Matthieu Bourel nous a tapé dans l'œil et intrigué lors de l’expo collaborative Metamorphosis, et il nous a fait le plaisir de partager avec nous son parcours d’artiste. Berlin y occupe une place centrale depuis plus de 20 ans - un vrai catalyseur de créativité, d’exploration identitaire et d’acceptation de soi.


De la récup au New York Times, une trajectoire en copier-coller
À la fin des années 90, alors étudiant en audiovisuel, Matthieu récupère des magazines dans les poubelles à papier parisiennes — charme, rugby, New York Times (clin d’œil du Matthieu du futur ?) — pour y découper des images qu’il réassemble ensuite.
Je le faisais pour moi, c’était très personnel, je n’avais aucune intention de le montrer, d’aller vers l'extérieur.
L’extérieur, à l’époque, c’est la musique. Sous le nom d’Electric Kettle, il compose et joue du son breakcore : là aussi, des découpages, de la distorsion et de la manipulation. Il sourit en disant que son fil rouge, c’est le copier (couper) / coller — du montage vidéo à la musique, puis au collage.
C’est la musique qui l’amène à Berlin en 2001. Il y trouve le contact facile, se construit un réseau, et quitte Paris en 2005. Il va composer et jouer dans les clubs et les festivals pendant près de 10 ans.
Mais dès 2010, il glisse vers Tumblr. Les gifs animés l’obsèdent. Il commence à se définir graphiquement, avec jubilation. Son Tumblr prend progressivement de l’ampleur et l’amène à une collaboration avec Gestalten pour The Age of Collage, qui lui confie la couverture.
Matthieu gagne en visibilité, avec une première exposition à Berlin en 2010 (The Power of Boredom), puis une par an en France et en Allemagne, entre 2014 et 2019. Le Covid vient casser l’élan. En 2025, Metamorphosis lui donnera un nouveau souffle.
Après la musique, et en plus du collage, l’illustration a fait son apparition — toujours avec une part de hasard. Il découvre qu’une de ses illustrations est parue dans un célèbre magazine de mode, sans son accord. Plutôt que de les menacer de leur envoyer son avocat (qu’il n’a pas), il leur propose de travailler pour eux. Six mois plus tard, le New York Times le contacte. Et tout s’enchaîne.
Matthieu décrit son parcours comme un flot de coïncidences. Un mélange entre ses actions et de la chance. On trouve ça un peu modeste. Aujourd’hui, il travaille avec les plus grands noms de la presse internationale, et son travail a été primé à plusieurs reprises. Et surtout, consécration ultime : ils font appel à lui pour sa patte, pour illustrer sa vision, pas la leur.

S’autoriser à être artiste, et se nourrir des influences
Originaire de Rennes, Matthieu vit à temps partiel à Vannes, et a aussi habité Paris, la Belgique, les Pays-Bas. Mais c’est à Berlin qu’il a enfin trouvé l’espace pour embrasser pleinement sa vie d’artiste.
Quand je suis en Bretagne et qu’on me demande ce que je fais, la première réaction, c’est souvent : et tu gagnes ta vie avec ÇA ?
À Berlin, c’est différent. Les gens s’encouragent, se motivent, se nourrissent les uns les autres. Il y a une richesse dans les interactions, dans tout ce qui se passe autour. Une soirée dans un appart avec des projections vidéo, des concerts dans des squats, des expos au (feu) Tacheles… Matthieu a l’impression d’avoir déjà eu trois vies ici. Et d’avoir laissé derrière lui ce qu’il appelle son arrogance française, son ego de Breton.
La ville change, se standardise, mais l’effervescence reste. Aujourd’hui, il a son appart-atelier à Neukölln, des colocs grecs, un jardin partagé avec une famille turque, et comme il est en Erdgeschoss, il récupère tous les colis de l’immeuble — l’occasion de parler avec ses voisins pakistanais, allemands, ukrainiens, russes… Un bouillon de (multi)culture. Et quand il rentre en France, ça lui manque — ça, et les Späti !
Je dois beaucoup à Berlin. Son inspiration, son influence. En 20 ans, je n’ai toujours pas fait le tour, et je ne vois pas d’équivalent qui pourrait autant me nourrir.

Un véritable creuset pour l’exploration de soi, libéré de tout jugement
Matthieu ressent plus d’acceptation à Berlin. Il trouve la ville moins violente que Paris, avec une meilleure compréhension de l’autre. Des gens qui ne sont pas supposés vivre ensemble cohabitent (relativement) en paix. Les interactions sont différentes. Les gens veulent savoir qui on est, pas ce qu’on fait ou combien on gagne. Et puis, ici, on peut encore faire la fête après 50 ans sans être regardé de travers. Merci la culture club.
Berlin a mis une couleur différente dans mon travail. Elle me pousse à changer, à réagir à ce qui m’entoure. J’ai besoin de cette énergie.
Matthieu parle de Berlin avec beaucoup de tendresse et de reconnaissance. Il le dit clairement : il a envie de rendre à Berlin ce que Berlin lui donne.
Il ne pense pas être arrivé ici par hasard : il observe que Berlin attire certains profils. Ceux qui cherchent à s’autoriser, sans toujours oser. C’est une ville de réinvention permanente, où l’on peut repartir de zéro, explorer, assumer qui l’on est. Ce n’est pas une ville neutre, elle ne convient pas à tout le monde et elle rejette parfois, mais elle accueille aussi avec une bienveillance rare, qui fait exploser certaines personnes — dans le bon sens du terme.
Une ville qui résonne avec son travail — et vice versa
Ce que Matthieu explore dans son travail, c’est aussi ce qu’il vit à Berlin : l’identité, la transformation, la reformulation. Il y a quelque chose de profondément berlinois dans ses collages. Comme la ville, ils interrogent : le passé, les apparences, les mythes.
Tout le monde n’est pas en quête de son soi. Mais c’est le cas de beaucoup de gens qui viennent à Berlin.
Dans sa série Duplicity, chaque visage démultiplié raconte une identité en mouvement. La quête de soi, infinie. Pas pour devenir “meilleur”, mais pour mieux se comprendre.
Il explore aussi les visages lisses des figures publiques et des icônes hollywoodiennes. Il les déconstruit, à la recherche de ce qu'ils cachent. Parce que sous le glamour et les sourires, y a toujours des doutes, des blessures. Et des Weinsteins.
Chaque image devient un miroir, où l’on voit ce qu’on veut y voir. Et c’est là que ça touche. On lui a déjà dit que son travail n’avait aucun sens, qu’on ne reconnaissait même plus les visages. Mais c’est justement l’idée.

Cette quête du soi, cette envie de déconstruire pour reconstruire autrement, elle est nourrie par Berlin. Par son histoire, son énergie, ses contradictions. Une ville qui elle aussi résiste à l’uniformisation.
Matthieu, lui, résiste à sa manière. Déjà à l’époque de Tumblr, il créait des GIFs animés pour stopper le scroll — un contrepied instinctif au zapping, à la saturation, à l’attention qui s’effrite. Il parle de data-ism, contraction de data et dadaïste, comme d’une façon de transformer le trop-plein visuel.
Il résiste aussi aux cases. Dès qu’on veut le figer, définir, il bifurque et reste en mouvement. D’ailleurs, le lendemain de notre entrevue, il partait en Bretagne, pour un projet avec un artiste qui travaille le bois. On a hâte de voir !
À suivre…
Retrouvez Matthieu Bourel en ligne sur son site, son Instagram et son (fameux) Tumblr, et dans la vraie vie à l’exposition Metamorphosis prolongée jusqu’au 28 Juin 2025.

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