Lorsqu'une famille s'expatrie, souvent la carrière de l'homme motive le départ dans l’imaginaire collectif. Mais qu'en est-il lorsqu’une femme porte ce projet ? Lepetitjournal.com a rencontré deux femmes, moteurs de l’expatriation de leur famille : Camille* et Christelle. L’une vit à l’étranger depuis plus de 10 ans, l’autre est rentrée en France il y a plus de 10 ans. Toutes deux ont emmené mari et enfants aux quatre coins du monde au gré de leurs opportunités professionnelles. Récits.


Depuis 2013, au fil de sa carrière de chercheuse, Camille* emmène mari et enfants en Allemagne, aux États-Unis ou plus récemment en Australie. Elle ressent une pression immense pour faire en sorte que son expatriation soit une réussite. Pour elle, la définition de ce succès est simple : voir son conjoint épanoui dans son travail et ses enfants heureux dans leur nouvelle vie. "L'arrivée des enfants rend la pression encore plus forte car je dois maintenant penser à trois personnes en plus de moi."

Cette pression omniprésente a un coût sur le bien-être mental. "Parfois, on se sent bloqué dans des situations impossibles. Cela pousse à repousser nos limites bien au-delà de ce que nous devrions probablement accepter, mais c'est le prix à payer." L'expatriation devient alors une épreuve permanente: il faut réussir sur tous les fronts, sans marge d'erreur.
"L'arrivée des enfants rend la pression encore plus forte car maintenant je dois penser à trois personnes en plus de moi", explique Camille.
Christelle, elle, a vécu deux expatriations majeures : au Mexique puis en Thaïlande. Partie au départ sans plan défini avec son mari, elle ne ressentait pas de pression particulière. "Nous sommes partis en pensant rester deux ou trois ans, et finalement, nous sommes restés sept ans. Puis, une nouvelle opportunité s'est présentée en Thaïlande, et nous avons enchaîné. Jusque-là, tout allait bien."
"Au début, pas de pression, puis tout a changé", confie Christelle.
Mais lorsque le couple a des enfants, les choses changent et Christelle devient responsable de la stabilité familiale. “J’étais l’unique source de revenus pour quatre personnes. Heureusement, mon mari m’a toujours soutenue. Il me disait : ‘peu importe si tu gagnes moins d’argent ou même si nous rentrons en France, l’important c’est que tu sois heureuse.’ Cette phrase m’a énormément aidée." À l’inverse, pour Camille, rentrer serait un “échec absolu”.

Diane Korzine, praticienne en psychothérapie chez Feelbetter, explique que cette peur de l'échec est souvent plus marquée chez les femmes, et qu'elle s'intensifie lorsqu'elles prennent un rôle traditionnellement associé aux hommes : "Elles prennent une responsabilité supplémentaire. La peur de l'échec est liée aussi à ce choix qu'elles ont imposé à tout le monde."
Cette pression constante peut avoir des effets dévastateurs sur la santé mentale. Diane Korzine met en garde contre les signes de surcharge : "Une fatigue persistante, des ruminations, des pensées parasites comme 'je ne suis pas assez bien', des douleurs physiques inexpliquées... Tout cela indique qu'on porte une pression trop lourde." Pour Camille, la gestion de cette pression a été rudimentaire : "Je me suis toujours dit que je n'avais pas le choix."
L'isolement et les incompréhensions en expatriation
Camille souligne un autre obstacle majeur : l'incompréhension des autres. Dans un monde de l’expatriation encore majoritairement conçu pour les hommes, être une femme moteur peut susciter à la fois de l’admiration et de l’incompréhension.
"Ce n’est pas très bien compris dans notre société. Nous sommes souvent vues comme égoïstes ou de mauvaises épouses et mères." De plus, elle confie se sentir exclue des cercles de femmes expatriées qui suivent leur conjoint. "Il est extrêmement difficile de s'intégrer aux groupes de femmes suiveuses expatriées, et cela peut être très isolant."

Christelle surenchérit : "Certaines femmes que je rencontrais étaient presque envieuses. Beaucoup avaient le même niveau d’études que leur mari mais n’avaient pas trouvé d’emploi à leur hauteur dans le pays d’expatriation. Il y avait une frustration latente."
Si la charge mentale et professionnelle est grande, la reconnaissance, elle aussi, tarde souvent à venir : "Lorsque nous rencontrions de nouvelles personnes, la première question que me posaient les autres femmes était : ‘Et ton mari, il fait quoi ?’ Elles ne se demandaient même pas si moi, je travaillais. Quand je leur expliquais que j’étais l’expatriée du couple, c’était toujours la surprise."
Camille plaisante même : “un homme moteur de l’expatriation de sa famille réussit, est un bon père et un bon mari, mais une femme, c’est différent. Mère égoïste, épouse indigne, castrant son époux et l’empêchant d’avoir une carrière. Personne ne considère qu'en réalité le conjoint suit en toute connaissance de cause et avec joie.”
Préparation en amont de l'expatriation
Pour atténuer cette pression, Diane Korzine recommande une préparation minutieuse en amont. "Bien discuter avec son conjoint, répartir les responsabilités, anticiper les difficultés permet de mieux vivre l'expatriation. Il est aussi essentiel de ne pas s'isoler, de garder un réseau de soutien."
Malgré les difficultés, ni l’une ni l’autre n’a de regrets : "Je suis prête à payer ce prix pour continuer dans cette dynamique de vie qui m'apporte une grande liberté dans ma carrière." conclut Camille. Leur message aux femmes qui hésitent à se lancer ? "Ce n'est pas toujours facile car nous n'avons pas beaucoup de marge d'erreur. Mais si votre conjoint est prêt à vous suivre, alors n'écoutez pas les 'qu'en dira-t-on' et foncez ! Nous sommes nombreuses."
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