Loin de leur pays, les immigrés se heurtent souvent à un obstacle de taille : l’absence d’accès à des soins psychologiques, et surtout dans leur langue maternelle. Cette carence peut aggraver leur isolement. La thérapie en ligne peut être une solution adaptée à ces besoins spécifiques. Rencontre avec Stéphanie Corsan, psychologue chez FeelBetter, qui accompagne exclusivement à distance celles et ceux qui en ressentent le besoin.
En 2024, une personne sur 8 dans le monde est atteinte d’une maladie neurologique ou psychologique, soit un milliard d’êtres humains. Selon l'OMS, 1 Européen sur 4 est touché par des troubles psychiques au cours de sa vie selon le ministère de la santé. Plus préoccupant encore, environ 25% des Français se sont sentis déprimés pendant plusieurs semaines au moins au cours de l’année 2023 selon une étude Ipsos. Le fléau mental est bien un incontournable de la société actuelle. Partir loin de chez soi, en expatriation, peut exacerber ce fléau. Et, sur place, se soigner n’est pas si évident, notamment en raison de la barrière de la langue.
“Pour beaucoup d'expatriés, le manque d'accès à des soins psychologiques dans leur langue natale accentue un sentiment d'isolement familial et social”, explique Stéphanie Corsan, psychologue exerçant exclusivement à distance pour FeelBetter. “Si la langue d'accueil est maîtrisée, elle reste souvent insuffisante pour exprimer pleinement les nuances émotionnelles. À travers sa langue maternelle, nous avons accès à ses subtilités. Et en thérapie, la subtilité est importante. Ne pas se soigner dans ces conditions peut être contre-productif et renforcer l'impression d'être seul au milieu du monde.” Ce manque de connexion émotionnelle peut entraîner une aggravation de l'isolement et, à terme, des états dépressifs.
“A travers sa langue maternelle, nous avons accès à ses subtilités. Et en thérapie, la subtilité est importante.”
C’est une problématique que Caroline, expatriée aux États-Unis, a également rencontrée : “je me suis renseignée pour un thérapeute américain, mais je me suis sincèrement demandée comment cette personne pourrait réellement me comprendre, n'ayant pas les mêmes codes culturels. En plus, aux États-Unis, le côté commercial prend vite le dessus, les prix sont donc exorbitants.”
La thérapie en ligne prend du sens dans le monde
L’essor de la thérapie en ligne a été largement catalysé par la pandémie de Covid-19. “Avant le Covid, beaucoup étaient réticents à l’idée de consulter par vidéo. Ils pensaient que cela ne pouvait pas fonctionner aussi bien qu’en présentiel. Les confinements ont brisé ces préjugés et mis en lumière l’efficacité de la thérapie à distance”, explique Stéphanie Corsan.
Un jour, une amie recommande à Caroline FeelBetter : “après des tentatives ratées, je me suis dis que cela pouvait être intéressant : discuter avec quelqu’un en France, qui avait les mêmes références, les mêmes codes, disponible sur mes horaires et à prix raisonnable... Je devais essayer. Qu’avais-je à perdre ?”
Feel Better est la toute première plateforme internationale mettant en lien des psychologues français avec des Français de l'étranger désireux de suivre une psychothérapie en ligne.
Au-delà de l'aspect pratique – pas de trajet et des horaires plus flexibles – la thérapie en ligne offre un environnement sécurisant. “Le fait de rester chez soi peut aider certains à s'ouvrir plus facilement, à condition que cet espace soit privé et sécurisé”, précise-t-elle. Caroline confirme : “depuis le Covid, je travaille déjà beaucoup à distance. La thérapie en ligne me permet de me consacrer du temps sans interrompre mon quotidien. Une fois la session terminée, je peux retourner instantanément à mes occupations.”
Néanmoins, cette proximité avec le quotidien du patient peut aussi constituer une limite. “En présentiel, se rendre chez le thérapeute permet de symboliser une coupure. Cette scission est parfois essentielle pour mieux se décharger émotionnellement”, observe la thérapeute.
Outre l’accessibilité accrue, la thérapie à distance présente un autre avantage majeur : celui de réduire la perception d’une posture d’autorité chez le psychologue. “En visioconférence, les patients ont tendance à se sentir plus à l'aise, moins impressionnés par cette figure de “celui qui sait”, ce qui peut favoriser une meilleure libération de la parole”, note-t-elle.
Mais la thérapie en ligne ne résout pas tout en expatriation
Mais cette pratique n’est pas sans limites. Certains outils thérapeutiques, comme l'hypnose ou l'EMDR, peuvent être moins efficaces à distance, notamment si le patient ne se sent pas totalement à l’aise chez lui. “Il peut y avoir une vigilance qui perdure parce qu’ils ne sont pas en cabinet. Pour ces patients-là, il faut être plus patient, les détendre, les mettre en confiance.” Par ailleurs, des contraintes matérielles, comme l’impossibilité de trouver un endroit calme, peuvent freiner le bon déroulement des séances. “Et puis dans le cas de violences intrafamiliales, il faut que les victimes arrivent à trouver un espace où elles peuvent parler assez librement. Ça, cela peut être une vraie limite aussi.”
Un autre obstacle réside dans la solitude qui persiste une fois la séance terminée : “une fois qu’on a raccroché, on est toujours seul.” Pour y remédier, il est essentiel de privilégier des solutions complémentaires, comme se connecter aux réseaux locaux, intégrer des groupes de communautés françaises ou rejoindre des associations sur place. Caroline nuance cet aspect : “pour moi, ce n’est pas un problème. Le principal, c’est de pouvoir m’exprimer dans ma langue maternelle avec une thérapeute qui comprend mes références culturelles. Cette compréhension est essentielle pour un expatrié, qui vit souvent entre deux mondes.”
Malgré ces défis, Stéphanie Corsan encourage les expatriés à surmonter leurs réticences : “beaucoup ont des aprioris sur la thérapie en visioconférence, souvent parce qu’ils l’associent à des expériences professionnelles comme les réunions par écran interposé avec des supérieurs hiérarchiques. Mais une fois essayée, ils se rendent compte que le suivi thérapeutique et psychologique peut être tout aussi fort qu'en présentiel.” En 2021, selon une enquête de Psychologue.net, 85,6 % des psychologues interrogés déclarent proposer des consultations en ligne, soit plus de trois sur quatre. En comparaison, moins de la moitié offraient ce service en 2017. Ces dernières années, la thérapie en ligne a quitté le divan pour s’installer derrière l’écran, une évolution plutôt positive.