Édition internationale

Madame de Staël, ou la vie hors norme d'une européenne avant l'heure

La Journée internationale des droits des femmes est l’occasion parfaite de (re)découvrir ces femmes qui ont marqué l’histoire en suivant leurs désirs, sans se plier aux diktats de leur époque. Parmi elles, Madame de Staël : brillante, insoumise et visionnaire, qui a joué un rôle clé dans le dialogue culturel entre la France et l’Allemagne.

Madame de Staël en Corinne 1807Madame de Staël en Corinne 1807
Madame de Staël en Corinne par Firmin Massot © Wikipedia
Écrit par Sandrine Ibanez
Publié le 8 mars 2025

Une enfance brillante dans une époque en mutation

Anne-Louise-Germaine Necker naît en 1766, en plein siècle des Lumières. Elle n’est pas exactement issue d’une famille lambda : son père, Jacques Necker, banquier suisse et ministre des finances de Louis XVI, est un homme aimé du peuple, respecté et puissant. Sa mère, Suzanne Curchod, tient un salon littéraire prisé où elle reçoit les esprits les plus brillants de l’époque. Ses parents placent son éducation au premier plan. Il y a pire comme contexte.

Dès son adolescence, Germaine impressionne les plus grands intellectuels. Sa mère l’aurait voulue plus docile, mais à contre-courant de ce qu’on attend d’une jeune fille de son rang, Germaine aspire à la liberté intellectuelle. Elle veut parler, écrire, influencer. Et rechigne à se marier, ce qu’elle fera pourtant, en 1786, avec le baron Erik Magnus Staël von Holstein. Un mariage de raison, qui ne l’empêchera pas de vivre sa vie comme elle l’entend.

Son premier essai philosophique ? Elle a tout juste 22 ans !

 

L'ennemie jurée de Napoléon, qui ne sait plus quoi faire d’elle

Si Madame de Staël a conquis les salons parisiens, elle s’est aussi fait un ennemi redoutable : Napoléon Bonaparte. Entre eux, c’est un duel idéologique. Ils ne peuvent pas se supporter.

Napoléon voit en elle une opposante politique redoutable. Non seulement elle critique son autoritarisme, mais elle défend une vision de la culture et de la politique diamétralement opposée à son modèle impérial.

Trop influente, trop indépendante. Pour s’en débarrasser, il la fait exiler. Mais même loin de Paris, elle continue à lui tenir tête. À Coppet, en Suisse, son château devient un refuge pour les écrivains et penseurs opposés au régime impérial. Pourtant, elle vit très mal cet éloignement. Paris est son oxygène. Elle aime son effervescence intellectuelle, ses discussions sans fin, ses rencontres stimulantes. Loin de cette agitation, elle se sent coupée du monde qui est le sien.

 

Le Chateau de Coppet au clair de lune
Le Château de Coppet au clair de lune, aquarelle ayant appartenu à Mme Récamier.

 

Napoléon n’était pas exactement un féministe – rappelons-le. Il considérait que « les femmes ne sont pas les égales des hommes » et elles n’étaient, selon lui, que des « machines à faire des enfants ». Autant dire que l’existence même de Madame de Staël lui était insupportable. Cela tourne presque à l’obsession : on raconte qu’en pleine guerre, alors sur le front, Napoléon harcelait Fouché, le ministre de la police, pour s’enquérir des faits et gestes de son ennemie.

Il y avait trois grandes puissances luttant contre Napoléon pour l'âme de l'Europe : l'Angleterre, la Russie et Madame de Staël.  – Victorine de Chastenay

L’œuvre De l’Allemagne (1810) est le coup de grâce. Dans ce livre, Madame de Staël fait découvrir aux Français une culture qui la fascine. Napoléon, qui cherche à renforcer et maintenir son hégémonie sur les territoires allemands, est littéralement furieux. Il interdit la publication et ordonne la destruction de l’ouvrage. Fort heureusement, le manuscrit reste intact. Loin de se laisser abattre, Madame de Staël fait publier son livre en Angleterre, où il rencontre un succès immense.

 

 

De l’Allemagne : une déclaration d’amour à la culture allemande

Il faut avouer, Napoleon est un peu responsable de son malheur. Il l'a exilée, elle a transformé son exil en une aventure intellectuelle.

Au lieu de rester sagement en Suisse, elle traverse l’Europe, de l’Italie à l’Allemagne, remonte jusqu’en Russie, à une époque où voyager est une véritable expédition. Sans avion, sans train, chaque déplacement est un périple. Mais cela ne la freine pas. Elle veut comprendre, apprendre, s’imprégner de ces cultures qui l’intriguent.

En Allemagne, elle rencontre Goethe, Schiller, Fichte, et plonge dans la philosophie romantique. Elle découvre un monde où l’émotion et l’imaginaire priment sur la froide raison française. Ce voyage est une révélation. Dans ses échanges avec les penseurs allemands, elle explore une vision qui célèbre la liberté individuelle et la sensibilité.

De l’Allemagne est le fruit de cette immersion. Dans ce livre, elle présente au public français un pays méconnu, où l’art et la réflexion s’épanouissent loin des préoccupations politiques immédiates. Elle met en avant une culture où la musique, la poésie et la métaphysique s’entrelacent.

Plus qu’un simple récit de voyage, c’est un manifeste qui marque un tournant dans l’histoire des idées en Europe. Grâce à elle, la culture allemande s’impose en France et influence profondément le romantisme naissant. Visionnaire, Madame de Staël a contribué à redéfinir les échanges culturels en Europe et à faire de l’Allemagne une référence intellectuelle incontournable.

 

 

Une femme libre, intense et passionnée

Madame de Staël n’est pas seulement une femme de lettres et une opposante politique. Elle est aussi une femme de passions, à la vie sentimentale pour le moins tumultueuse.

Benjamin Constant, son amant le plus célèbre, partage sa vie entre amour et rivalité intellectuelle. Leur relation est intense, plus montagnes russes que long fleuve tranquille. Il n’est d'ailleurs pas le seul à tomber sous son charme. August Wilhelm Schlegel, figure du romantisme allemand, est à la fois son compagnon de route et son professeur de littérature allemande.

Son audace en matière amoureuse est totalement anachronique. Elle vit ses relations comme ses idées : avec passion, sans concession. Son cinquième et dernier enfant naît alors qu’elle a 46 ans, un âge inhabituel pour l’époque. Le père ? Un jeune officier de 24 ans son cadet !

Femme jusqu’au bout de sa plume, elle refuse que les conventions dictent sa vie. Elle voyage, écrit, débat, séduit. Sa quête est celle de la liberté, sous toutes ses formes.

Madame de Staël a laissé bien plus que des livres : elle a ouvert une voie. Celle des femmes qui osent penser, parler et s’affirmer. Une femme d’exception, intemporelle, qui mérite d’être célébrée aujourd’hui plus que jamais.

 

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