 75 kilos de nourriture sont jetés par habitant. Des montagnes de produits encore consommables terminent leur course dans les bennes, pendant qu’à quelques rues de là, des familles sautent des repas, des enfants se couchent le ventre vide. En 2024, selon l’OCDE, l’Allemagne compte environ 263 000 personnes sans domicile, et près de 14,2 millions de personnes vivent en dessous du seuil de pauvreté. Deux millions dépendent régulièrement de l’aide des banques alimentaires, un chiffre en constante augmentation depuis la pandémie, aggravé par l’inflation et les effets de la guerre en Ukraine.

Ces chiffres donnent le vertige. Et pourtant, loin du fatalisme, des Berlinois se lèvent chaque jour pour inverser la tendance.

 

Des frigos pour tous

Dans un coin de Wedding, une femme dépose un sachet de pommes encore croquantes dans un réfrigérateur adossé à La Berliner Hochschule für Technik. Une autre repart avec des produits hygiéniques et du pain, peut-être pas du jour, mais encore parfaitement consommable. Ici, pas de ticket, pas de condition de ressources, pas de culpabilité. Les Fairteiler, ou « distributeurs équitables », sont ces frigos publics accessibles à tous, où chacun peut déposer ou prendre de la nourriture sauvée de la poubelle.

On en compte aujourd’hui une quarantaine à Berlin, répartis dans les quartiers, souvent hébergés dans des lieux associatifs ou des commerces engagés. L’initiative, née du mouvement Foodsharing en 2012, repose sur un principe radicalement simple : redonner vie à ce que d’autres allaient jeter. Foodsharing s’engage à créer un système alimentaire plus durable et tente d’éduquer les habitants pour une consommation responsable. 

Pas question, cependant, de transformer ces lieux en zones grises sanitaires. Les denrées périssables comme la viande crue sont proscrites, les réfrigérateurs nettoyés régulièrement, et des bénévoles assurent le suivi. La communauté veille – et agit. Non loin du Fairteiler de Wedding, Luca, étudiant à l’université, veille régulièrement sur le frigo et les denrées déposées. 

 

“Je vois passer chaque jour des étudiants qui n’ont pas les moyens de faire leurs courses au supermarché, mais aussi une multitude de personnes extérieures au campus, sans toit ni quoi que ce soit à manger.” 

Chaque jour, des milliers de « foodsavers » sillonnent les boulangeries, les supermarchés ou les restaurants pour récupérer les invendus et les redistribuer. Ce réseau informel organise des chaînes de solidarité et d’efficacité, à travers lesquelles les surplus trouvent des bouches à nourrir plutôt que des sacs-poubelle.

La philosophie est claire : la nourriture n’est pas une marchandise périssable, c’est un lien. Ceux qui sauvent, ceux qui donnent, ceux qui prennent – tous participent à cette économie du partage.
 

 

Récolter, cueillir, partager

Plus étonnant encore, Mundraub propose une carte interactive recensant plus de 2 000 emplacements d’arbres fruitiers, d’herbes et de noyers dans la région de Berlin. Pommes, mûres, cerises ou noisettes, autant de trésors urbains offerts à qui sait regarder – et respecter. La cueillette devient une  promenade nourricière et un acte citoyen. 

Cette initiative rappelle que même dans une métropole, la nature continue d’offrir, gratuitement, silencieusement. Encore faut-il apprendre à cueillir avec humilité.

 

La solidarité comme levier de transformation

Ces gestes simples – déposer un yaourt, sauver une miche de pain, indiquer un pommier – tissent une autre vision de la ville. Celle d’un espace habité par la générosité. Bien souvent, nous oublions que nous vivons dans une époque fracturée par les inégalités. Ces initiatives rappellent une évidence trop oubliée : la nourriture n’est pas un luxe, elle est un droit. Et elle peut aussi être un don.

Berlin, ville de fête et de culture, est aussi, discrètement, une ville de solidarité. C’est une capitale qui ne se contente pas de manger, mais qui apprend à nourrir.


 

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